Donghe 92 Sommaire

Chapitre 11: Le karst et L'évolution des paysages agraires (Rappel de l'histoire rurale en Chine et zonation des cultures dans les montagnes du Hubei-Hunan)


Simon POMEL, Bernard COLLIGNON

“Ah ils désherbent,, ah ils défrichent ! Leurs charrues ouvrent le sol. Des milliers de couples dessouchent, les uns dans les terrains bas, les autres dans les terrains élevés” (Chansons du Che- King).
"Je viens moi aussi de la campagne... La Science et la raison occidentales n'ont pas pénétré dans ces régions, mais les gens des campagnes de Chine ne manquent pas d'opinion sur le monde et la vie" (Han Shaodong, "Femme, Femme, Femme", 1991)
Résumé - Abstract - Zusammenfassung :Les paysages agraires des karsts montagnards de Chine centrale résultent d'une longue et intense occupation humaine. L'évolution holocène et historique des paysages agraires est archivée dans les séquences de remplissages des poljés et dans les remplissages souterrains des ponors (sols érodés, charbons de bois). Les crises sociales ont fortement marqué l'espace rural de ces régions de refuge. Une histoire rurale est proposée pour cette région, berceau de la civilisation Song du sud et terre de riziculture des variétés des riz de montagne. Au cours du XIème siècle, l'essor rural puis au XVIIIème l'introduction de nouvelles plantes vont provoquer une explosion démographique, une extension des terroirs et le décapage du karst.
L'érosion des sols au cours du XXème siècle peut être étudiée également à partir du décapage des crypto-lapiés ; ces champs de dents de pierres rendent l'agriculture impossible. Entre 1950 et 1970, la très forte augmentation de la population est responsable d'une forte emprise rurale. Dans les dix années qui suivent la réforme agraire de 1950, les terres sont redistribuées à 300 millions de familles. Les conséquences sont la multiplication des parcelles, l'augmentation de la surface cultivable (donc des terrasses), l'augmentation de la consommation de bois, une intense déforestation et une érosion des sols dans certains secteurs des karsts coniques. Depuis 1980 (réforme économique générale de Deng Xiao Ping), les paysans cultivent une partie plus importante des terres pour leurs besoins personnels et le commerce. Les fonds de poljés, ouvalas et grandes dolines sont occupés par du maïs, des cultures maraîchères, du tabac et du thé. Le riz est cultivé plus bas, au fond et sur le flanc des grandes vallées dans les terrains imperméables du Trias (Hefeng).
De remarquables associations de cultures dans les dépressions karstiques dénotent une utilisation optimum des terroirs et une longue évolution des systèmes culturaux. Les techniques d'assolement et d'amendement sont très sophistiquées et attestent des influences à la fois des cultures Han, Miao et en provenance d'ethnies méridionales, voire une influence occidentale récente (culture sous serre plastique). Actuellement on assiste à une légère dépression rurale commencée depuis la fin de la Révolution Culturelle. Cependant, comme le contrôle de la natalité varie selon les communautés (les Tujia ont droit à plusieurs enfants par famille), la pression démographique se poursuit. La déforestation actuelle continue pour les besoins du bois de chauffe (charbon de bois) dans les secteurs les plus reculés, en particulier sur le flanc des canyons et sur les versants escarpés. Des terres nouvelles sont défrichées et des parcelles sur pente se développent sans murs de soutènement, tandis que certains terroirs sont abandonnés depuis la dernière guerre et la période maoïste.
Mots-clés : karst, structure agraire, agriculture, riz, déforestation, sols, érosion, remplissages, poljés, démographie, Révolution Culturelle.


Introduction

En Chine, en particulier dans les montagnes karstiques, les paysages agraires ont enregistré les nombreuses crises sociales par le biais des crises érosives, avec à chaque fois des réponses paysannes (chap. 10) qui se manifestent par des mosaïques complexes d'aménagements. Pour ne citer qu'un exemple au nord de Dayong, dans la partie centrale du Hunan, on observe des mosaïques forestières et déforestées depuis la période de collectivisation. Les terrasses cultivées de bas-fond recoupent les anciens niveaux de base du karst, preuve de la pérennité des aménagements. Les gammes de sols sont également très dépendantes des séquences d'aménagements, même dans les secteurs actuellement boisés.
Dans les secteurs déforestés, il existe plusieurs périodes de construction des terrasses en réponse aux déstabilisations des versants :
- des ensembles anciens avec des fortifications végétales très élaborées de type bocager sont perchées au-dessus des thalwegs et sont soutenues par des murs en grand appareil avec des blasons sculptés, attestant un investissement en travail de type esclavagiste (?) ;
- des aménagements plus récents sont emboîtés dans ce réseau et sont jalonnés par des périodes d'incision peut-être durant le Moyen-Age chinois et le XVIIIème siècle.
Actuellement le système est tamponné du fait du manque de combustible ligneux et parce que les briqueteries, bien que nombreuses, fonctionnent avec une énorme consommation de charbon ligniteux. La stabilité est à nouveau menacée par les nouvelles cultures sans terrasse.
Comme le montre cet exemple introductif, il est nécessaire de rappeler d'abord les grandes étapes de l'histoire rurale de la Chine tant les jalons de cette longue domestication des paysages sont complexes. D'ailleurs, l'une des manifestations les plus spectaculaires de l'histoire rurale chinoise est la lente sélection des plantes alimentaires ou utiles, leur amélioration ou de leur introduction. L'extrême variété des associations de cultures et l'exploitation optimale des espaces karstiques sont les manifestations captivantes des réponses paysannes. Permanence et adaptation, voilà ce qui caractérise le monde paysan chinois depuis des millénaires.
I . Rappel de l'histoire rurale en Chine
L'histoire rurale de la Chine se confond avec l'histoire même du pays, et l'histoire des paysages agraires de la Chine centrale se confond aussi avec celle d'une longue domestication de la nature. Elle obéit au grand principe de Laozi (604 à 517 av. J.-C.) fondateur du Taoïsme : “ne faire qu'un avec la nature”. Par sa continuité remarquable, elle associe comme la pensée chinoise, le temps et l'espace dans une mosaïque des saisons et des calendriers de travaux. Cette idée que les mutations de la nature sont en relation avec celles des sociétés est apparue entre le IIIème et le IIème siècle av. J.-C. (GRANET, 1988). Jamais les Chinois n'isolent l'homme de la société, et la société de la nature. Cette philosophie impose très tôt un système de macro- et microcosmes et donc l'idée d'aménagement. Elle est fondée sur des recettes, en particulier celles du bien public, avec les idées de Confucius, puis avec Tong Tchong-Chou (IIIème siècle av. J.-C.) s'impose l'idée d'un gouvernement par l'histoire.
L'histoire rurale coïncide aussi avec l'expansion des Han qui débute entre le IIIème et le IIème millénaire av. J.-C. (EICKSTEDT cité par BUCHANAN, 1973), et va peu à peu assimiler les groupes périphériques comme les Thaï. Le premier mouvement réellement colonisateur se situe vers la fin du IIIème siècle et le début du IVème siècle (298-319 ap. J.-C.) et le second se réalise lors de l'invasion mongole au début du XIIème siècle. A partir du Sichuan, des vagues de peuplement totalisant près de 700 000 personnes atteignent le Hubei et le Hunan. Le mouvement parvient à Yichang sur le Yangtse au XIIIème siècle, mais Canton est pénétré dès 255-206 av. J.-C. sous les Tsin. L'apogée est marquée par l'installation de la capitale du Royaume de Wu entre 222 et 280 ap. J.-C. à Wuchang dans le Hubei. Durant la période de la dynastie des Liang (entre 555 et 586 ap. J.-C.) la capitale est à Jiangling dans le Hubei. Durant la période des Dix Royaumes (entre 935 et 963) la capitale des Pïnd du Sud, celle du Royaume de Namping est à Jingzhou (Hubei) et celle du Royaume de Chu à Changsha (Hunan) entre 927 et 951. A partir de cette période, le sud demeure un foyer autonome et très important. Le Moyen-Age chinois, entre le XIème et le XIIIème siècle, marque les paysages ruraux, transforme les terroirs de collines et de montagnes avant la révolution des nouvelles plantes qui débute au XVIème siècle (HO Ting-Pi, 1959).
A. Une lente domestication des paysages
1. Les origines
Les origines des civilisations chinoises sont attestées par des sites de plus en plus nombreux et actuellement reculés par de nouvelles datations. L'homme de Pékin découvert en 1927 en Chine du Nord, Sinanthropus pekinsis nommé ensuite Pithecanthropus pekinensis (plus de 500 000 ans), a déjà des outils rudimentaires, utilise le feu. Sur le site de Zhoukoudian, découvert en 1923, un Homo sapiens pratique inhumation et échanges il y a 20 000 à 30 000 ans.
Les découvertes vont se succéder : en 1957 un Ramapithèque est daté vers 10 millions d'années à Kaiyuan (Yunnan), un Homo erectus à Yuanmou (Yunnan) est daté 1,7 million d'années, puis en 1963, un Homo erectus lantianensis de 0,6 à 0,7 million d'années, est découvert près de Xi'an (Shaanxi). Le Paléolithique inférieur est jalonné par le site de Zhoukoudian et celui de Shuidongkou au Ningxia. Le Paléolithique moyen est présent sur les sites de l'Ordos, de la vallée de la Fen (Shanxi) et au Guangdong. Le Paléolithique supérieur, en plus du gisement de Zhoukoudian, apparaît au Yunnan et au Guangxi.
La période mésolithique est plus frustre : peuplement de Changyang (Hubei), au Shanxi, au Guangdong et au Guangxi. Dans l'ensemble il existe un véritable hiatus des cultures épipaléolithiques en Chine (TROLLIET et BEJA, 1986). Dans les régions de la Chine du Sud-Est, cette période correspondrait à l'élaboration des cultures de type "proto-Thaï" qui associent des cueilleurs et des chasseurs. Actuellement elles sont basées sur le travail du bambou, du fer, une longue domestication du buffle, l'agriculture sur brûlis et la riziculture en terrasses, qui sont autant de survivances : il convient d'en retracer les jalons.
2. Le Néolithique chinois
L'expansion néolithique qui démarre entre le IXème et le VIIIème millénaire avant J.-C. n'aurait pas laissé de traces très précoces en Chine du Nord, mais elle est liée à des phases de peuplement Han. Au IIIème millénaire avant J.-C. les peuples constituant les trois ethnies Miaos sont combattus par les Han et peu à peu assimilés ; ce sera la marque d'une seconde période très importante pour l'agriculture.
Vers 5 000 av. J.-C les villages paysans sont brusquement peuplés dans les pays du loess, avec un système agricole déjà très élaboré. Plus de 6 000 sites du Néolithique (9 000 à 2 000 av. J.-C.) ont été découverts. Le plus ancien remonte à 9 360 environ avant J.-C. et ne se trouve pas en Chine du Nord, mais dans le Guangxi (cité par GENTELLE, 1989). Il existe donc un hiatus entre l'homme des grottes et les villages néolithiques en Chine du Nord, villages très peuplés de communautés villageoises nombreuses (BUCHANAN, 1973). Il s'y pratique une culture complexe avec le millet, céréale de base complétée par le riz en provenance de l'Asie du Sud-Est et la domestication du chien, du porc, du mouton et des bovins. Les techniques de poteries sont très évoluées, avec un berceau dans le bassin du Hanghe (Fleuve Jaune). Cependant la poterie apparaît dès le 8ème millénaire avant J.-C. au Japon (cité par BUCHANAN, 1973) et il n'y a pas de raison pour que la technique soit plus tardive sur le continent chinois.
En Asie du Sud-Est plusieurs sites sont occupés très tôt en Thaïlande, "Spirit Cave" entre 11 000 et 5 500 av. J.-C., “Steep Cliff Cave” de 5 500 à 3 500 av. J.-C. et “Banyan Cave” entre 3 500 av. J.-C. et 900 ap. J.-C. Les sites de la vallée de Bang Pakong sont intensément occupés entre 5 800 et 4 500 av. J.-C. avec des traces d'incendies répétitives. Les graminées résultant des défrichements et associées à l'agriculture sur brûlis font leur apparition vers 4 500 / 4 000 av. J.-C. (HIGHAM, 1989), au même moment où sont attestées des traces de culture de riz sur le site de Hemudu (province du Zhejiang). Sur ce dernier site, les analyses permettent de penser que le riz était déjà cultivé bien avant le début de l'occupation de Hemudu (LIU YUN, cité par HIGHAM, 1989).
