Donghe 92 Sommaire

Chapitre 12 : L'exploitation du karst par l'homme


Jean-Pierre BARBARY, Bernard COLLIGNON, Richard MAIRE, Simon POMEL et ZHANG Shouyue

Résumé - Abstract - Zusammenfassung - : Dans les karsts montagnards de Chine centrale, l'homme a commencé par habiter ou se réfugier dans les cavités naturelles. L'histoire des grottes-refuges est très complexe dans une région qui a résisté aux diverses mouvances et aux déplacements de population. Les minorités Miao et Tujia demeurent célèbres pour leur résistance et leurs révoltes paysannes. Le karst montagnard a toujours été exploité en période d'insécurité. Les forêts sont demeurées longtemps des réserves en bois de chauffe ou pour le développement de la métallurgie (bronze, fer, fonte, puis acier), avant l'exploitation des mines de charbon. Aujourd'hui encore, de nombreuses entrées de cavités servent à abriter des bergeries, des maisons et des lavoirs. Les poljés, les ouvalas et les flancs des dépressions sont aménagés pour les cultures depuis des siècles. Les ressources en eau sont utilisées pour la consommation en eau potable et l'irrigation des cultures (captages, barrages souterrains). Des distilleries sont installées dans les porches de grottes-émergences. L'exploitation souterraine des nitrates, très développée avant 1960, a pratiquement disparu. En revanche, les carrières et les cimenteries se multiplient avec le développement de la construction et l'augmentation de la population. Le tourisme karstique, en particulier les grottes aménagées, commence à se développer. Dans le Nord Hunan, signalons la grotte de Jiutiandong (Sangzhi) qui est l'une des plus belle de Chine, mais elle est peu visitée à cause de sa situation.
Mots-clés : exploitation, aménagement, ressources naturelles, forêt, grotte-refuge, nitrate, charbon, barrage souterrain, grotte aménagée, tourisme.



Introduction - ^ -
En Chine centrale et méridionale, le karst fait partie de la vie des hommes, peut-être plus que partout ailleurs dans le monde, et cela depuis des temps reculés. En effet les reliefs karstiques couvrent des centaines de milliers de km2, dans une des régions les plus anciennement peuplées du globe, et surtout ils présentent des ressources utilisables nombreuses. Ainsi en est-il des richesses minérales (pyrite, charbon, nitrates), des sols de poljés et dépressions pour les cultures, des refuges et abris constitués par les innombrables grottes (habitats, enclos, forteresses), enfin des potentialités industrielles (barrages souterrains, hydroélectricité, éoliennes dans les cavités) et touristiques (grottes aménagées). Le calcaire est lui-même exploité directement pour la fabrication du ciment. Mais la pression anthropique en milieu rural est importante depuis des siècles si bien que les réserves forestières s'épuisent, les sols cultivées sont menacés par l'érosion et les eaux karstiques sont fortement polluées.
 La conservation de l'environnement karstique de Chine centrale et méridionale est donc devenue une priorité pour la vie et la survie des populations indigènes, notamment certaines minorités montagnardes importantes comme les Miao ou les Tujia. Ces régions superbes, symbolisées par l'originalité de leurs paysages karstiques et l'étonnante diversité des aménagements agraires, sont aujourd'hui un milieu test pour l'étude de l'évolution de l'environnement rural soumis à une pression humaine ancienne et actuellement très forte.
 Pour comprendre le contexte historique et les enjeux actuels, nous développons quelques aspects typiques de l'exploitation et de la mise en valeur du karst montagnard chinois : les anciennes grottes refuges, les anciennes exploitations de nitrates, l'utilisation actuelle des grottes par les paysans, les grottes touristiques, enfin les ressources en eau. Quant à l'utilisation des sols pour les cultures, nous renvoyons le lecteur aux chapitres 10 (sols) et 11 (paysages agraires).- ^ -

I . L'utilisation ancienne des grottes et leur fonction de refuge
En Chine karstique on utilise les grottes depuis des temps immémoriaux. Elles ont bien entendu une fonction refuge, d'abord comme abri naturel contre les éléments naturels, ensuite comme refuge par rapport aux ennemis potentiels. En outre, les grottes de vastes dimensions, ou plus modestes, ont été exploitées depuis des siècles pour la production de sels de nitrates.- ^ -