Pour CHANG (1981), le plus ancien site de Hemudu est situé au bord d'un lac ; il a fourni en abondance des houes en os et des tessons. Culture du riz et élevage du porc étaient pratiqués dès la fondation du village, avec quatre occupations successives entre 6 310 et 6 000 ans (± 1 000) et 5 895 ans BP. Ces pratiques étaient donc déjà répandues et il faut chercher leur origine encore plus loin dans le temps (AKAZAWA, 1990). Au Japon, les sites sont plus tardifs et les chasseurs-cueilleurs adoptent la culture du riz, prouvée par des phytolites, seulement vers 3 000 ans BP. Cependant, du sarrazin est daté vers 6 600 ans (± 75) BP et des cucurbitacées, des haricots, des petits pois et du mûrier à papier vers 6 030 ans (± 100) BP (TSUKUDA et MORIKOWA, cités par AKAZAWA, 1990). Le plus ancien millet découvert a été cultivé en Chine sur le site de Shuangmiaogou près de Luoyang vers 5 000 ans av. J.-C.
En conclusion, il n'est pas évident comme le signale HARLAN (1987), que la Chine septentrionale soit un centre de domestication des espèces cultivées et de ce fait le foyer initial de néolithisation et d'agriculture en Chine. Beaucoup trop d'espèces proviennent du sud de la Chine : riz, haricots, ignames, flèche d'eau, amande de terre, abrasin, arbre à lard, olivier chinois, néflier, noyer, lichti, châtaigne d'eau, canellier chinois, concombre, poivre chinois, gingembre, abutilon, ramie, thé, camphrier, bambous, arbre à laque, indigo, limettier, bigaradier, pamplemoussier, citronnier, etc. Dans tous les cas, la Chine a constitué un centre très précoce d'émergence du Néolithique avec probablement des liens en Chine du Sud avec les civilisations Hoabinhiennes déjà très élaborées au VIème millénaire avant J.-C. (GUILAINE, 1989).
Au Moyen-Orient dans la vallée du Jourdain, la ponction des chèvres, les coupes pour le bois d'oeuvre et le combustible pour la chaux ont joué un rôle déterminant dans la détérioration climatique vers 6 000 av. J.-C. après une installation datant de 8 500 ans av. J.-C. (ROLLEFSON, 1994). Un impact anthropique lors de l'intensification des brûlis et des coupes auraient-ils pu contribuer en Chine centrale à la dégradation climatique que l'on observe vers 10 000 ans BP, soit près de 2 000 ans plus tôt ? (cf. chap. 6 et 10)
3. La domestication des plantes
L'agriculture chinoise a été dès le début une agriculture de maraîchage et elle l'est demeurée. L'ancienneté de la domestication des plantes est prouvée en Chine par une abondante littérature. Dans le Livre des Odes, dont les fragments datent du XIème au VIème siècle av. J.-C., sont citées 150 noms de plantes, dont 10 variétés d'Artemisia, Panicum miliaceum, le mûrier, le chanvre, etc. Sur près de 120 espèces de légumes cultivés en Chine, la moitié serait d'origine chinoise (METAILIE, 1989). Les cultivars locaux se comptent par milliers et près de 300 espèces d'arbres et d'arbustes sont exploités. La très grande diversité actuelle, bien supérieure à celle observable en Europe (GOUMY, 1947) est le signe d'une longue domestication et d'une grande capacité à adopter des plantes nouvelles : succès de l'olivier ces dernières années dans le Hubei ou de la cosoude, plante fourragère.
La domestication des plantes a pu se développer très tôt en Chine centrale. L'Homme a rencontré dans ces montagnes tropicales, soumises aux moussons, une grande variété de plantes et une abondance d'espèces ligneuses constituant des réserves alimentaires : Gymnospermes (pin, cyprès, Podocarpus, ginkgo), feuillus (hêtres, châtaigniers japonais, érables, tilleuls, ailanthes, légumineuses et rosacées arborescentes), palmiers et bambous, etc. De très nombreux arbres fruitiers de variété chinoise sont connus (HAUDRICOURT, 1987) : variétés du nord (poiriers, pommiers, pêchers, pruniers, cerisiers, merisiers, aubépiniers, cognassiers, oliviers, jujubiers, noyers, noisetiers, arbres à Pécan, amandes du ginkgo et des conifères) ou espèces du sud (kaki, bibassier, lichti, actinidie, wampi, nagi et agrumes).
En même temps que la domestication du porc, l'homme néolithique sélectionne les ignames (Dioscorea bataltas et D. japonica) et les taros (Colocasia antiquorum et Amorphophallus konjac). Une céréale, le panic (Setaria italica), était très connue au Néolithique en Chine et en Europe (HAUDRICOURT, 1987). La variété des légumes cultivés est étonnante et leur multiplicité atteste le passage du stade de ramassage à celui de la protoculture. La liste ne pourrait être exhaustive : navet chinois (Brassica napiformis), kudzu, souchet chinois (Eleocharis tuberosa), crosne, lotus d'eau, hydropyre, Ustilago esculenta, liseron d'eau, mâcres, lis comestibles, choux chinois, ciboule, oignon et ail chinois (Allium macrostemum), laitue, melon chinois, chrysanthèmes, fuki, asperge tubéreuse, rhubarbe officinale (plante cultivée pour ses vertus médicinale et exportée en occident avant le XVème siècle), etc. Certains ont été introduits anciennement : moutarde-salade, aubergine, concombre, ail (Allium sativum), épinard, etc.
Les céréales sont variées et propagées à la période préhistorique : certaines sont probablement originaires d'Extrême-Orient (millet et Panic), mais un millet archaïque, le païdza, est encore cultivé en Chine. Au millet vont s'ajouter le soja au nord et le riz au sud. L'orge a été domestiqué à partir d'Hordeum agrocrithon, comme l'Avoine à partir d'Avena fatua. Le Sarrazin a sans doute été sélectionné dans les montagnes de la Chine occidentale à partir de Fagopyrum tartaricum.. Le blé serait parvenu d'Iran par le Turkestan. L'influence de l'Occident s'est manifesté à trois périodes principales (HAUDRICOURT, 1987). Au Néolithique, depuis l'Iran avec l'introduction du Boeuf et du Cheval, puis à l'âge du bronze (Dynastie Chang) avec l'arrivée du Blé, puis de la charrue (Dynastie Tchéou). Le sorgho parviendrait en Chine au début de notre ère. Le culte du végétal (bambou, orchidées - Cymbium, chrysantèmes) est mentionné sous les Tang (618-907) et le gingko n'est parvenu jusqu'à nous que planté dans l'enceinte des temples. Une autre période capitale est le XVIème siècle avec la découverte des Amériques. Le maïs, originaire du Mexique, a été introduit au XVIème siècle et a concurrencé les millets traditionnels. Le Voyage de Marco POLO qui traverse une partie du Hubei en direction du Sichuan et la publication de la carte du Vénitien RAMUSIO G.B. (1485-1557) seront des époques importantes pour les contacts. De 1517 à 1520, l'ambassade de Tomé PIRES, herboriste mort en 1524 à Pékin, est un moment capital pour les échanges.
Il existe un riz gluant employé pour l'alcool et les gâteaux, un riz de montagne et le riz ordinaire inondé. Avant d'être cultivé, le riz ordinaire (Oryza sativa) poussait comme une mauvaise herbe (type O. nivara) dans les champs de taros depuis le Bengale jusqu'aux Philippines. On compte 40 000 cultivars de riz en Chine sur les 120 000 actuellement connus dans le monde (cité par GOUROU, 1984). C'est une preuve supplémentaire d'un foyer de domestication en Chine. Sur le site de Songzi, à Shanghaï, des restes de riz ont été datés vers 4 000 av. J.-C. et dans le Zhejiang vers 3 300 av. J.-C. (HARLAN, 1987). Dans le Henan, à Miaotikou, le riz est daté entre 3 880 et 3 280 avant J.-C. (TE-TZU CHANG, cité par GOUROU, 1984). Il est probablement encore plus ancien sur le site de Hemudu. La riziculture inondée pratiquée par les populations préchinoises était peu intensive. Cependant ces agriculteurs mettent progressivement au point les techniques intensives, dans certains cas au contact avec des populations chinoises : labour à la charrue, planage à la herse, irrigation, repiquage, fumure (GOUROU, 1984). Au XIème siècle de notre ère, les Chinois importent du Vietnam un riz hâtif qui révolutionne leur système de production.
Le riz présente une tendance à taller abondamment et se prête à la sélection. Plante tropicale, il est apte à prospérer aux latitudes moyennes. Comme le blé, le riz pratique une photosynthèse qui aboutit à la formation de C3, le maïs et le sorgho étant des plantes à C4 se comportant mieux aux températures élevées. On a ainsi proposé (WHYTE, cité par GOUROU, 1984) de relier la souplesse adaptative du riz aux changements climatiques qui se sont produits en Asie des moussons et en Chine centrale et méridionale, tant pour les températures que pour les pluies durant l'Holocène. Il y a lieu de réfléchir à cette question posée précisément pour le changement climatique qui intervient entre 15 000 et 10 000 ans BP (cf. chap. 6 et 10). Ces changements, marqués par plus d'humidité et plus de contrastes saisonniers, avec l'installation d'une mousson active et des interactions d'hiver, auraient pu favoriser la naissance des plantes annuelles, plus souples et meilleures productrices que les plantes-souches pérennes.
En effet, le riz a besoin de 1 000 à 1 200 mm d'eau durant la période végétative, sa capacité de diffusion de l'oxygène est 10 fois supérieure à celle de l'orge et quatre fois supérieure à celle du maïs, il prolifère dans les terrains détrempés et supporte bien les sols acides, mais il est exigeant en azote (20 kg d'azote étant nécessaire à une récolte de 1 000 kg). Le développement bactérien et des algues bleues, attestés dans les poljés de Chine centrale au début de l'Holocène (cf. chap. 10), a pu favoriser la domestication de la plante. Ce processus est d'ailleurs largement utilisé par le déversement de fougères aquatiques (azolles) qui organisent une symbiose avec les algues (GOUROU, 1984).
Parmi les légumineuses, le soja est indigène, comme l'adzuki (Vigna angularis) et le hassiü (Stizolobium Hassjoo), d'autres haricots sont allochtones. Le soja est mentionné en 664 av. J.-C. sous les Zhou. Les plantes oléagineuses (radis, chanvre) sont nombreuses en Chine et surtout les arbustes : tong, abrasin ou Aleurites cordata dont l'huile produit le noir de fumée, base de l'encre de Chine. De nombreuse épices (poivres, cannelle, canis étoilé) ont été domestiquées en Chine, les textiles (Ramies, Abutilon avicennæ), les palmiers, sagoutiers, mûriers, et les tinctoriales (Polygonum tinctorium bleu, Strobilanthes flaccidifolius, Rubia cordifolia, et Lithospermum erythorrhizon rouge). Astragalus sinicus est utilisé comme engrais.
Le thé (Camellia sinensis) semble une boisson assez récente, mais cependant originaire de Chine méridionale et du Sud-Ouest.
La domestication du riz, parmi toutes les espèces sélectionnées, a nécessité et favorisé très tôt une dimension sociale et religieuse (fécondité) avec le renforcement des liens collectifs. Elle a suscité la division du travail (aménagement de terrasses d'inondation, usage de l'eau en commun, main d'oeuvre abondante et divisée). Elle a exigé une conception gestionnaire précoce des espaces agraires (intensivité, rotation, fumure, contrôle de l'eau en drainage et en irrigation). La domestication du riz a été le moteur et l'expression la plus patente de la néolithisation précoce. Cela favorisera un fonctionnement sans hiatus de l'histoire rurale chinoise. L'intensivité de l'agriculture chinoise est un vestige actuel de cette lente évolution : 4 200 kg de padi à l'hectare contre 2 050 pour l'Inde (BUCK, cité par GOUROU, 1984), mais au prix de 200 jours de travail par récolte (AUBERT, 1981, cité par GOUROU, 1984). Cependant il n'est pas du tout certain qu'il n'y ait pas eu de transition entre les agricultures de "ray" (sur brûlis) et l'intensivité des rizières, particulièrement dans les poljés karstiques. L'écobuage a certainement été pratiqué très tôt pour planter des variétés d'Oryza montana, directement sélectionnées des espèces sauvages.