A. Les grottes à habitats préhistoriques
Les montagnes karstiques de Chine centrale et méridionale sont habitées depuis plusieurs dizaines de milliers d'années au moins comme le montrent les fouilles effectuées dans les grottes. Cela tient sans doute au climat relativement favorable et surtout à l'abondance et à la taille des abris naturels constitués par les vastes porches de grottes (proximité de sources ou accès à la rivière souterraine). Cette étroite dépendance entre l'homme et la grotte est telle qu'aujourd'hui encore la grotte peut encore servir d'habitat pour l'homme et d'enclos pour les bêtes.
En 1992, un site préhistorique de grande dimension, datant du Paléolithique moyen (50 000 ans au moins) a été découvert dans une grotte du district de Pan, dans le Guizhou. D'après l'examen des fouilles, les préhistoriens ont déterminé une vingtaine d'outils de pierre taillée dont une élément possède les caractères typiques de débitage de la civilisation européenne du Levalloisien. En outre ont été découverts des dents et des os fossiles de mammifères aujourd'hui disparus comme les mammouths, les rhinocéros de Chine, les tapirs géants. Cette nouvelle découverte, dans une région qui possède des milliers de sites potentiels, montre le travail considérable de fouille qui reste à entreprendre pour mieux apprécier l'âge, l'ampleur et les caractères de ces peuplements précoces.
Dans la Chine du SW, au sud du Yangtse, on connaît actuellement plus d'une douzaine de sites importants du Paléolithique. Toutefois, les indices d'une agriculture précoce, avant le Néolithique, n'ont pas été trouvés semble-t-il, même si certains auteurs envisagent cette possibilité (CHANG, 1977, in PANNEL et MA, 1983). Nos propres recherches effectuées dans le comté de Wufeng (Hubei), en particulier dans la grande coupe des varves marrons de la grotte de Dadong, semblent indiquer une occupation humaine de la montagne qui est calée entre 18 000 et 13 000 ans BP (C14 pour la base). En effet l'étude micromorphologique des varves montre la présence de microcharbons de bois qui attestent l'existence de brûlis qui ont peu de chance d'être uniquement d'origine naturelle à cause de leur répétition annuelle sur des millénaires (voir chap. 6). Ces brûlis pourraient indiquer une agriculture précoce associant élevage et peut être quelques cultures. Il est intéressant de noter que de tels traces de brûlis, répétitifs ou non, n'ont pas été retrouvés dans la grande coupe des varves rouges, localisée pourtant dans la même grotte, mais d'un âge beaucoup plus ancien estimé entre le Quaternaire ancien et le Pliocène.
 Cette hypothèse pour la Chine centrale est mieux étayée dans certains sites hoabiniens de l'Asie du SE, notamment en Thaïlande, en Chine du Sud et au Vietnam avec le site éponyme de Hoa Binh. Ces sites, datés du Paléolithique supérieur, présentent des indices d'une agriculture précoce. C'est le cas de “Spirit Cave”, en Thaïlande, dont les fouilles ont révélé des plantes domestiques ou semi-domestiques comme les haricots, les châtaignes d'eau et les gourdes (GORMAN, 1972, in WHITEHOUSE, 1978).- ^ -

B. Les grottes refuges et grottes forteresses de la période historique
Grotte refuge et grotte forteresse sont deux appellations qui font appel à un seul et même concept : la grotte en tant que milieu refuge en période de trouble. Ce phénomène de grande ampleur se vérifie dans les milliers de grottes que comptent les karsts tropicaux et subtropicaux de Chine. Par exemple, les grottes-tunnels, associant plusieurs entrées et accès à la rivière souterraine, sont devenues des lieux propices pour construire de véritables forteresses souterraines. Certains bastions naturels étaient pratiquement imprenables à condition de disposer de vivres. La plupart ont servi d'habitat temporaire au gré des invasions et des incursions de brigands. Au XXème siècle, durant la guerre civile, elles ont été encore utilisées pour se réfugier, défendre l'accès d'une vallée et cacher des armes ; et il n'est pas impossible qu'elles servent à nouveau dans le futur car l'histoire est un éternel recommencement.
 Dans les montagnes du Guizhou, du Hubei et du Hunan, les grottes refuges sont légion. On observe deux grands types de refuges souterrains : les grottes fortifiées et les grottes cachées, mais les deux fonctions peuvent se compléter. Dans le premier cas, la fonction refuge est remplie par les fortifications qui complètent la protection naturelle. A Xianfeng (Hubei), par exemple, une grotte fortifiée a été observée en pleine falaise près de la perte de LUOSHUIDONG (chap. 4). Dans le comté de Zhijin (Guizhou), les exemples de fortifications souterraines sont fréquents. Il y a d'abord les grottes tunnels, comme à Luochu (Santang), qui présentent des murailles des deux côtés de la grotte, avec en plus un accès à la rivière souterraine protégé par une autre muraille. Il existe aussi de nombreuses grottes fortifiées à une seule entrée ; c'est le cas de Xiaoheidong située en rive gauche de la Yijiehe. L'entrée de la cavité, de modestes dimensions (9 m de large sur 2,5 m de haut), a l'avantage d'être cachée par la végétation ; un petit muret barre l'entrée ; mais c'est à 200 m à l'intérieur, dans le noir absolu, que l'on découvre une fortification impressionnante dans une galerie large de 50 m et haute de 25 m. La muraille, haute de 4 à 5 m, est située au sommet d'un escarpement d'une quinzaine de mètres qui protège toute la largeur de la galerie ; derrière se développe un lac qui servait pour s'alimenter en eau. La cavité se poursuit ensuite sur plus de 2 km dans une vaste galerie de sorte que la technique de l'enfumage n'était guère possible dans une cavité aussi importante (Guizhou 86, p. 38). Cette grotte servait manifestement de refuge temporaire pendant les périodes de guerre.
 Toujours dans le comté de Zhijin (Guizhou), à quelques kilomètres de Xiaoheidong, des abris spectaculaires ont été aménagés sur des vires perchées, au plafond du canyon souterrain de la Liangchahe : on ne peut les atteindre qu'en escaladant sur une trentaine de mètres des échelles et des mas de perroquets en bambous, facilement escamotables en cas de péril (Gebihe 89, p. 28). Certaines grottes forteresses ont également été aménagées en raison de leur intérêt stratégique. C'est le cas de Xixiedong, ou “grotte de la pente ouest”, situé dans le comté de Luodian, au sud du Guizhou. Cette vaste cavité, longue de 1,7 km, possède un porche NW et un porche SW qui dominent de 100 à 150 m deux vallons ; ils sont défendus par d'imposantes fortifications larges de 25 à 30 m (Guizhou 86, p. 77). Cette situation dégagée et en hauteur permettait de voir venir les éventuels agresseurs.
 Mais la fonction refuge peut être remplie uniquement par le caractère éloigné et caché de la grotte. On observe ainsi un exemple très instructif près de Xianfeng (Hubei), dans le gouffre de Hongshepan, ou “grotte de la strate rouge”. Il s'agit d'une vaste doline d'effondrement, inclinée à 45°, de près de 200 m de profondeur (chap. 4). Elle présente au fond une vaste salle en partie éclairée par la lumière du jour qui présente les ruines de plusieurs habitations anciennes remontant à la fin de la dynastie des Ming (XVIème et XVIIème siècle). Pendant cette période, les révoltes paysannes contre le pouvoir impérial ont été nombreuses, en particulier la dernière, fomentée dans les montagnes du Hubei, et qui a finalement renversé les Ming en portant la révolte jusqu'à Beijing en 1644. Dans ce contexte d'instabilité sociale, la situation naturelle d'un tel gouffre refuge ?éloigné des sentiers, hors de vue et peu accessible ?constituait une véritable défense naturelle, d'autant plus que ces habitations disposaient d'une petite rivière souterraine à proximité. Mais cette situation particulière avait aussi son revers pour la vie quotidienne : nécessité de monter et descendre la doline au moins une fois par jour pour travailler aux cultures situées aux alentours et conditions de vie souterraine relativement insalubres. A cette époque la montagne était encore habitée par des tigres qui semaient la panique, en particulier pendant les hivers rudes. “Tigres et loups rôdent ici en plein jour” raconte XU Xiake (trad. J. DARS, 1993, p. 262) lors de son périple dans le Hunan en 1637.
 On connaît aussi des exemples de vieux temples fortifiés, aujourd'hui abandonnés, situés vers 1 800 m d'altitude dans les immenses falaises du Daguanshan, dans le comté de Wuxi (Sichuan). Les accès sont particulièrement difficiles : sentiers abrupts, vires étroites, murailles protégeant l'entrée des cavités perchées, passerelles en bois suspendues en plein vide pour rejoindre des grottes normalement inaccessibles (Gebihe 89, p. 62). En 1637, à la fin de la dynastie des Ming, XU XIAKE relate la présence de bonzes vivant ou venant étudier dans des grottes reculées situées dans le pays de Chu, au SE du Hunan (XU XIAKE, traduit par J. DARS, 1993, p. 266). Cette fonction de grotte temple est fréquente en Asie du SE et se poursuit jusqu'à nos jours, en particulier dans d'autres pays comme la Malaisie.- ^ -

C. Les grottes anciennement exploitées pour les nitrates
L'invention de la poudre noire a son origine en Chine il y a plus d'un millénaire. Les nombreuses grottes situées dans les provinces subtropicales ont participé depuis cette période à la production du salpêtre ou nitre, et cela jusqu'en 1960 environ. Aujourd'hui, les exploitations fonctionnelles sont très rares à cause de la fabrication des explosifs industriels, mais aussi des engrais artificiels. En 1986, une exploitation de nitrate fonctionnait encore dans la grande galerie d'entrée de Daxiaodong, ou “grotte du nitrate”, située dans le comté de Luodian, au sud du Guizhou (Gebihe 89, p. 193).
  Autrefois, le critère d'exploitation était double, du moins en apparence : présence d'eau et de nitrates. Les paysans lessivaient la terre dans de grandes cuvettes maçonnées et recueillaient l'eau de percolation pour la faire évaporer et recueillir les sels nitratés. Les remplissages riches en nitrates étaient ainsi mélangés à l'eau dans une cuve circulaire de quelques mètres de diamètre. A la base, un drain permettait à l'eau laiteuse de s'écouler dans une série de petits bassins étagés et chauffés dans lesquels la solution était progressivement concentrée par évaporation. Devenue épaisse, cette solution était ensuite écrémée, puis par évaporation totale, on récupérait les sels de nitrate.
 Une quantité "industrielle" de grottes ont été ainsi exploitées pour leurs nitrates, et nos pérégrinations souterraines ont permis d'observer d'anciennes exploitations situées près des entrées, mais également très loin sous terre ou dans des secteurs périlleux. En fait, chaque grotte d'une certaine importance avait son ou ses fours à nitrates. Dans la grotte de Gandong, qui fait partie du profond réseau de Zhaidong, près de Yanziping (Hefeng, Hubei), une ancienne exploitation de nitrate a été redécouverte à plus d'un kilomètre de l'entrée. Pour s'y rendre, il faut emprunter, après les grandes galeries du début, un petit réseau labyrinthique et très étroit, entrecoupé de petits puits. Celui-ci donne accès à une salle inclinée assez vaste renfermant une ancienne exploitation. Dans ce cas précis, on peut se demander si c'est uniquement la présence d'un faible écoulement d'eau qui justifie un lieu aussi éloigné et aussi peu favorable car d'une part il faut transporter à dos d'homme les remplissages nitratés pour les purifier, et d'autre part la grotte de Gandong renferme de l'eau dans le tunnel d'entrée (lac en période sèche). Il est donc possible que des exploitations refuges aient été installées loin sous terre pendant les périodes de guerre et d'instabilité. Cela paraît d'autant plus évident qu'il existe parallèlement des grottes forteresses, mais aussi d'anciennes caches d'armes, comme la grotte du Général dans le comté de Wufeng (Hubei), et datant de la guerre civile.
 Près de Wufeng, dans le vaste réseau de Dadong (la grande grotte), des installations pour l'exploitation des nitrates sont étagées en rive droite, un peu à l'intérieur du porche haut de 100 m. Elles ont été abandonnées au cours du XXème siècle. Les dépôts nitratés étaient acheminés à dos d'homme ou de mulets sur un ou deux kilomètres parfois ; pour se faire, une large galerie très basse de plafond à été creusée sur plusieurs centaines de mètres, d'abord pour exploiter ces remplissages nitratés, mais aussi pour atteindre d'autres dépôts situés derrière.- ^ -