4. La médecine des plantes
La médecine chinoise est un indicateur actuel patent de l'ancienneté de la domestication des plantes. Bien que la biomédecine soit devenue médecine officielle en 1912, la médecine traditionnelle des plantes n'a pas disparu et elle témoigne de l'ancienneté et de la permanence des pratiques de la phytothérapie : l'armoise qui embaume les cliniques d'acupuncture en est un exemple. L'encyclopédie de la pharmacopée traditionnelle chinoise (2 700 p.), publiée en 1977, répertorie 5 767 substances utilisées (MORGENSTERN et al., 1990). Actuellement une centaine d'espèces médicinales sont cultivées et plus de 4 000 proviennent de la cueillette. Parmi les plus importantes : la salsepareille, l'opium (Papaver somniferum), le ginseng (Panax ginseng), le savonnier, les arbres à cire (Sapium sebiferum), à laque (Rhus vernicifera), le camphrier (Cinnamomum Camphora). La médecine s'intègre dans une étiopathologie, mais elle a recours à une pharmacothérapie complexe basée sur une combinaison des produits naturels suivant les anciennes techniques taoïstes (DESPEUX, 1989).
La Chine est ainsi un foyer ancien de domestication des plantes de ramassage et d'agriculture et il a rayonné. La pérennité de la civilisation chinoise a favorisé la variété des espèces et l'agriculture chinoise devrait avoir succédé sans hiatus au simple stade de cueillette surtout des plantes d'eau (cas de la mâcre ou châtaigne d'eau, de la sagittaire et du riz), mais aussi de la bardane, du plantain et des fleurs alimentaires (chrysanthèmes et lis). Cette longue évolution a pu mâturer en Chine centrale, dans un secteur de contact écologique et humain assez exceptionnel.
Par contre, dans l'histoire rurale chinoise, on est frappé de la faible part fait à l'élevage, à l'exception du buffle. Malgré les multiples contacts avec des populations d'éleveurs, voire des soumissions à des pasteurs, les Chinois n'ont guère développé l'élevage, bien qu'il n'était pas négligeable à l'origine. SION (1923) signale l'existence, au IIème siècle de notre ère, de grands haras et des troupeaux de moutons. L'intensivité de l'agriculture aurait sans doute joué un grand rôle dans l'élimination des pâtis. Finalement la fidélité des civilisations agraires chinoises à leur mode de vie a fini par en assurer la permanence et cela malgré une histoire démographique et sociale fort mouvementées.
5. Explosion démographique et échanges des plantes ?
Durant la longue période antique et surtout après le règne d'Alexandre, de nombreuses plantes parviennent assez rapidement en Chine : luzerne et vigne vers 126 av. J.-C. (mais il existait des espèces indigènes de Vitis et de Medicago), noix, concombre, poix, épinard, haricots, ciboulette, coriandre, figuier, safran, sésame et grenade en provenance d'Iran entre le IIème et le VIIème siècle ap. J.-C. (LAUFER, cité par HARLAN, 1987). Ces contacts sont directs ou dus aux voyageurs et navigateurs arabes. Les Chinois apprennent des indiens à bouillir le sucre en 647, de l'Egypte à le raffiner à l'époque mongole. Le coton d'Inde, encore un luxe impérial au VIème siècle, n'est guère répandu avant le XIIIème siècle (SION, 1923).
En revanche, les plantes chinoises mettent beaucoup de temps à s'étendre hors de leur patrie : le riz est encore inconnu en Europe avant la fin du règne d'Alexandre ! Certaines, comme le pêcher, demeurent longtemps inconnues de l'Occident ou ne s'expatrient qu'avec l'arrivée des navigateurs européens. Nous n'avons malheureusement que peu d'informations interprétables durant les périodes antiques et médiévales des échanges botaniques.
Au cours du temps, la population chinoise a augmenté lentement jusqu'à son niveau actuel. En l'an 2 ap. J.-C., la population était estimée à 59,6 millions ; en 1393 à 60,545 millions, soit aucune augmentation en 14 siècles ! En 1542 : 62,6 millions et en 1600 : 150 millions, soit un doublement en 160 ans. En 1700 : 150 millions, à nouveau stagnation, avec les révoltes populaires à la fin des Ming et la conquête mandchoue (1644) ; en 1779 : 275 millions et en 1794 : 313 millions, un doublement. A deux reprises, la population a doublé en quelques dizaines d'années. La première augmentation s'est produite au XIème siècle et la seconde au XVIIIème siècle (HO Ping-Ti, 1959).
Au Moyen-Age, on se perd en hypothèses, mais l'intensification des techniques agraires et la modification du régime foncier seraient responsables de la croissance démographique, durant une période allant du IXème au début du XIIIème siècle, la population doublant pour atteindre 120 millions. L'occupation mongole, entre 1220 et 1368 aurait provoqué au contraire une très forte chute (CARTIER, 1989).
Durant la période moderne, le phénomène de croissance (le jésuite Matteo RICCI et les géographes du XVIIème siècle font état de 200 millions) aurait suivi l'introduction par les marins portugais de divers végétaux cultivables provenant d'Amérique. Les arachides, les pommes de terre, mais également le piment (Capsicum) et les tomates poivrons, le tabac (Nicotina rustica péruvien et Nicotina tabacum), le coton, la patate douce (Ipomoea batatas), le haricot noir (Phaseolus), la courge (Cucurbita pepo), le figuier de Barbarie (Opuntia ficus indica) sont introduits. Le cas le plus connu est celui du maïs qui est parvenu par voie terrestre (route de la soie) et maritime. L'agriculture n'a plus été confinée au delta des rivières et aux plaines, où l'irrigation nécessaire à la culture du riz était possible ; les cultures de ces nouvelles espèces se sont développées à flanc de colline, aux dépend de la forêt, en provoquant l'érosion des sols, progressivement devenus improductifs.
La totale allochtonie de certaines plantes dites américaines n'est cependant pas absolument démontrée. La faible exploitation des sources écrites chinoises demeure encore une cause d'imprécision (METAILIE, 1992). Certaines plantes sont d'introduction ancienne telle la vigne et la luzerne ramenées d'Asie centrale par l'ambassadeur Zhang Qian mort en 114 av. J.-C. L'arachide (“ginseng né de fleur”), dont les paysans chinois ont développé plus de 300 cultivars, est signalée en 1504 à Shanghaï et elle est mentionnée en 1655 dans le Jiangsu, ce qui accréditerait une origine maritime. Cependant des graines auraient été trouvées dans un site néolithique et les textes en font mention en 1368, au XIème siècle, voire au IVème siècle (METAILIE, 1992). Pour le maïs (“sorgho de jade”) mentionné dans l'édition du Bancao gangmu de LI SHIEHEN en 1596), l'origine étrangère n'est pas remise en question, bien qu'une poterie à moulage d'épis ait été trouvée dans une tombe de la dynastie des Han (206 av. J.-C. à 220 ap. J.-C.) par ZHANG MINKE (cité par METAILIE, 1992). Certaines minorités du Sud de la Chine ont certainement cultivé depuis très longtemps des variété de maïs gluant à petits épis. Le tournesol (“chrysanthème-tourne-vers-le-soleil”) aurait été introduit entre 1573 et 1620 par des moines des régions occidentales, comme la tomate (“kaki rouge”) (METAILIE, 1992). Cependant des tombes de la dynastie des Han occidentaux (206 av. J.-C à 25 ap. J.-C.) renferment des graines de tomates (XU, cité par METAILIE, 1992).
Il faut également être sceptique sur la réalité d'une véritable “explosion démographique” au XVIIIème siècle car les données provinciales étaient lacunaires et on aurait des cas de déformations patentes ou des données contradictoires dans les sources accessibles, tant dans les registres du XVIIIème que dans ceux du XIXème ou du XXème siècle (CARTIER, 1989). Il n'en demeure pas moins une expansion de la population et des mises en cultures durant le XVIIIème siècle ; et leurs effets sont bien visibles dans les paysages agraires (infra).
B. Les événements agraires et démographiques antérieurs au XX° siècle
La vie dans les campagnes du Hunan a été scandée par des peintures, des estampes et des poèmes : chasses dans les forêts giboyeuses (317-420), régulièrement incendiées (408) ; famines dans les campagnes (365-427), malgré la culture du riz précoce (410) ; élevage des vaches et des moutons (698-759 ou 701-761), et dans la solitude des montagnes, peuplées de monastères et d'ours (773-819), landes des aires de charbonniers (772-846), où sévit l'érosion et les éboulements (grand éboulement entre 701 et 762).
Entre 1622 et 1715, les poètes décrivent les durs propriétaires fonciers, les brigands et les marchands du Hunan et l'abondance des moines et des monastères. A partir des relations des missionnaires les paysages chinois sont décrits comme trop peu dépourvus d'espaces non cultivés : pas de boqueteaux, pas de chemins ruraux où flâner au XVIIIème siècle (CANTILLON, 1755, cité par GOUROU, 1984)
Différence avec les années 80 et ses montagnes de céréales, ses mers de coton, ses lacs de colza, mais permanence des produits et des pratiques : haricots fermentés, conserves de sel, fromage de soja, ail, alcool de maïs, pincettes à feu et culte des ancêtres.
1. Les étapes de la domestication des paysages :

introduction des techniques, migration des populations et réformes agraires
(d'après BAI SHOUYI, 1988 et 1993, BOZAN et al., 1985 ; ELISEEFF, 1987 ; GROUSSET, 1994 ; ROUX, 1993 ; TROLLIET et BEJA, 1986)
Il existe des périodes-clés de pressions sur les paysages du fait de révolutions techniques ou d'instabilités sociales complexes.
a. La Chine antique
Sous la dynastie des Xia (du XXIème au XVIème siècle av. J.-C.) Lei Zu Yu fait connaître l'élevage des vers à soie, lutte contre les Miaos en utilisant des armes en bronze et combat les inondations.
* L'âge du bronze (1700-500 av. J.-C.) : Chasse, pêche et cueillette sont pratiquées dans un milieu plus doux et plus humide qu'aujourd'hui et encore épargné. C'est la période des cités-palais murées et des empiétements du royaume de Chu sur le bas Yangtse.
Sous la dynastie des Shang (du XVIème au XIème siècle av. J.-C.), les techniques du bronze sont très élaborées et l'agriculture joue un rôle dominant.. La culture du millet, du blé, du mûrier et l'élevage du ver à soie se développent et s'intensifient, l'élevage étant devenu secondaire dans une société esclavagiste. La dynastie va durer 600 ans et parvenir dans le sud jusqu'aux régions de la province du Hubei. Qi empereur de la 1ère dynastie est le premier semeur de Ji (millet commun) qui est plus facile a cultiver que le Shu (millet glutineux) et fournit un grain propre à la consommation.
A l'époque des Zhou de l'ouest (du XIème au VIIIème siècle av. J.-C.) et de la dynastie des Zhou de l'est (du VIIIème au IIIème siècle av. J.-C.), surtout à partir de 1 100 av. J.-C., on assiste au développement de la riziculture irriguée dans l'état de Chu. L'agriculture irriguée sédentaire serait plus tardive et contemporaine des techniques du fer. L'essor de la production agricole est liée également au progrès des instruments aratoires, à l'augmentation des espèces cultivées et de l'échelle de l'exploitation agricole, surtout à la hiérarchisation foncière. L'attribution de fiefs dans le Hubei après les campagnes orientales des Zhou de l'Ouest va modifier profondément les premiers systèmes agraires et aura un retentissement important dans la modification des paysages.
* L'organisation de l'espace et le développement de la métallurgie (VIème-IIIème siècle av. J.C.) : L'introduction du fer et des techniques de fonte "dans la foulée" vont donner une autre dimension à l'agriculture : période de vastes défrichements et de grands travaux.