II . L'utilisation actuelle des grottes
Les grottes sont utilisées aujourd'hui à des degrés divers. Les exploitations de nitrates ont pratiquement disparus ; par contre on observe encore des habitats troglodytiques permanents. On commence même à exploiter l'air souterrain pour produire de l'électricité. Enfin, de multiples grottes sont aménagées pour le tourisme et de nombreux projets sont en cours : chaque comté digne de ce nom doit avoir sa grotte touristique.- ^ -

A. Les grottes à habitats permanents
Les grottes servant d'habitat permanent existent encore aujourd'hui, surtout en pleine montagne, mais elles deviennent moins courantes. Dans la province du Guizhou, dans le secteur de la grotte-tunnel de la Gebihe, nous avons déjà signalé l'existence d'un véritable village d'une quinzaine de maisons installé sous terre, à l'abri d'une immense voûte en plein cintre, de 70 m de large sur 35 m de haut (Gebihe 89, p. 206). Malheureusement la résurgence de la Gebihe se situe à plus d'une heure de marche ; aussi un savant système de gouttière en bambou a-t-il été construit pour recueillir les gouttelettes tombant des stalactites.
 L'aménagement intelligent des petites cavités sèches en maison permanente peut s'observer çà et là dans la montagne. Ainsi, entre Wufeng et Dadong (Hubei), près de la vaste doline d'effondrement de Dukong, un porche de 8 m de large sur 3 m de haut a été transformé en maison. La voûte sèche sert de plafond, le mur d'entrée est en bois et en pisée tandis qu'un autre mur intérieur ferme la maison. La galerie continue derrière et un espace a été laissé au-dessus du mur du fond pour laisser passer la fumée du foyer. Cette maison indestructible était habitée en 1989 par un vieillard et sa petite fille. A l'intérieur, ce dernier avait mis de côté son propre cercueil qu'il avait fabriqué. Voilà une façon pratique et philosophique de prévoir l'avenir sans être à la charge de quiconque ! Les occidentaux que nous sommes en prennent pour leur grade...
 Dans le comté de Sangzhi, le large porche de la grotte de Zhangjiadong abrite plusieurs maisons, des enclos pour les bêtes (porcs, volailles, ânes) et un lavoir situé en contrebas à l'intérieur de la grotte (chap. 4). Pendant l'été, qui est très chaud et pluvieux, la cavité donne une ombre appréciable tandis que pendant l'hiver la cavité souffle un air chaud. Voilà un exemple parfait d'utilisation de la géothermie, plus exactement de la spéléothermie, et cela bien avant les recherches savantes faites en Occident.
 Enclos et bergeries sont assez fréquents dans les porches de grottes : signalons le cas de la grotte du Général, dans le comté de Wufeng (Hubei), qui présente un vaste porche aval très favorable au parcage des bêtes. Par contre la ferme, avec son toit de bardeaux, a été construite au milieu des cultures avec le traditionnel buisson de bambous à proximité et les fagots de bois pourris pour la culture des champignons noirs gélatineux. La plupart de ces maisons isolées dans la montagne sont aujourd'hui reliés par des fils électriques ; mais il s'agit d'un aménagement sommaire, effectué avec des fils de fer tendus à hauteur d'homme à travers champs. Toutefois le progrès est immense compte tenu du grand nombre d'écarts, et l'on comprend la nécessité de produire de l'électricité à l'échelon local en utilisant les multiples potentialités du karst (cf. infra).
Dans quelques cas, on connaît l'existence de routes qui utilisent des grottes-tunnels. Citons l'exemple de Luchuanyandong, “La route à travers la grotte”, cavité de 1,8 km de développement qui traverse de part en part un petit chaînon en cinq étages distincts, dans le comté de Zhijin (Guizhou). La galerie principale intermédiaire, longue de 300 m et large de 10 à 15 m, a été aménagée pour permettre le passage de véhicules (Guizhou 86, p. 40).- ^ -

B. Les éoliennes souterraines
A notre connaissance, l'exploitation du "vent" souterrain pour produire de l'électricité n'a jamais été réalisée dans le monde. Mais en Chine, l'utilisation des potentialités karstiques va en se développant. Ainsi, une éolienne a été construite récemment dans une grotte située dans le comté de Longshan, au sud de Dayun, dans l'ouest du Hunan. Cette cavité, appelée Guifengdong, ou “grotte du vent des esprits”, présente une circulation d'air importante qui a poussé une équipe locale de techniciens à installer un équipement pour produire de l'électricité à l'échelon local, dans une zone habitée par la minorité Miao. Ce type d'installation, plus original que les microcentrales installées sur les multiples cours d'eau et résurgences, montre une mise en valeur intelligente de toutes les ressources karstiques en favorisant les aménagements  locaux.- ^ -