A partir de 770 av. J.-C., période des Hégémons (770 à 476 av. J.-C.) puis lors des Royaumes Combattants (Zhanguo) de 750 à 221 av. J.-C., les pouvoirs se déplacent vers l'est. L'usage du bronze était répandu en Chine du Sud dès le VIIème et le VIème siècle av. J.-C. Le passage de l'âge du bronze à celui du fer, qui se produit dès le IVème siècle av. J.-C en Chine centrale et en Chine du Fleuve Jaune, n'a pas manqué d'avoir un fort impact sur les paysages forestiers. C'est une véritable révolution, surtout après 221 av. J.-C., mais le fer était connu vers 513 av. J.-C. La métallurgie de la fonte remonte en Chine au VIème avant J.-C. Cette période est fondamentale pour la naissance du monde paysan. L'idéologie paysanne sera développée par les adeptes de Mo Zi (entre 480 et 390 av. J.-C.), lui-même héritier de Confucius (552-479 av. J.-C.). Dans la province du Hubei cette période est bien illustrée avec les vestiges du tombeau du prince Yi (Vème siècle av. J.-C.) et ses 2,5 tonnes de cloches en bronze (MORGENSTERN et al., 1973). La ponction sur les forêts a été considérable.
La modification des instruments aratoires et le développement de l'agriculture est notable sous les Royaumes Combattants (IIIème au Ier siècle av. J.-C.). Apparaît alors une nouvelle classe de propriétaires fonciers qui louent la terre aux cultivateurs directs contre paiement en rente ou en nature, avec un système de fermage. Ce système va favoriser la conquête de terres nouvelles. La modification de la propriété foncière engendre le développement de l'économie locale, surtout dans la région de Chu (Hubei). Cette principauté s'étendait sur tout le Hubei, le Hunan, le Anhui, le Jiangsu, le Zhejiang et une partie du Henan, du Sichuan et du Guizhou. La principauté de Chu jouera un rôle capital dans le développement du Sud. L'usage d'outils en fer pour les activités agricoles devient très important vers 400 av. J.-C. et l'utilisation de la fumure organique, la rotation des cultures, les doubles récoltes et l'agriculture intensive comme les grands projets d'irrigation datent du IIIème siècle av. J.-C. (HO, cité par HARLAN, 1987).
A la fin de l'époque des Hégémons et des Royaumes Combattants, la suppression des fiefs va voir la mise en place du système des provinces et des districts. Les ingénieurs hydrauliciens s'attaquent alors à l'aménagement des cours d'eau.
b. Les dynasties des Qin et des Han, les trois Royaumes, les dynasties des Jin et les dynasties du Sud et du Nord (IIIème siècle av. J.-C. au VIème ap. J.-C.)
Ces dynasties sont fondamentales pour la naissance des techniques agraires avec la publication des traités d'Agronomie : Fan Sheng ou Chih Shu au Ier siècle av. J.-C., ou Chi Min Yao Shu au VIème siècle de notre ère. Entre 246 et 210 av. J.-C., la fin de morcellement des principautés marque le début de la dictature des propriétaires fonciers et de la vente libre des terres. Entre 209 et 207 av. J.-C., les taux de fermage peuvent atteindre 2/3 des récoltes. Les impôts et corvées pour la construction des routes, la grande muraille, les tombeaux... vont gréver en priorité le monde paysan, provoquant la grande révolte de 209 av. J.-C. C'est l'époque de démolition des forteresses et des fortifications des villes et des remparts. Les routes impériales et le trafic fluvial désenclavent peu à peu les campagnes.
* La Chine impériale (206 av. J.-C. à l'an 2 ap. J.-C.) : C'est la grande période de la "géométrie du pouvoir" (TROLLIET et BEJA, 1986). et de l'organisation de l'espace Han. De 200 av. J.-C à 200 ap. J.-C., la dynastie des Han domine le monde rural et façonne un véritable impérialisme agraire. Les peuplements locaux (aborigènes du sud) vont alors se réfugier dans les montagnes sous la pression des Han. Ces migrations verticales des populations, souvent déplacées par force, marquent une période cruciale pour l'histoire rurale.
Sous l'Empire des Han de l'Ouest (206 av. J.-C à 24 ap. J.-C.), les révoltes se multiplient et Liu Bang est chef des insurgés paysans. Les acquis sont modestes et non durables, car ces mouvements sont récupérés, car basés sur des concessions. Cette période est cependant celle d'un essor économique et social, du fait de la répression des marchands spéculateurs. Acquis de courte durée, l'accumulation des terres se renforce sous la centralisation de Wudi (140 à 87 av. J.-C.). Les marchands réalisent des forages pour l'eau et pratiquent le salinage. Les forges d'Etat apparaissent et sont contemporaines d'importantes conquêtes vers l'ouest (Perse et Inde) et de contacts avec les cités de l'Empire Romain. L'accumulation des terres et les lourdeurs de la rente foncière, de la capitation, des impôts sur le fourrage, les monopoles du sel et du fer, les corvées (jusqu'à 60 j/an) sont autant d'éléments du malaise paysan. La question des terres sera aggravée vers 50 av. J.-C., avec la remise en question de la disponibilité des terres incultes ou même publiques (cas des terres près des jardins impériaux) allouées aux paysans et pratique de l'appropriation. A partir de 30 av. J.-C., les calamités naturelles successives engendrent des famines (avec des cas d'anthropophagie) et de graves crises sociales. En l'an 2 ap. J.-C., il existe 60 millions d'habitants et les terres cultivables sont de 63,5 millions d'hectares. Par la réforme de l'an 9 ap. J.-C., l'état devient propriétaire du sol et la vente privée des terres est interdite. L'état contrôle les prix et la vente des esclaves est interdite. En l'an 22 après J.-C., la non application provoque de grandes révoltes paysannes.
Sous l'Empire des Han de l'Est (25 à 220 ap. J.-C.) est effectué le relevé des terres pour vérifier la rente foncière et libérer les esclaves. Les provinces montagneuses du Hubei et du Hunan, comme celles du Sud, sont peu à peu intégrés à l'état chinois il y a deux millénaires (vers 111 av. J.C.) avec l'expansion des Han. Au départ les Han ont rencontré des civilisations du riz et du poisson, partout où se pratique l'agriculture sur "cendres chaudes" (SCHAFER, 1967, cité par BUCHANAN, 1973). Cette sinisation progressive de la plus grande partie de l'espace chinois n'a aucun équivalent colonial au monde. Elle a été réalisée à la faveur d'une “énorme concentration paysanne” selon l'expression de TEILHARD DE CHARDIN. A partir de 58-75, la prospérité économique et sociale permet la restauration des réservoirs, l'extension des exploitations dans les bassins et les poljés. L'énergie hydraulique est utilisée pour les soufflets des fonderies de fer et les papeteries. La fabrication de porcelaine en série et du papier par Cai Lun avant 121 de notre ère ?mais l'invention du papier date déjà de 2 siècles ?modifie profondément l'économie et nécessite des sources d'énergie nouvelles ou des exploitations plus intensives. A partir des années 90 et surtout au IIème siècle, les crises économiques engendrent les révoltes des étudiants, puis en 184 la révolte paysanne des Turbans jaunes (Huangjin).
Sous les trois Royaumes et sous les Jin de l'Ouest (entre 220 et 280 ap. J.-C.), la diminution de la population rurale est freinée, avec un relèvement sous les 3 Royaumes, période marquée par un retour à une philosophie de la nature. Dès 280, l'Empire unifié favorise un système de distribution des terres entre 280 et 290.
* L'Empire éclaté : La grande période de troubles et de razzias provoque la désertion des terres, surtout en plaine et la recherche de refuges en montagne. A partir de 386 durant la période des 16 Royaumes se produit une grande poussée vers le Hubei et le Hunan.
La période des Jin de l'Est et des dynasties du Sud (317-420), Song (420-479), Qi (479-502), Liang (502-557) et Chen (557-589) est marquée par les migrations de réfugiés du nord qui s'installent en colons dans le sud, avec défrichage de terres incultes, surtout en montagnes et dans la région des lacs du Hubei. Les réfugiés apportent des techniques avancées, introduisent des produits comme le thé, la porcelaine et les cotonnades.
Entre le IVème et le VIème siècle de notre ère, le centre culturel et économique de l'Empire bascule en Chine du Sud.
* La réunification et l'apogée de l'Empire (580-907) : La réunification vient du nord et l'extension spatiale de l'Empire devient considérable. Introduit vers les premières années de notre ère, le Bouddhisme fait alors alliance avec le Confucianisme pour provoquer le renforcement de la dynastie féodale et engendrer une perte de l'influence taoïste. Les monastères se développent dans le sud et acquièrent des terres. En 534 on compte 30 000 temples sur l'ensemble du pays et plus de 2 millions de bonzes. Les monastères jouent une importante fonction foncière et usurière dans le monde rural.
c. Les dynasties des Sui et des Tang, les cinq dynasties, les dynasties des Song et des Yuan (VIème au XIVème siècles)
A l'époque des Sui (581-618), la construction du grand canal nord-sud et le partage des terres contribuent aux échanges, à l'accroissement de la production agricole et à l'augmentation de la population. Les révoltes de plusieurs millions de paysans renversent la dynastie des Sui en réponse aux enrôlements dans les expéditions contre le roi de Corée.
Sous les Tang (618-907) sont réalisés de grands travaux agricoles et c'est un véritable âge d'or qui commence. Les industries minières et salicoles (dans le Sichuan) se développent. Une nouvelle appréciation des paysages méridionaux se manifeste par l'expérience acquise dans les conquêtes au cours des IVème, Vème et VIème siècles. L'introduction de graminées et de légumes, l'ouverture des marchés asiatiques occidentaux, l'influence des arabes en Chine centrale et occidentale, l'introduction du papier en Europe par les Arabes, modifient profondément les systèmes économiques. Les monastères bouddhiques possèdent de vastes domaines avec fermes et moulins à eau et pratiquent des prêts à usure auprès des paysans. Cette période est bien représentée par les sculptures du site rupestre de Dazu au Sichuan.
A l'époque des Sui et des Tang, un nouveau modèle de charrue est lancé, avec un timon recourbé et donc plus mobile. Il rejette les mottes des deux côtés et facilite le labour profond. Pendant la Dynastie des Wei du Nord, un semoir permet de recouvrir les graines et sous les Tang les faucilles à croissant remplacent les anciennes. De nombreuses améliorations s'élaborent : sélection des semences, préservation et amélioration de la fertilité, multiplication des binages d'aération et favorables à la rétention d'eau. L'artisanat est très actif et les aciéries mettent au point de nouvelles techniques. Epoque de maturité pour le papier, la porcelaine et la construction navale, ces deux dernières étant grandes consommatrices de bois. Dans le domaine hydrologique Le livre des Eaux date de l'Epoque des Trois Royaumes, mais un commentaire de 65 ou 472-527 décrit plus de 430 ouvrages sur ce sujet. Les rapports féodaux vont aussi peu à peu assimiler les ethnies non chinoises et une nouvelle classe de propriétaires fonciers non aristocrates émerge. “Que les Han et les minorités profitent mutuellement de leurs contributions positives permis d'activer les forces productives de la société et s'assurer la prospérité à l'économie nationale” (BAI SHOUYI, 1988).
A l'effondrement des Tang (fin de 907), durant les 5 Dynasties (907-960), les paysans abandonnent certaines terres incultes et les montagnes servent à nouveau de refuge. Les villes du nord déclinent et celles du sud se développent.
* La nouvelle société (960-1271) : C'est une période-clé de création d'une véritable classe des marchands et de naissance de la diaspora (Hakka).
La Chine est unifiée sous les Song du Nord (960-1127) et le pouvoir est encore plus centralisé. Le gouvernement favorise les travaux hydrauliques et encourage le défrichement accru des terres. Le système devient bureaucratique et la concentration des terres demeure inchangée. Sous les Song du Sud (entre 1127 et 1279 ap. J.-C.), le développement des mines de charbon pour pallier à l'épuisement du bois et alimenter les fonderies de fer, et surtout la naissance d'une véritable industrie de la céramique et des porcelaines encore plus perfectionnée, vont modifier considérablement l'environnement. Le développement de l'industrie textile, des papeteries, de l'artisanat des laques et de l'imprimerie, et l'apparition des ateliers publics (fonderies et tissages) marquent une étape dans la modification des systèmes économiques. Durant cette période, les grandes migrations des Han surtout vers le Hubei, transforment les structures agraires locales et permettent le développement des cultures sur pentes, par introduction d'espèces de riz nouvelles. CHEN-TSUNG (998-1022) contribue à propager de nouvelles variétés de riz originaire du Champa, résistant à la sécheresse, précoce et permettant deux récoltes par an (cité par ETIENNE, 1974).