C. Les grottes touristiques
Actuellement, en Chine, il existe plus de deux cents grottes aménagées pour le tourisme, réparties dans presque toutes les grandes régions karstiques. Leur niveau d'aménagement est cependant très variable ; certaines présentent des sentiers bien tracés, des trajets en barques, mais avec un goût qui ne correspond pas forcément aux critères occidentaux ; d'autres ne possèdent même pas l'électricité. En réalité on peut considérer qu'il existe seulement soixante-dix cavités qui méritent le nom de grottes aménagées. Certaines d'entre elles reçoivent plus d'un million et demi de visiteurs par an ; ce sont souvent des cavités qui ne sont pas, et de loin, les plus belles ou les plus spectaculaires. Elles ont simplement l'atout de se trouver dans des zones fortement peuplées, près de grandes villes, où le niveau de vie et les communications sont mieux développés que dans les montagnes reculées où se situent pourtant les plus belles cavités.
Ainsi, deux des plus belles grottes aménagées du pays, et probablement du monde, Dajidong (Zhijin, Guizhou) et Jiutiandong (Sangzhi, Hunan), restent peu visitées à cause de leur situation, les communications entre les grandes villes et les régions karstiques n'étant pas développées. La fréquentation est essentiellement chinoise et locale, et le nombre de touristes étrangers demeure encore extrêmement faible. En outre l'aménagement tout comme le commentaire des visites font plus appel à l'imaginaire qu'à une vulgarisation scientifique des phénomènes karstiques souterrains, pourtant spectaculaires en Chine. Aucun aménagement n'a encore mis en valeur toutes les activités humaines liées aux cavités, par exemple les exploitations de nitrate ou les habitats troglodytiques. Bien sûr cela ne correspond peut-être pas encore aux attentes du public chinois.
Une chose est sûre : des responsables de comtés sont de plus en plus conscients de l'intérêt que représentent le karst et les grottes, et nous avons pu le constater à Hefeng ou à Yichang par exemple. Cela signifie que le nombre des cavités aménagées va se multiplier dans les prochaines années, ne serait-ce que par un esprit d'émulation entre les comtés et provinces. La Chine n'est plus fermée comme autrefois et l'on commence à mieux circuler, sans parler de l'information télévisuelle et de la publicité qui se développent à grands pas. C'est dans ce contexte de fort développement que s'inscrit l'exploitation énergétique et touristique du karst chinois où vivent, ne l'oublions pas, des centaines de millions de personnes.- ^ -

III . Les barrages et captages souterrains
Les barrages et captages souterrains sont une spécialité chinoise et sont surtout utilisés pour l'irrigation, mais parfois pour l'hydroélectricité. Leur nombre total est inconnu, mais il doit dépasser plusieurs milliers. En Chine centrale on connaît surtout des exemples dans le Sichuan. Souvent, il s'agit de petites constructions destinées à irriguer quelques pièces de terres. Par exemple, dans la grotte de Longwangdong, dans le comté de Wuxi, un petit barrage alimente un canal d'irrigation qui court dans la grotte pendant 200 m, à flanc de galerie, avant de ressortir au jour. L'eau ressort ainsi 20 m plus haut que la résurgence naturelle et permet de mieux irriguer les rizières. Dans le comté de Jiangbei (Sichuan oriental), un réservoir souterrain de 20 millions de m3 se développe dans un aquifère karstique anticlinal. Un petit barrage a été construit dans le tunnel d'accès à la rivière souterraine (YUAN DAOXIAN, 1981).
 Dans les provinces karstiques de Chine du Sud, les barrages souterrains sont plus nombreux. Ainsi, dans le comté de Dushan (Guizhou), on a dénombré jusqu'à seize barrages souterrains pour l'irrigation de 22 000 mu de terres agricoles, soit 1 452 ha. (YUAN DAOXIAN, 1981). La même technique est utilisée à Santang, dans le comté de Zhijin (Guizhou), avec la grotte-tunnel de Luochu. Ici un canal dérive l'eau de la rivière souterraine et emprunte la bordure d'une salle d'effondrement, puis d'un aven et traverse la barre calcaire par un tunnel artificiel. L'eau permet ainsi d'irriguer des champs voisins. Dans le comté de Shanglin (Guangxi), le réservoir de “Dalongdong” est à une autre échelle : d'une capacité de 120 millions de m3, il permet d'irriguer 11 220 ha ! Celui-ci a pu être rempli simplement en bouchant une perte.
 Dans les montagnes du Hubei (comté de Hefeng), la magnifique grotte émergence de Donghe possède une rivière souterraine connue sur plusieurs kilomètres de long (chap. 1). Le débit de celle-ci fluctue en gros entre 0,25 m3/s pendant la période la plus sèche à près de 50 m3/s en hautes eaux. Or cette eau souterraine a été captée à plusieurs kilomètres sous terre (alt. 400 m) par un tunnel artificiel afin de bénéficier d'une dénivellation suffisante pour la conduite forcée qui rejoint l'usine hydroélectrique située à 200 m d'altitude. Le 5/12/92 le débit au captage souterrain était de 1,1 m3/s. La station, construite entre 1985 et 1987, est un modèle du genre dans le Hubei ; mais la production d'électricité est insuffisante en hiver à cause de l'étiage. Pour construire le barrage et le captage à plus de 2 km sous terre, une voie d'accès a été aménagée par une autre entrée naturelle située plus en amont. Dans cette grotte-gouffre, de près de 200 m de profondeur et de 1 km de long, un chemin a été taillé dans le rocher, en particulier dans l'immense salle terminale qui surplombe la rivière d'au moins 80 m.- ^ -

IV . L'exploitation du charbon et les poussières atmosphériques
Quand on visite la Chine l'hiver, on est frappé par la pollution en poussières qui règnent, non seulement dans les grandes agglomérations, mais aussi dans les petites villes. Le problème est simple : l'hiver chinois est caractérisé par un temps stable, anticyclonique, qui favorise le stationnement des pollutions, en particulier les poussières sulfureuses issues de l'utilisation du charbon pour les besoins domestiques. Une étude préliminaire de ces poussières a été effectuée dans plusieurs villes karstiques du Hubei et du Hunan et le long de plusieurs routes ; elle permet de comprendre pourquoi ces régions karstiques de Chine sont des nids remarquables pour l'éclosion des formes diverses de grippes et affections respiratoires qui essaiment largement chaque année dans le monde, en particulier en Europe (ex : la grippe du Guizhou) : en somme un terrain idéal pour les biologistes ! - ^ -