L'implantation des Han traduit un compromis pour le sud : la période précédente représentant la victoire des hommes du loess, cultivateurs du blé, sur les riziculteurs. La réforme de Wang Anshi (1019-1086) instaure un système d'impôts selon la superficie (péréquation), de prêts sur récolte (loi sur la période de pousse). La loi sur l'exemption des corvées n'est pas appliquée, avec pour conséquence des insurrections paysannes jusqu'en 1121. En 1210, le célèbre ouvrage Keng-tche-tou décrit les techniques agraires.
C'est une période d'apogée pour le Sichuan avec le développement de la ville rebaptisée “Double fortune” (Chongqing) par l'empereur Zhaodun des Song du sud (1127-1279) ; période florissante de fabrication de la poudre, de déboisement pour la charpenterie de marine et de culture du kapok.
La plus grande invention après la période des Sui et des Tang est l'imprimerie qui atteint une haute perfection entre 1023 et 1063, avec la publication des traités de Pharmacologie, d'Histoire et d'Agronomie.
* La conquête mongole (1280-1368) : A cette époque commence une période d'ouverture aux influences les plus lointaines, de vigoureuse réorganisation de l'espace et d'un rééquilibrage nord-sud. La condition paysanne s'aggrave, car le système mis en place par les Mongols fonctionne surtout au profit des villes. Famines et jacqueries atteignent la Chine centrale lors de la prise de Pékin en 1215, après que la cour impériale se soit réfugiée au Hunan. Un million d'hommes abandonnent leurs terres dans cette province. La révolte des “Manteaux Rouges” dure jusqu'en 1223 avec le massacre de 30 000 insurgés (ROUX, 1993).
Après la conquête, l'objectif des Mongols est d'élargir au détriment de l'agriculture la zone de pastoralisme et partout les terres cultivées reculent. A partir de 1234, l'offensive est menée contre les Song avec une attaque du Hubei en 1236, mais c'est l'échec devant les foules paysannes. La campagne victorieuse de 1256-57 passe par le Hunan à la fin de 1257 et en 1273 les villes de Xiangijiang et Fanchang au Hubei tombent. En 1279, la Chine est conquise et Khubilaï s'attache très vite les cadres Song et instaure un système de “sécurité sociale” à partir des excédents agricoles. C'est une période importante de développement de l'artisanat et de contact avec l'Occident. L'expulsion des Mongols part de la Chine du Sud et des provinces rétives du Hubei et du Hunan dès 1359. Les paysans vont y jouer un rôle fondamental.
Sous les Cinq dynasties, les Song et les Yuan, la production est entravée par les guerres incessantes et le Sud renforce son avance. La sériculture devient une activité auxiliaire importante et sont pratiquées de plus en plus de cultures intercalaires et aménagées de terrasses de pentes. En 1149, CHEN FU écrit son traité d'Agriculture qui systématise les techniques rizicoles. Entre 1295 et 1300, WANG ZHEN fait une place à part à l'outillage agricole. De remarquables progrès sont réalisés dans le domaine minier, de la céramique et des cotonnades, surtout des découvertes technologiques : aimant et boussole, imprimerie à caractères mobiles, canon, pharmacologie, etc. Les régions frontalières participent de plus en plus au système féodal chinois et sous les Yuan les captifs reconstituent de fait une classe d'esclaves. La période est surtout marquée par un développement jamais atteint jusqu'alors du réseau de communication et d'un tissu serré de relations avec l'extérieur.
d. Les dynasties des Ming et des Qing (XIVème-XXème siècle)
* Stabilisation de l'espace sous les Ming (1368-1644) : Le fondateur de la dynastie entreprend une œuvre gigantesque de reboisement et d'organisation du cadastre, sous un régime très autocratique, mais avec une grande conception du rôle de l'état dans les interventions économiques. Zhu Yuanzhang, monté sur le trône en 1368, favorise le recrutement des réfugiés paysans pour la culture des terres incultes, fournissant boeufs et semences. Il encourage les soldats-défricheurs, jusqu'à 70 % dans certaines garnisons frontalières, mais 2/8 dans les régions intérieures.
Puis c'est l'expansion maritime chinoise et l'émigration vers l'Insulinde. On assiste à une forte concentration des terres, l'apparition de la rente foncière en argent et au développement de l'industrie manufacturière (fonderies, tissage, imprimerie, laques et porcelaines, construction navale). A la fin de la dynastie, les révoltes paysannes sont liées à une trop forte accumulation des terres, en particulier les terres publiques (plus de 1/7ème du total). Elles démarrent à l'occasion de calamités socio-naturelles en 1628 et du fait de la corruption de la dynastie. Les ouvriers s'organisent en corporations et un courant nouveau porte vers les sciences naturelles (traité de Botanique en 1518-1593). La chute de la dynastie des Ming est marquée par la montée des Mandchous et les troupes paysannes prennent le pouvoir en 1644 (Grans Shun) avant d'échouer.
La période de grands travaux hydrauliques a débuté sous l'empereur Ming HONG WOU : en 1395 plus de 50 000 projets auraient été menés à bien d'après NGEOU-YANG HÜAN (1273-1357) qui consacre un traité en 1351 (cité par GOUROU, 1984). Le XIIIème est une période de colonisation agricole dans le sud, en particulier à Hong-Kong (CHIU et SO, cité par GOUROU, 1984). Sous les Song, on compte 20 variétés de riz cultivées dans le bas Yangtse : précoce, tardif, glutineux ou non. C'est la période de l'introduction du coton. La surface cultivée passe de 25 millions d'ha en 1400 à 33 millions en 1600 et à 49 millions en 1685, 63 en 1766 et 81 en 1873. Le Moyen-Age chinois est donc une période d'évolution de l'agriculture et du fait des défrichements massifs, d'intense érosion (ETIENNE, 1974).
La Chine est découverte par les Portugais en 1513, mais dès le XIVème siècle IBN BATUTA (1304-1369) rapporte des récits de voyageurs attestant le faible rôle de l'élevage (poules, oies et moutons rares). C'est cependant le voyage (1271-1295) de Marco POLO qui fit connaître la Chine à l'Occident. Vulgarisé par le Vénitien G.B. RAMUSIO (1485-1557), les écrits de POLO effleurent la Chine centrale dans un périple entre Xi'an et Pagan par le Sichuan (DREGE, 1989). Bien que légendaire, le récit fourmille de détails intéressants : description de l'utilisation du charbon, distribution de blé et mention des conquêtes de Ghenghis Khân en 1268, pratique de l'élevage et des cultures de rhubarbe et de gingembre dans les zones montagneuses du Yangtse et de la vallée de Han, avec les céréales classiques (blé, orge, millet, panic et riz) (T'SERSTEVENS, 1978, POLO Marco, ed. 1980).
Les contacts avec les européens et les missions jésuites se multiplient (LECRIVAIN, 1991) : elles sont capitales dans l'évolution des contacts. En 1552 François Xavier se rend en Chine et la carte de RICCI est présentée à Pékin en 1601. En 1640, toutes les provinces ont entendu parler du Christianisme. Puis SHALL devient mandarin en 1650 avant d'être condamné à mort en 1665. Jean-Baptiste Du HALDE (1674-1743) réalise une description démographique de l'Empire de Chine et un Atlas de la Chine (1735). Cette “Description Géographique, Historique, Chronologique, Politique et Physique de l'Empire de la Chine et de la Tartarie Chinoise” devient l'oeuvre de base pour la connaissance des occidentaux. Entre 1609 et sa mort en 1641, XU XIAKE, géographe chinois, entreprend de multiples périples, en particulier un voyage de quatre ans entre 1636 et 1639 qui lui permet de décrire avec précision les paysages de la Chine du Sud et du Hubei-Hunan et les minorités ethniques qu'il rencontre. Il décrit en particulier les aménagements agraires qui s'intensifient dans les montagnes du karst durant cette période.
* La dernière dynastie des Qing (1644-1911) : En 1741, la Chine couvre 12 millions de km2 et compte 143 millions d'habitants, autant que l'Europe, mais déjà 300 millions en 1790 alors que la population européenne n'atteint que 193 millions en 1800. Période capitale d'extension de nouveaux terroirs agricoles et des productions, elle engendre un surcroît de recettes fiscales et suscite donc des guerres expansionnistes. Corruption et dilapidation vont achever le règne (1796-1820) et provoquer le soulèvement des Han et en 1774 l'insurrection des Miaos du Hunan-Guizhou, puis celles des sectes du Hubei. Fermage-capitation, accumulation des terres et autocratie mandchous sont de mise. Durant les Qing l'exploitation des mines et surtout du charbon prend son essor et des germes du capitalisme apparaissent (manufactures de thé et de soie).
Cette période capitale d'effondrement du taux de mortalité et de progression de la production agricole engendre une pression démographique et de nouvelles migrations du Hunan et du Hubei vers le Sichuan. La vague de colonisation et de déforestation très active en Chine centrale et du sud s'accompagne du développement des cultures commerciales nouvelles.
Les surfaces cultivées augmentent rapidement pendant les premières années de la dynastie des Ming. En 1383 la moitié des terres cultivées sont des terres nouvellement mises en exploitation, qui totalisaient 12 millions d'hectares. En 1393, l'ensemble des surfaces cultivées atteignent 57 millions d'ha. Une régression se signale en 1581, où il ne reste plus que 46,9 millions d'ha, qui est le maximum atteint pendant la dernière période de la dynastie des Ming. En 1661, au début de la dynastie des Qing, les surfaces cultivées couvrent 36,7 millions d'ha et s'étendent progressivement jusqu'à 52,9 millions d'ha en 1812, soit 6 millions d'ha de plus qu'en 1581. Cependant elles demeurent inférieures de 4 millions d'ha à celles de 1393, car en fait ce sont surtout des terres nouvelles qui sont conquises pour les cultures de rentes au détriment d'autres terroirs.
Sous les Ming on introduit d'autres variétés de riz dans le Hunan et le Hubei ; le coton se répand, le mûrier, le théier, les plantes tinctoriales (indigo, safran, carthame), les fruitiers, la canne à sucre, les oléagineux (sésame, arachide, aleurite), mais surtout “les américaines”, comme le maïs ou la patate douce très productifs, le tabac. Porcelaine, sel, fer et fonte (dont celle du zinc) prennent un essor considérable à l'époque Ming-Qing. Le Compendium publié en 1578 par LI SHIZHEN est à la fois un traité de Médecine et un recueil de Botanique expérimentale. XU GUANGQI (1562-1633) publie un Traité d'Agriculture qui insiste sur la culture des plantes vivrières, souci principal durant cette période d'expansion démographique. Sous les Qing la science chinoise se trouve en contact plus étroit avec l'Occident et les conceptions capitalistes
Durant la période Qing se manifestent les premières rébellions autonomistes et l'irruption des puissances occidentales avec la guerre de l'opium en 1839-1842 qui illustre la naissance d'une société semi-coloniale. Le conflit est lié au fait que l'artisanat domestique est étroitement lié à la production paysanne en Chine. En conséquence il n'existe pas de débouché pour les textiles anglais. La Compagnie des Indes Occidentale organise alors la contrebande de l'opium pour payer les achats de thé et de soie, jusqu'à l'interdiction de 1839 et la destruction de mille tonnes d'opium.
De grandes vagues d'émigration vont vidanger l'empire des Qing de ses forces. Certaines annexent des territoires proches : la Mandchourie ponctionne ainsi plus de 10 millions de Han avant 1890 et en 80 ans l'espace pastoral est transformé en domaine agricole. D'autres sont lointaines : période cruciale de naissance de la diaspora chinoise en Asie du Sud-Est au moment où l'Empire est en déliquescence, avec l'émigration de près de 10 millions de chinois entre 1880 et 1900.
L'Empire sombre alors dans le chaos et le monde rural est totalement déstabilisé avec une situation de semi-colonie entre 1870-1880, surtout durant le conflit sino-japonais de 1894-1895. Le mouvement paysan des Boxers s'intensifie avec les interventions étrangères de 1900.
2. Les révoltes paysannes dans le Hubei et le Hunan
Elles sont nombreuses, sanglantes et affectent des masses importantes de paysans (BOZAN et al., 1985). Trois grands ensembles de soulèvements ont marqué l'histoire rurale, provoquant presque chaque fois la chute des dynasties, mais il n'est pas question d'être exhaustif :
- vers la fin de la dynastie des Qin (en 209 av. J.-C.) ;
- à la fin de la dynastie des Sui et de la dynastie des Yuan ;
- à la naissance des Trois Empires (Han, Tang et Ming).