A. L'exploitation du charbon et du charbon de bois
Les veines de charbon sont nombreuses dans les provinces karstiques de Chine et sont largement exploitées depuis 1980, année où DENG XIAO PING a permis l'exploitation artisanale du charbon par les paysans, ceci pour développer les régions montagneuses. Quinze ans après, des milliers de petites mines sont exploitées, souvent dans des conditions difficiles. Mais c'est une question de survie : le bois de chauffe devient rare et le charbon est une aubaine pour ces populations pauvres. Source d'énergie abondante, le charbon permet de se chauffer, de cuisiner, de faire fonctionner les briqueteries, etc.... Pour les centrales thermiques, on utilise le charbon provenant des grandes mines d'état qui produisent chacune plus de 10 millions de tonnes par an. En 1985, les régions karstiques du centre et du sud produisaient 15 % environ de la production nationale, mais cette proportion est probablement supérieure aujourd'hui (Encyclopedia of New China, 1987).
 Le principal problème posé par les petites veines de charbon est sa très mauvaise qualité. La quantité de carbone organique est d'environ 25 à 30 %, le reste étant constitué d'impuretés minérales, en particulier des matières soufrées qui donnent à l'eau circulant par exemple sur des déblais charbonneux une très forte acidité et à l'air une richesse en poussières sulfureuses favorables au développement des bactéries et des algues microscopiques.
 Dans les comtés visités de l'ouest du Hubei et du nord du Hunan, le charbon de bois est encore largement utilisé dans les petits villages et écarts car les forêts, ou du moins ce qu'il en reste, ne sont pas totalement épuisés (il s'agit de forêts secondaires) ; toutefois les réserves en bois s'amenuisent et l'exploitation du bois s'effectue dans des lieux de plus en plus reculés et abrupts, par exemple sur les flancs et au fond des canyons : Donghe (Hefeng) et gorge de Chaibuxi (Wufeng). Mais la déforestation est beaucoup plus avancée dans le Guizhou comme dans la zone de Santang (comté de Zhijin) où la forêt a totalement disparu et laisse apparaître les célèbres shilin ou “dents de pierres”.
 Si le charbon de bois est peu polluant, par contre il n'en est pas de même pour le charbon qui est de plus en plus utilisé dans les agglomérations et à proximité des routes principales. Dans les provinces du Guizhou et du Sichuan, où les veines de charbon sont plus nombreuses, son utilisation est généralisée et pose des problèmes d'accoutumance.- ^ -

B. L'étude des poussières
d'après Simon Pomel

Durant le séjour au Hunan et au Hubei 10 stations de prélèvements de poussières ont été réalisées suivant la méthode des filtres de gaz enduits de glycérine (COUR, 1974). Sept prélèvements représentent des fluxages de poussières en arrière du bus durant les trajets et trois prélèvements sont ceux de stations fixes(photo : 95) durant les séjours à l'hôtel (fig.100). Les filtres ont été rincés à l'alcool et les fractions solides récupérées sur filtre et montées sur lames minces dans le baume du Canada pour examen au microscope polarisant, grossissement 25, 100 et 500 ; 17 lames minces ont été étudiées. Dans certains cas des portions de filtres ont directement été montées sur lames. Les résultats analytiques préliminaires sont les suivants :

- Filtre 1 : station fixe à l'hôtel de Sangzhi (Hunan) du 21/11/92 vers 19 h au 24/11/92 vers 7 h (60 h)
. Lame 1/A : particules charbonneuses brûlées, particules argileuses ferrugineuses rouges, débris sols rouges, rares quartz éoliens, cristaux de calcite, cristaux de calcite ± amorphe (?), baguettes rouges de wüstite ou d'hématite (?) et probablement minéraux cuprifères.
. Lame 1/B : fibrilles charbonneuses noires, particules noires ± rondes (carbone), débris de sols polycristallins et rares éléments ± amorphes, grosses particules de charbon et quartz.
. Lame 1/C : amas noirâtres ± fibreux (charbon), plaquettes rouges (minéral cuprifère), sphérules jaunes de soufre (x 500), cristaux verts (chlorite ou minéral de cuivre ?)
. Lame 1/D : soufre, minéraux bleus de covellite (CuS), différents débris pédologiques, bille de carbone...
Le filtre atmosphérique a piégé durant une période de 60 h environ très peu de débris de roche-mère du Trias régional (roches clastiques, marnes et calcaires marneux). On observe surtout les produits d'érosion des sols et des contaminations urbaines (soufre, carbone, particules de charbon). On observe une légère contamination en poussières depuis la grande mine de phosphorite de Zuoma (?) ou une zone plus proche de carrières dans le karst avec les minéraux associés des paragenèses du cuivre. La région est peu industrialisée et les contaminations des cimenteries sont marquées par de fines particules de calcaire amorphe.

- Filtre 2 : fluxage entre Sangzhi (Hunan) et le nord de Longtanping-Sud Meiping, prélèvement le 24 novembre vers 15 h (environ 50 km).
La lame 2 montre des éléments de roche-mère calcaire fraîche, des particules de calcaire altéré, des débris de roches dolomitiques fraîches, des quartz frais et altérés, des amas argileux, des débris pédologiques, de nombreux éléments riches en matière organique, du charbon de bois. Dans un secteur complexe formé de calcaires et de dolomies cambriennes avec des bancs de cherts, les poussières sur un trajet de 50 km sont surtout composées des produits de décapage de lithosols. Le nord du Hunan est marqué par le décapage très avancé des couvertures végétales et pédologiques à l'exception du secteur des Tianzi Mountains (HUAYI PUBL., 1988 et IFP, 1992) du fait de l'intensification de l'agriculture sur les pentes et les effets des feux. Les sols sont ainsi très sensibles au ravinement et à l'exportation des poussières.