En 22 ap. J.-C., la non application de la réforme agraire de l'an 9 provoque de grandes révoltes dans la contrée de Xinshi (district de Jingshan dans le Hubei), dans celle de Pinglin (au nord-est du district de Suixian dans le Hubei). Des révoltes paysannes se produisent également en 184, 399 et 495 ap. J.-C., ces deux dernières liées à l'arrivée des colons du Nord.
La grande insurrection à partir de 860 ap. J.-C. culmine en 874. Partie du Henan, elle pénètre au Hubei, puis progresse vers le sud-est jusqu'à Guandong, avec retour par le Hubei. Elle atteint Anhui et le Henan.
A partir de 1840, la guerre de l'opium fait rage et la Révolution des Taiping est déclenchée par les paysans en 1851 et elle marque la fin de la domination des Qing. La guerre paysanne des Taiping démarre sur une situation de disette alarmante et en 1853 l'armée des Taiping s'empare de Wuchang au Hubei et après une expansion se retire à nouveau dans le Hubei-Hunan en 1854-55 avant de poursuivre la lutte contre les Qing jusqu'en 1868. De nombreuses révoltes de minorités vont suivre cet exemple (cas des Miaos). Cette période est celle de grands bouleversements dans les campagnes, surtout en Chine centrale totalement désorganisée pendant 1/4 de siècle (1844-1868), avec pratique de la terre brûlée, exploitation sauvage et rapide des terres par manque de produits alimentaires de base.
Les mouvements des Yi He Tuan (Boxers) sont menés par des paysans en 1900 avant l'épopée de la Grande Marche dont les appuis seront situés au Hunan-Hubei. Il faut noter que chaque opération paysanne procède d'une parfaite connaissance géographique des bases-refuges montagneuses du Hubei, du Hunan ou du Guizhou et que le karst a joué un rôle fondamental dans le fonctionnement et l'appui des révoltes. L'histoire des paysages agraires nous apprendra, à l'avenir, les impacts que ces révoltes ont eu sur les prises et les déprises des terres, sur la déforestation et l'érosion des sols.
C. Les déséquilibres du XXème siècle
De la fin du XIXème siècle au milieu du XXème siècle, la population chinoise a été sous le coup des grandes ponctions catastrophiques. Par exemple, la rébellion des Taiping, entre 1851 et 1864, a fait 20 à 50 millions de morts. La sécheresse de 1877-1878 est responsable de 9 à 13 millions de morts. Entre 1937 et 1945, la guerre a provoqué la mort de 6,5 à 13 millions de personnes. Enfin, la prise du pouvoir par Mao, en 1950-1952, est à l'origine de 3 millions de morts. La ponction totale représente ainsi entre 48,45 et 98,075 millions de personnes (GENTELLE, 1974).
La ponction la plus considérable se produit durant les fameuses années 1960 et 1961 qui sont marquées dans les courbes de la natalité et de la mortalité par des pics impressionnants (LARIVIERE et SIGWALT, 1991). Cette catastrophe politique et démographique est la conséquence directe du Grand Bond en Avant avec 30 millions de morts en deux ans, une diminution globale de la population de 1,5 % et une mortalité anormale de 30 % (LE BRAS, 1982). En réaction, en 1963, on note un record historique inverse avec un accroissement naturel de 33 ‰. A partir de 1962, le blocage autoritaire de la population des villes répercute tout l'accroissement démographique sur les campagnes où la surface moyenne cultivée par famille tombe à 6 mu soit 0,4 ha. A partir de 1973, la limitation des naissances devient efficace partout.
1. La guerre civile, la Chine populaire, la réforme agraire de 1950 et le Grand Bond en Avant
Au début du XXème siècle, la grande misère des campagnes chinoises, la congestion démographique, l'usure, le banditisme et les calamités conduisent à un véritable chaos qui culmine avec l'invasion japonaise en 1938.
Après la Révolution bourgeoise de 1911 et la naissance en 1921 du Parti Communiste chinois, le 1er octobre 1949, la République Populaire de Chine est créée. C'est la période d'essor du capitalisme au cours de la première guerre mondiale avec le développement des filatures, le progrès des sciences occidentales et la concurrence avec les produits occidentaux. Tabac, soie et thé sont en baisse et les importations de coton augmentent.
Les mouvements paysans se développent à partir des bases du Hunan-Hubei en 1925. En mai 1926, Mao prend la tête de l'Institut National du Mouvement paysan et le mouvement se développe à partir du Hunan ; au début de 1927, il gagne tout le pays. En août 1927, l'insurrection donne naissance à l'armée populaire et des insurrections se produisent pendant la moisson d'automne dans le Hunan et le Hubei. La guérilla de Mao démarre dans le district de Liuyang dans le Hunan. Après l'échec des soviets ruraux en 1928, les communistes vont prendre appuis dans les forteresses naturelles montagneuses. La longue marche de l'Armée rouge, “Anabase” de près de 100 000 hommes, va s'enfoncer dans ses 15 bases retranchées paysannes des karsts du Hunan, du Hubei et du Guizhou et finalement l'emporter en octobre 1935, après un périple de 12 500 km en un an.
La guerre sino-japonaise de 1837 à 1945 va également utiliser les bases résistantes des montagnes karstiques. En 1940 la population des bases anti-japonaises atteint 100 millions de personnes. Entre 1941 et 1942, la politique des japonais de “tout brûler, tout piller, tout massacrer” déclenche une vague de défrichement et de culture intensive dans les populations des régions libérées, pour résoudre les problèmes de ravitaillement, avec une politique de réduction des fermages, en même temps qu'une guerre des mines dans les zones montagneuses. Entre septembre 1945 et septembre 1946, 4,3 millions d'hommes dont 1,2 de l'Armée Populaire entrent en action et il faut les nourrir sur les terroirs exigus des karsts de montagne. Durant cette période, les prix des denrées vont augmenter de 1 800 fois du fait de la pénurie et des difficultés de ravitaillement et cela jusqu'à la rédition du Japon (BOZAN et al., 1985). Cette urgence va engendre une exploitation agraire “à la sauvette” pour palier aux carences du ravitaillement de millions d'hommes. Elle a des conséquences encore visible dans les paysages : les sols sont intensément érodés et les poljés et les cavités se remplissent (cf. chap. 6 et 10).
Dans tous les cas, sans l'action des paysans pauvres des karsts chinois, il est probable que la guerre n'aurait pas été gagnée et la réforme agraire qui a suivi n'aurait pas été menée à bien. L'enquête menée par MAO en 1927 dans le Hunan le met bien en évidence par anticipation.
La réforme de 1950 a d'abord exproprié les propriétaires fonciers avec 800 000 exécutions selon Edgar FAURE. Puis les terres sont redistribuées : 40 à 47 millions sur 107 millions d'ha et 100 millions de familles chinoises sont pourvues d'un lopin de terre, soit 300 millions de paysans pauvres. En 1957, la population est organisée en brigades et 700 000 grandes coopératives. A la fin de 1958, les quelques 740 000 coopératives sont absorbées dans 26 000 communes populaires, regroupant chacune environ 20 000 personnes. Elles sont fractionnées vers les années 1960 et atteindront vers 1967 le nombre de 78 0000 (CHIAO MIN, 1967, cité par BUCHANAN, 1973). Les coopératives et surtout les communes ont permis une utilisation rationnelle de la main d'œuvre, surtout dans le monde rural. Elles ont modifié la structure atomisée des communautés paysannes et ont de ce fait permis des investissements collectifs considérables.
Malgré des succès initiaux en 1953, la réforme agraire aboutit à un morcellement de la terre, parcelles voisines de 1/15ème d'ha d'où la nécessité de regrouper. Le regroupement de 1955-56 engendre de nombreuses dérives : le cheptel est souvent abattu au lieu d'être donné à la coopérative, les investissements en travail s'effectuent mal et en 1957, la production agricole stagne malgré l'utilisation de 858 000 tonnes d'engrais et 188 000 tonnes de matière active (ETIENNE, 1974). Les paysans sont souvent employés à plein temps à des travaux de terrassement sur des pentes trop fortes dont l'utilité est discutable. Les quotas sont rarement respectés (BERGERE, 1987). Dès l'hiver 1957-58, 100 millions de paysans dépensent 9 milliards de jours-travail (DUMONT, 1974). Les rizières récupérées sur des sols trop marécageux donnent des rendements très bas et du fait des déclenchements érosifs, les poissons (compléments protidiques) se sont raréfiés. Les récoltes n'atteignent presque jamais les prévisions et les annonces officielles. Il existe un écart et un retard entre la “récolte biologique” et la “récolte engrangée” provoqués par l'incapacité des communes à moissonner toutes les récoltes et par un gaspillage accru (YUAN-LI WU in BUCK, 1966, cité par BUCHANAN, 1973). De 1952 à 1971, la hausse des productions végétales alimentaires est de 60 %, mais la population a augmenté d'au moins 45 %. La sécheresse de 1972 confirme la fragilité de l'agriculture au Hubei et au Hunan en particulier (ETIENNE, 1974).
La décision est prise de déclencher le Grand Bond en Avant et ses conséquences désastreuses sur la rentabilité du travail et la production. Malgré de bonnes conditions naturelles, la récolte de 1958 est voisine par tête de celle de 1957. La famine de 1960 aurait tué une vingtaine de millions de personnes (16 à 28 millions pour les experts occidentaux et 13 millions pour les sources chinoises, BERGERE, 1987) et cela avec des semailles qui ont bénéficié de 2 millions de tonnes d'engrais et de 443 000 tonnes de matière active (JUNG-CHAO LIU, cité par ETIENNE, 1974). Sur une récolte de grains de 146 millions de tonnes, il ne serait resté aux paysans après livraison à l'état que 97 millions de tonnes, soit 187 kg/hb/an. Il n'est donc pas sûr que la production par travailleur ait été plus élevée en 1970 qu'en 1930, car la production avait doublé, mais la population aussi (GOUROU, 1984). Pendant trois ans, les campagnes chinoises sont complètement désorganisées. La consommation de grains par tête passe de 204 kg/an en 1957 à 163,5 kg en 1960. En 1961 la famine se conjugue aux épidémies et le taux de mortalité qui était de 25,4 % en 1960, reste à 14,4 %. En 1977, un membre du bureau politique du Parti reconnaît que 100 millions de chinois sont au bord de la famine (LI XIANNIAM, cité par BUCHANAN, 1973).
Cependant il faut observer que durant la période de préparation des récoltes de 1960-61, les paysans chinois irriguent en 18 mois deux fois plus de terres (BUCHANAN, 1973) que durant les 8 000 ans de riziculture antérieure ! Il est probable que sans cet investissement en travail unique dans l'histoire de la planète en un temps aussi court, les effets sur les récoltes auraient été différents.
2. La période de Deng Xiao Ping (1980)
Dès 1978, une décollectivisation est amorcée pour diversifier la production avec un encouragement aux “foyers spécialisés” ; on en compte 25 millions en 1984. De 1978 à 1983, la production de grain augmente de 23 %, avec 8,7 % en 1982 et 9,2 % en 1983. Les cultures industrielles atteignent des taux de croissance records entre 1978 et 1983 : 114 % pour le coton, 102 % pour les oléagineux et 50 % pour le thé et s'amorce alors une politique de “quitter le travail de la terre sans quitter le terroir” (Litu bu lixiang). L'application plus souple la Charte agricole en huit points (labours profonds, développement de l'irrigation, semis serrés, amélioration du matériel, utilisation accrue des engrais, sélection des semences, protection des cultures, amélioration des méthodes de cultures et de la gestion des exploitations) va donner ses fruits.
Le succès de la stratégie de réajustement et de l'initiative privée est aussi en partie liée à un accroissement de la consommation d'engrais multipliée par deux entre 1978 et 1983 (LEMOINE, in GENTELLE, 1989). Dès 1982, l'accent est mis sur l'amélioration de la productivité plutôt que sur le plein emploi (LEW, in GENTELLE, 1989). La décollectivisation entraîne la disparition des étiquettes de classes et en particulier restitue les droits sociaux aux propriétaires terriens lors du partage des terres de 1982 (PIERQUIN-TIAN, in GENTELLE, 1989). Les paysans s'organisent en équipe de travail et passent des contrats et la division du travail tend à s'amoindrir. En revanche, le déclin du rôle des femmes apparaît comme une conséquence du retour au foyer, le chef d'exploitation redevenant le chef de famille (BERGERE, 1987).
La décollectivisation agricole libèrent 180 millions de familles, soit 800 millions de ruraux et engendrent un système de fermage avec des succès immédiats : les campagnes s'enrichissent et se désenclavent et une part croissante de la production est commercialisée (35 % des grains en 1984 contre 20 % en 1977). Les revenus paysans passent de 135 yuans par personne et par an à 355 entre 1978 et 1984 (AUBERT, 1989).
Depuis, les effets bénéfiques de la réforme agraire de 1978-1980 sont épuisés, la production stagne et l'initiative privée est défaillante. En 1985, avec la levée des monopoles d'état, le système des contrats remplace les livraisons obligatoires et les productions stagnent du fait de la non-maintenance de prix conventionnés. Les emblavures diminuent par rapport au niveau record de 1984 avec de fortes et brutales oscillations du fait que le négoce privé est encore peu organisé ; et les campagnes demeurent très atomisées face aux administrations locales (AUBERT, 1989). Le revenu paysan augmente encore en 1987 (465 yuans), mais c'est le fait de revenus non agricoles. La pauvreté rurale demeure : est pauvre celui qui vit avec moins de 300 kg de grains et moins de 300 yuans par an, soit environ 100 millions (10 % de la population). 60 millions de chinois sont affectés de maladies endémiques et les migrants ruraux (30 millions en 1989) ont pu atteindre 120 millions en 1993. Le total des emplois créés ne devait pas dépasser 30 millions (de BEER, in GENTELLE, 1989).
Dans les années à venir, le “dégraissage” des industries en mal de rentabilité devrait jeter sur le marché plus de 50 millions de chômeurs chaque année. De plus, l'économie privée dans les campagnes est devenue fort disparate. Dans le Sud, la pression des hommes sur la terre est lourde et la taille des exploitations a diminué vers 0,3 - 0,6 ha, mais les 2 ou 3 récoltes libèrent des surplus de revenus non agricoles. Par contre, les zones montagneuses ont des revenus strictement agraires. C'est dans ces régions que se trouvent les 70 millions de chinois qui ne disposent pas des 200 kg de grains minimum par an (ETIENNE, in GENTELLE, 1989). Malgré l'entraide spontanée (CHEN YING, in GENTELLE, 1989) et les entraides au financement (PAIRAULT, in GENTELLE, 1989) la situation est devenue précaire et les montagnards sont gravement menacés d'exode vers les villes.
Dans l'avenir, les défis au monde paysan seront de développer l'élevage, d'amender de façon plus rationnelle, mais surtout de gérer l'énorme capital de travail du monde rural dans une économie en mutation et actuellement soumise aux marchés internationaux (AUBERT, in GENTELLE, 1989). La gestion des ressources en eau, le contrôle de l'érosion des terres, le renouvellement des sources d'énergie vont devenir des problèmes de plus en plus délicats à résoudre. Si un exode rural massif irrigue les villes, l'érosion des terres de montagnes sera tamponnée, mais les problèmes d'emploi encore plus cruciaux.
3. Les crises actuelles de l'environnement
a. Etat de la déforestation
La déforestation est un phénomène ancien et partout où s'est produite l'expansion chinoise, elle a été systématique, comme une sorte de trait ethnique, l'approche d'un village s'annonçant par la ruine de toute végétation spontanée (SION, 1923). Les forêts tropicales à saison sèche marquée ont été plus faciles à essarter que les autres en raison de leur moindre densité et de la possibilité de les attaquer par les feux de printemps. En Chine défricher ou détruire la végétation naturelle et surtout les arbres était synonyme de cultiver. Dans un système chinois où était prôné le jardin et le champ carré d'un li de superficie (11 500 m2), divisé en neufs carrés égaux, l'arbre était quasiment exclu (GENTELLE, 1974).
L'écobuage a donné très tôt une intensification des cultures indigènes de type “ray” (encore pratiquées par les peuples Kawa ou Jingpo) en ce sens que l'abandon après 3 ou 4 ans n'a pas été respecté. Par ses déplacements, le ray sollicitait un éparpillement des populations. Les insécurités historiques en obligeant à des refuges localisés ont contribué “à fixer et à intensifier”. Il n'est pas certain non plus que seules les agricultures très intensives sont génératrices de collectivisme, cas bien connu des Moï. Attendre 10 ans, voire 25 ou 30 ans, a pu devenir irréaliste et très tôt la rotation n'a pas été respectée et la sédentarisation a renforcé le mécanisme. L'écobuage amélioré a ainsi peu à peu conduit aux densités que l'on connaît dans les peuplements des montagnards Miao ou Tujia du Guizhou, du Hubei ou du Hunan. Ce mécanisme a procédé d'une destruction presque totale de l'espace forestier et s'est accompagné de l'aménagement des terrasses avec certainement le développement de la propriété privée, obstacle au maintien d'espaces boisés.
Le fait que 60 % de la superficie actuelle de la Chine aient été incorporés tardivement à l'espace chinois a sans doute retardé pour certaines régions la déforestation totale. En 1949, les forêts couvraient au total probablement 90 à 100 millions d'hectares, soit moins de 10 % de la superficie de la Chine, avec localement des taux très bas. Actuellement la Chine fait encore plus piètre figure avec un taux qui est tombé encore plus bas, 5 à 8 %, car certains auteurs y incluaient les plantations de théiers ! Comparés à l'ex-territoire soviétique, 34 % de vraies forêts, aux Etats-Unis 33 % ou même à l'Inde 22 %, ce taux est inquiétant même si l'on admet un taux de 9 % (PEZEU-MASSABUAU, 1972) comparé au Japon (68 %). Les forêts du Yunnan, principale réserve, déclinent de 13 % par décade. Les forêts du Sichuan ont chuté de plus de 30 % depuis 1950, et ces taux sont comparables dans les zones montagneuses qui représentent 40 % du total forestier, 20 % étant dans les zones collinaires.
Ce déboisement généralisé s'est traduit par une pénurie de bois d'œuvre et de combustible. Les besoins en bois d'œuvre ont été estimés à 150 millions de m3 pour la période 1960-1990, ce qui épuiserait en une génération les ressources estimées à 5,5 à 7,5 milliards de m3 (BUCHANAN, 1973). En 1988 les forêts auraient couvert 12 % (?) de l'espace chinois. Lors du 1er plan quinquennal les reboisements ont été de 11,3 millions d'ha. En 1958 27 millions d'ha ont été reboisés, en avril 1959 plus de 13 millions d'ha supplémentaires. En 1961 et 1962, 1,6 millions d'ha de rideaux sont plantés pour lutter contre le processus de désertification dans les régions ensablées (10 % du territoire). Cela a représenté 40 % des surfaces reboisées. Les plans prévoient cependant un reboisement à 20 % de l'espace total à l'échéance de l'an 2000 avec 66 millions d'ha nouveaux, mais il est douteux qu'ils soient réalisés puisqu'actuellement les investissements de reboisement sont très inférieurs aux valeurs des coupes. En 1965, plus de 30 000 fermes forestières étaient gérées par les Communes et les 3 500 fermes d'Etat géraient environ 30 millions d'hectares de forêts (PEZEU-MASSABUAU, 1972). La décollectivisation les a gravement menacées.
La forte population rurale, le déboisement, la pauvreté posent au paysan un problème difficile, celui du combustible (GOUROU, 1984). Face à ce problème, le paysan ne dispose souvent que de ses chaumes qu'il utilise plutôt comme litière ou fumier et de broussailles. Dans certains secteurs rizicoles particulièrement pauvres en végétation arborescente, les céréales sont même arrachées. Ce dernier point menace gravement le recyclage de la matière organique dans un pays où les engrais humains ne représentent plus en 1981 que 10 % des apports totaux, contre 25 % en 1952. Les densités actuelles (223 h/km2 dans le Hubei et 232 dans le Hunan) vont certainement s'accroître, comme les besoins en énergie (annuellement 850 millions de tonnes équivalent charbon). La ponction sur les forêts va donc s'intensifier dans les secteurs des karsts de montagne où il en demeure des lambeaux.
Pour le bois de chauffe et le charbon de bois dont les marchés actuels regorgent (Wufeng), on assiste à la poursuite de la déforestation dans les secteurs les plus difficiles, flancs de canyons, reculées les plus inaccessibles... Cependant l'augmentation de la production et de la consommation de charbon, avec les effets atmosphériques signalés (cf. chap. 12), devrait ralentir la production des charbonniers. La fabrication de briquettes de poussier est devenue pratique courante dans toutes les grandes agglomérations. De ce fait la pollution de l'air est devenue un problème majeur : en 1986 24 millions de tonnes de SO2 et 22 millions de tonnes de poussières ont été éjectées. 14 millions de tonnes/an sont sans doute liées en grande partie au charbon. Les sources sont aussi riches en produits aromatiques cancérigènes (benzo-pyrene). La pollution est largement alimentée par les 15 millions de tonnes de cendres émises par an dans les rivières du fait des incendies agricoles (GLAESER, in CANNON et JENKINS, 1992). Actuellement les grands consommateurs de bois-énergie sont les fours à chaux, chaque village, chaque unité de ferme isolé en met un en œuvre au moins durant la période de réfection de son habitation. La vague d'amélioration de l'habitat commence par l'utilisation de ce type de mortier, le ciment coûtant souvent trop cher. Il faut ajouter les nombreuses briqueteries.
La Chine compte plus de 800 millions de ruraux (6/10 en Chine rizicole), dont plus de 300 millions d'actifs pour un peu plus de 150 millions d'hectares cultivés. Que deviendraient les métropoles chinoises si on retirait des campagnes près 400 millions de ruraux estimés non productifs ? Le maintien de la population rurale dans un système d'intensification agraire n'ira qu'en réduisant les jachères, en déforestant encore plus et en amendant. Comment la Chine pourra-t'elle “survivre et développer” suivant l'expression de CAI et SIGWALT (1993). Le défi démographique chinois est aussi un défi à l'environnement rural dans une Chine où 73,6 % de la population était agricole en 1991.
Au Hubei et au Hunan, la densité de population était respectivement de 290 et de 286 h/km2 en 1990 et les taux d'urbanisation ne sont que de 28,9 et 18,2 % sur une moyenne chinoise de 26,2 %. Il sera difficile de ne pas empêcher la population de croître et surtout les villes : l'accroissement annuel des villes moyennes est de 12,9 et 12,3 % respectivement au Hubei et Hunan. De 1982 à 1991, la population urbaine s'est accrue de 90,63 millions et le taux d'urbanisation est passé de 21,13 à 26,37 % pour l'ensemble du pays (CAI et SIGWALT, 1993).
La disponibilité des terres arables par habitant est de 0,1 ha soit le quart de la moyenne mondiale et plus du quart de l'augmentation annuelle du revenu national est consommé par l'augmentation annuelle de la population.
Avec une population qui va atteindre son sommet entre 2030 et 2050, l'arrivée en âge de procréer des femmes nées lors du “baby boom” de 1963 à 1973, la réduction de la disponibilité des terres, la réticence à une limitation des naissances du fait du culte de l'enfant et de la libération des mentalités, un développement de la consommation, l'apparition du chômage et de la délinquance, on ne voit pas comment la Chine va pouvoir respecter son environnement. Dans les campagnes l'érosion des sols va devenir le problème majeur avec l'intensification et la pratique généralisée des cultures de rente, appelée par la nouvelle société de consommation.
b. Erosion et épuisement des sols, rôle traditionnel des terrasses et contrôle de l'eau
Il y a un lien tellement évident entre l'intensité des pluies de mousson et leur puissance érosive (SION, 1928) qu'il est inutile d'insister. Signalons cependant que le Yangtse écoule en moyenne 979 km3/an, beaucoup plus que le Si Kiang (327 km3/an) et le Fleuve Jaune (56 km3/an). Ces valeurs doivent permettre de réfléchir au potentiel érosif d'une partie du bassin-versant que représente les montagnes karstiques de Chine centrale. Après les ravages des Taiping (1851-1864), les montagnes sont déboisées et dépouillées de leurs arènes qui obstruent les rivières. En Chine du Sud, les ravages de la révolte musulmane (1894-1895) ne sont réparés que lentement et les traces sont encore visibles au début du XXème siècle après près d'un demi-siècle (SION, 1928).