- Filtre 3 : fluxage entre Meiping et Wuliping, prélèvement le 24/11/92 vers 21 h à 41 km de Hefeng vers 1000 m d'altitude (environ 40 km).
La lame 3 montre de très fins cristaux de dolomies, de nombreuses micrites et argiles dans la masse de fond très fine et argileuse, des argiles abondantes, des produits pédologiques très altérés, des quartz éoliens, de la matière organique mélanisée, des charbons de bois et 10 à 20 % d'éléments de sols brûlés. Dans une région montagneuse de roches cambriennes calcaires, les poussières au sol sur 40 km sont caractérisées par une abondance de particules argileuses et de silts calcaires avec une prépondérance de particules de sols incendiés transportés par le vent.

- Filtre 4 : fluxage entre Hefeng et l'ouest de Wantan, prélèvement le 25/11/92 vers 16 h (environ 50 km).
La lame 4 révèle des argiles dans une masse de fond ± carbonatée, de nombreux nodules noirs, rouges et bruns provenant de différents horizons de sols, des amas noirs et éléments de sols argileux jaunes, une masse de fond plus fine et plus argileuse, des particules plus usées et des débris de sols plus abondants que sur la lame 3, de nombreux quartz anfractueux, des quartz à extinction roulante (microquartzites du Dévonien), enfin 10 % de particules noires fibreuses et charboneuses ± usées. Dans une région de roches clastiques du Silurien et du Dévonien, les poussières au sol sur 50 km sont surtout formées par un apport en produits remaniés des différents horizons pédologiques issus de l'érosion des sols rouges et jaunes du synclinal de Hefeng et du grand poljé de Wantan. Cette région est très sensible à l'érosion hydrique et les sols sont souvent remobilisés par les processus hydroéoliens actifs.

- Filtre 5 : fluxage atmosphérique nasal à l'ouest de Wantan, mouchoir personnel prélevé le 25/11/92 vers 16 h (environ 50 km).
La lame 5 montre de nombreux flocons argileux coagulés par du soufre et des silts fins polycristallins, carbonatés et siliceux piégés dans les mucus des fosses nasales. On observe également des colonies sulfato-bactériennes abondantes fixées sur les amas de poussières. Les poussières atmosphériques issues de l'érosion des sols de la zone synclinale et du poljé de Wantan sont sans doute coagulées par des aérosols sulfatogènes. Les sulfates permettent le développement de micro-colonies de sulfato-bactéries qui attaquent les muqueuses. Elles provoquent l'irritation des fosses nasales et de la gorge, obligeant de fréquentes expectorations. Elles sont des vecteurs nutritifs de nombreux microbes pathogènes provoquant des grippes, rhinites, rhino-pharingites, etc. La cause pourrait en être l'utilisation intempestive de charbon ligniteux pour l'énergie industrielle et domestique.

- Filtre 6 : fluxage entre Wufeng et Changleping, prélèvement le 7/12/92 vers 12 h (environ 20 km).
La lame 6 montre des particules très fines avec des silts de dolomies grises, des grains de pyrite de fer, de rares particules métalliques bleues de covellite (CuS), des particules de sols rouges ferrugineux et de nombreuses poussières noires, brunes et grises non calcaires (poussières d'usines ou de cimenteries ?), présence de billes de carbone. Dans une région de roches dolomitiques grises du Cambrien, les poussières au sol sur 20 km sont surtout celles du décapage des dolomies grises et des couvertures ferrugineuses rouges non calcaires. La présence de particules métalliques, de cuivre, de billes de carbone serait liées aux contaminations urbaines et industrielles locales de la région de Wufeng et en particulier des produits d'extraction minière (production de pyrite et de cuivre) et des cimenteries (?) (HEFENG, 1992)
Filtre 7 : station fixe à l'hôtel de Yuyangguan du 4/12/92 vers 19 h au 8 décembre vers 8 h (85 h).
La lame 8/A montre des colonies bactériennes sulfatées avec un nucleus et des développements filamenteux emboîtés et annelés ; la lame 8/B de nombreuses colonies de sulfato-bactéries filamenteuses piégées dans les trames du filtre ; la lame 8/C des particules minérales très fines et des particules de matière organique très brune (composts), de nombreux tests de colonies sulfato-bactériennes filamenteuses, des particules très rouges de tests ferro-bactériens et de nombreux débris de cuivre et particules d'hémato-sidérite ; enfin la lame 8/D (idem) avec des tests sulfato-bactériens abondants. Dans un secteur de roches clastiques du Silurien et du Dévonien, les poussières durant 85 h sont surtout liées à la pollution sulfatogène des charbons ligniteux ainsi qu'à une pollution industrielle éjectant du cuivre (?). Les apports atmosphériques distaux sont de la matière organique fine issue du vanage des sols à nu durant cette période hivernale (sans doute composts des rizières et des zones de maraîchage). La proximité de la rivière favorise le développement des filaments algo-bactériens qui colonisent rapidement les nutriments des particules de composts transportées par le vent avec l'aide des aérosols sulfatés libérés dans l'atmosphère.
- Filtre 8 : fluxage au sol entre Yuyangguan et Wantan, prélèvement le 9/12/92 vers 15 h (environ 100 km).
La lame 8 révèle de nombreuses plaquettes rouges (cuivre), des cristaux de quartz, de calcite et de dolomies, quelques grosses particules charbonneuses, des amas à gels siliceux dans masse de fond argileuse (produits des cimenteries ?). Dans une région de roches clastiques du Silurien et du Dévonien, les poussières au sol sur 100 km sont caractérisées par la présence de produits fins de décapage des roches locales et de la présence de produits des activités extractives (cimenteries et carrières).
- Filtre 9 : fluxage au sol entre Wantan et l'ouest de Yanziping, prélèvement le 9/12/92 vers 18 h (environ 20 km). La lame 9 montre de nombreux quartz éoliens et altérés, des cristaux de dolomies, des éléments de microquartzites, des débris de phyllites et de schistes, des éléments du Trias, des débris polycristallins (sols), des débris noirs, des éléments de sols jaunes, des amas noirs et brun à rouge, de petites particules de sulfate de calcium et de rares plaquettes rouges (cuivre ?). Les poussières au sol sur un trajet de 20 km reflètent les roches-mères locale : Trias calcaire et dolomitique et les reliquats des couvertures schisto-phylliteuses. On observe l'importance des apports éoliens et pédologiques fins et le nourrissage en sulfate de calcium. Il pourrait être lié à la remobilisation du gypse à partir des nappes évaporant dans les zones de riziculture des grands poljés du synclinal de Yangziping.
- Filtre 10 : station fixe à l'hôtel de Hefeng du 17/12/92 vers 15 h au 29 décembre vers 10 h (283 h).
La lame 10/A révèle des microquartzites, des quartz de roche-mère schisteuse, une bille de verre jaune, du soufre,une bille de carbone et un agglomérat de billes de carbone, des fragments charbonneux noirs, de rares cristaux de sulfate de calcium, des quartz éoliens, un test siliceux d'opale, des phytolites, des éléments brisés d'achariens... La lame 10/B indique la prépondérance d'éléments charbonneux noirs et montre de la pyrite de fer, des billes de carbone, du verre brun, des cristaux de soufre fixés à des particules charbonneuses, une bille et une plaquette jaunes (soufre ?), une bille et une plaquette bleues (CuS ?)... La lame 10/C est identique et présentent de nombreux éléments de pyrite de fer. Les contaminations atmosphériques durant 12 jours (283 h) à Hefeng représentent un excellent marqueur d'une pollution urbaine classique avec des apports modestes des roches-mères du Trias et des apports éoliens en quartz et en gypse. La contamination principale est urbaine et provient des fumées issues de la mauvaise combustion de charbon pyriteux, qui engendrent des aérosols et la minéralisation du soufre tout en favorisant le développement des achariens.
 Les résultats préliminaires attestent de zones plus sensibles à l'exportation des poussières pédologiques et surtout les effets nocifs des rejets de fumées sulfatogènes liées à la combustion de charbons de mauvaise qualité. Ils ont une incidence non négligeable sur l'apparition d'infections rhino-pharingées tenaces. L'étude des poussières en micropétrographie directe sur filtre est une voie nouvelle et très prometteuse. Avec des moyens très peu onéreux, elle permet de faire un bilan assez fidèle : 1) des apports atmosphériques locaux et distaux au système karstique ; 2) de la part entre l'érosion hydrique et éolienne dans le décapage des couvertures pédologiques ; 3) des contaminations urbaines et industrielles. Elle nécessitera à l'avenir d'être couplée aux études palynologiques, comme celles utilisées au Sahara (SCHULZ et POMEL, 1990), et de passer au stade quantitatif pour représenter une estimation fiable. - ^ -

Conclusion
L'exploitation actuelle des grottes, en Chine centrale et méridionale, présente une diversité remarquable : habitats pour l'homme, enclos pour les bêtes, exploitation de nitrates (rares), barrages et captages (irrigation, hydroélectricité), éoliennes, routes, aménagements touristiques... On observe même des cultures dans d'anciennes grottes dont le plafond a disparu. Cette relation étroite entre l'homme et le karst remonte au Paléolithique avec l'occupation des premières grottes, puis la fonction refuge s'est développée largement au cours des périodes troublées de l'histoire de Chine, et cela jusqu'au XXème siècle avec la guerre civile. Aujourd'hui, les multiples fortifications souterraines et les exploitations de nitrate sont les témoins privilégiés de cette utilisation intensive des grottes au cours des derniers siècles, notamment lors des révoltes paysannes qui se sont développées dans les montagnes du Guizhou, du Hubei et du Hunan.
Aujourd'hui, les karsts de montagne de Chine centrale témoignent d'une intensification de l'agriculture avec le développement des cultures sur pentes, avec les risques d'érosion induits. Dans le même temps, le développement des agglomérations se traduit par une pollution atmosphérique due aux poussières et fumées dégagées par la combustion d'un charbon de mauvaise qualité très sulfureux. L'étude des poussières, en ville et sur route, a permis de mettre en évidence le rôle néfaste de ces aérosols dans le développement de colonies bactériennes, et constitue une approche nouvelle dans l'étude de l'environnement. Quand on visite la Chine l'hiver, on est frappé par la pollution en poussières qui règnent, non seulement dans les grandes agglomérations, mais aussi dans les petites villes. Le problème est simple : l'hiver chinois est caractérisé par un temps stable, anticyclonique, qui favorise le stationnement des pollutions, en particulier les poussières sulfureuses issues de l'utilisation du charbon pour les besoins domestiques. Une étude préliminaire de ces poussières a été effectuée dans plusieurs villes karstiques du Hubei et du Hunan ; elle permet de comprendre pourquoi ces régions karstiques de Chine sont des nids remarquables pour l'éclosion des formes diverses de grippes et affections respiratoires qui essaiment largement chaque année dans le monde, en particulier en Europe (ex : la grippe du Guizhou) : en somme un terrain idéal pour les biologistes ! - ^ -


Karstologia Mémoires N° 6 Année 1995 DONGHE 92 - ISBN : 2-7417-0162-8