La conquête des pentes est généralisée depuis 1949 et surtout sur les collines défrichées à sols rouges très sujets au foirage qui occupent près de 70 % des surfaces en Chine du Sud (GENTELLE, 1974) et plus de 60 % au Hubei-Hunan. En 1949, la Chine dispose de 21 millions d'ha de terres irriguées, 26 millions en 1955-56, auxquels s'ajoutent 8 millions d'ha l'année suivante et 32 millions en 1957-58 (BUCHANAN, 1973). Cependant de nombreux micro-ouvrages sont mal préparés et sur 1 million de réalisations dans le Hubei, 82 % sont asséchés en 1959. Sur les 71,3 millions d'hectares irrigués annoncés en 1959, seuls les 2/3 sont réalisés.
Entre 1957 et 1977, 210 000 km2 de nouvelles terres agricoles sont nécessaires, alors que seules 1 million de km2 (10 % de l'espace) sont cultivables. Durant la même période 330 000 km2 sont perdus par des aménagements et surtout les érosions, déflations, etc. 40 % des sols sont des sols très dégradés et épuisés, 20 % sujets à l'érosion car très pentus, 9 % sont trop sableux, 8 % engorgés et souvent salés. Dans les plaines du Hubei, alcalinisation et salinisation sont le résultat d'une intense irrigation. Des problèmes de nitrification des profils et des nappes se posent avec les effets de la “Révolution Verte”. Surtout de nombreux profils acidifiés (podzolisation) ne jouent plus leur rôle épurateur. Entre 1958 et 1970, les pesticides sont devenus un problème majeur liés à la culture intensive du riz et du coton. La propagation. des maladies cryptogamiques via les sols, s'amplifie avec l'eutrophisation des nappes dans les profils. Depuis la Révolution Verte, les insecticides à large spectre engendrent l'explosion de la cicadelle brune du riz en 1970. L'utilisation des fumures azotées accroît les germes pathogènes hébergés dans le sol (Rhizoctonia solani), surtout pour les hybrides nains qui se trouvent près du sol.
L'érosion et la dégradation des terres sont indissociables du contrôle des eaux. Si la pénurie d'eau qui menace le nord ne se fait pas sentir de la même façon dans la Chine des moussons, l'irrigation est devenue partout nécessaire pour maintenir les rendements, et les nappes sont de plus en plus polluées en même temps que les retenues s'envasent. Le lac Donting, qui couvrait 6 270 km2 (10 000 en crue), est réduit à 3 500 km2, dont 800 km2 de polder, soit une diminution de 60 % depuis 1949 du fait du colmatage par les sols (la surface s'est encore réduite en 1970 à 2 691 km2). Le lac avait déjà dû être reconstitué après les Ming dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle à la suite d'une période très sévère de désorganisation sociale et d'érosion des sols.
La province du Hubei est profondément modifiée par les aménagements hydrauliques entre le XVIème et le XIXème siècle pendant une période de forte croissance démographique (WILL, cité par GOUROU, 1984). Ces aménagements qui démarrent sous les Song sont précédés d'aménagement de rizières étagées sur les versants. Les incidents sont nombreux surtout lorsque l'attention administrative se relâche (à la fin des Song, de la dynastie mongole, des Ming ou des Mandchou), en particulier en 1788 et récemment en 1981 (avec 23 000 ha inondés) et surtout en 1954. Une dizaine de millions d'hectares de nouvelles terres agricoles délaissées doivent être transformées, mais dans des régions à risques majeurs, en particulier sismiques.
Il n'existe guère de paysages ruraux qui n'aient été modifiés par l'homme en Chine : défrichages rectificateurs des pentes, prairies artificielles à sols amendés sont des techniques ancestrales. Mais c'est dans le contrôle de l'érosion des sols et dans l'édification des terrasses que les paysans chinois sont passés maîtres. Cependant, depuis 1949, les zones d'impact des sécheresses et des inondations s'accroissent de 65 % (SIGWALT, 1989). La désertification touche chaque année 1,5 millions de km2 et la progression est de 0,3 millions de km2 depuis 1949. Chaque année 120 000 km2 de désert sont progradés. Tous les ans, 30 à 35 millions de m3 de sols transitent par les rivières (DERBYSHIRE, in CANNON et JENKINS, 1992) et les occurrences comme celle de la Rivière Xiao avec 2 800 m3/s augmentent depuis les trois derniers siècles.
La solution des terrasses est bien connue sur des pentes de plus de 35-40°, voire 70° et des dénivelés de plus de 100 m. L'utilisation des rideaux d'arbres avec Pinus, Biota, Astragalus, Hypophaea, Ulmus, mais surtout le robinier (Robinia pseudo-acacia) et les bambous. Ces techniques traditionnelles réduisent les pertes en sols de 75 à 90 %. La largeur des terrasses est variable : 5 m sur des pentes de 25° et 22 m sur des pentes de 5°.
Depuis 1950, la stabilisation des sols est assurée avec des plantes nouvelles (Alfalfa, Dactylis glomerata) ou des espèces indigènes très efficaces contre la déflation (Hedysarum, Astragalus, Caragana microphylla, Larix sp. et Salix sp.). Le contrôle de l'écoulement est assuré par des lacs (lac Tungting, plus de 3 000 km2) et de réservoirs dans le bassin du Yangtse qui reçoit les 3/4 des précipitations totales de la Chine. Rappelons qu'en 1931 les inondations font 135 000 morts. Entre 1949 et 1956, plus de 3 800 km de chenalisation et de diversion sont construits et des méga-projets sont en cours.
Les problèmes écologiques liés à la future retenue des “Trois Gorges” sont cependant loin d'être maîtrisés. Le barrage va avoir 200 m de haut, créer un lac de 2 km de large et 500 km de long, provoquer une remontée du niveau de base de plusieurs mètres et obliger sans doute le déplacement de plus de 50 millions d'habitants. On ne connaît rien des impacts sur la circulation karstique, sur le fonctionnement des nappes, en particulier sur la modification de leur rôle auto-épurateur lié à la remontée du niveau de base dans une région très peuplée. La maîtrise de cette réalisation gigantesque demandera de longues évaluations préalables.
II . La zonation des cultures au Hubei et au Hunan
Les provinces du Hubei et du Hunan constituent depuis longtemps une unité et elles forment jusqu'à la fin de la dynastie Ming la seule province de Huguang. Au moins à partir du XVIIème siècle, elles fournissent en grain le bas Yangtse et en reçoivent les émigrants. Ces régions sont enclavées et les zones cultivées ne représentent que 20 à 25 % des surfaces totales. Surtout montagneuses, elles sont caractérisées par de fortes minorités ethniques (au Hunan 4 %) et des densités de montagnards qui peuvent dépasser 100 hb/km2 dans l'ouest du Hubei (LARIVIERE et SIGWALT, 1991). Depuis la généralisation de la décollectivisation en 1982, les micro-exploitations familiales dominent comme partout en Chine, avec une double logique d'économie familiale et de marché et réussir la performance de nourrir sur 7 % des terres arables du monde 20 % de l'humanité.
Ces dernières années une certaine dégradation des aménagements est observée, mais il demeure un fort investissement manuel ; en effet, seulement 40 % de la surface cultivée est labourée au tracteur et beaucoup moins dans les zones montagneuses. Ces régions sont régulièrement affectées par les catastrophes naturelles, surtout entre 1958 et 1960, mais la stagnation de la production entre 1985 et 1988 représente aussi un certain désengagement de l'état. La production est pour plus de 75 % végétale (le riz représente en 1949, 78 % en poids de l'alimentation du Hunan), avec une croissance récente des oléagineux (colza et maïs) et des cultures maraîchères pour les besoins urbains. Les contraintes pèsent surtout sur le Hunan qui a dû mal à assurer des revenus par la seule agriculture et l'intensivité est bloquée par la pression démographique. Le Hubei est un peu mieux placé avec une productivité par actif agricole de 1 200 à 1 600 yuan/an contre 650 à 940 yuan/an pour le Hunan, la moyenne chinoise se situant à 994 yuan en 1987 (LARIVIERE et SIGWALT, 1991). La production en quintaux/ha/an est passé de 12 à 36 entre 1400 et 1957 dans le Hubei et de 12 à 36 pendant la même période dans le Hunan, la moyenne chinoise étant passée de 10 à 20 environ (PERKINS, cité par GENTELLE, 1974).
La période de grands défrichements entre 1400 et 1900 voit son apogée au XVIIIème siècle dans le Hubei et le Hunan avec l'introduction massive du blé. L'introduction des plantes américaines se produit dès 1550-1560 avec le maïs et la patate douce et un peu avant avec l'arachide. Ces cultures se généralisent et engendrent dans les collines du Hubei-Hunan des érosions considérables à la fin du XVIIIème siècle, au point que dès le début du XIXème siècle la culture du maïs est interdite sur les collines du bas Yangtse et c'est justement la période d'implantation massive des théiers.
La réforme agraire modifie profondément les paysages : d'abord le parcellaire et aussi les usages (pacage, glanage, bois). Une spécialisation des parcelles apparaît comme des bâtiments ruraux. La suppression des marchés locaux et leur remplacement par des foires régionales sont durement ressentis. La lourdeur des fermages, jusqu'à 40 % dans le Centre et le Sud, est abrogée et une partie de la plus-value du travail de la terre revient au paysan (suppression de l'usure et introduction des "tontines" de financement). Le blé remplace l'orge et dès le premier plan quinquennal 380 variétés nouvelles sont introduites, avec les consignes de plantations serrées, de destruction des rongeurs (17 millions de rats détruits au Guangdong en 1958).
Sur plus de 5 000 ouvrages hydrauliques datés avec précision d'après PERKINS (cité par GENTELLE, 1974), 1 993 sont réalisés entre le Xème et le XXème siècle dans les provinces de l'Est, 168 avant le Xème, 315 au Xème-XIIème, 93 au XIIIème, 448 au XIVème, 157 au XVème, 314 au XVIème, 291 au XVIIème, 128 au XVIIIème et 9 au XIXème. On se rend compte de la part importante joué par l'état durant quatre périodes majeures d'engagement collectif : Song (Xème-XIIème), Yuan (XIVème), Ming (XVIème-XVIIème) et Révolution Communiste. Dans le Hubei le barrage de Danjiangguo retient 28,3 milliards de m3 d'eau et il a été aménagé comme 57 autres entre 1950 et 1960.
Les karsts de Chine centrale sont caractérisés par un intense aménagement des versants et des dépressions et une exploitation remarquable et ancienne des poljés, avec irrigation et aménagement des pertes. Le bois joue un rôle considérable dans la construction des maisons des minorités Tujia, mais leur implantation, avec un étirement dans le bas des pentes, ou sur les replats à lapiés procède d'un souci de ne pas mordre sur le sol arable, souci qui illustre les mosaïques des zonations de cultures. De nombreux exemples régionaux sont illustrés dans les différents comtés.
A. L'exemple du comté de Sangzhi au Hunan
Le Comté de Sangzhi appartient à la Province du Hunan qui compte 0,42 millions d'habitants, un des plus pauvres de la Chine. La région étudiée est une zone de partage des eaux entre les deux provinces dans un système de structures géoanticlinales. Le climat ,de type subtropical à hiver frais, est caractérisé par des températures minimales de 0 à -8°C et des maximales de 38°C, une forte amplitude thermique annuelle (40°C) et des pluies de mousson d'été.
La végétation est très dégradée et les forêts conservées sont rares et voisines de 0 %, à l'exception de la réserve de “Badakung Park”, avec une forêt relicte à Pinus, Thuya, Gingko et différentes espèces relictes (“Old Trees”). Avant 1949, l'espace forestier représentait 90 % de l'espace du comté. Les couvertures pédologiques sont minces et ne représentent que 40 % de l'espace. Les sols sont distribués en de vastes catena incluant en altitude des lithosols, puis des sols jaune-brun au-dessus de 500 m, fréquents sur les grès et une gamme variée de sols rouges sur les calcaires. Les problèmes d'érosion des sols sont préoccupants, surtout sur les paléosols argileux rouges, souvent allochtones.
Il existe de nombreuses grottes aménagées. Certaines cavités ont un fort courant d'air : Long Tan Ping, Dragon Pool, la condensation de l'air assurant l'approvisionnement en eau des racines dans l'endokarst. Le régime hydrologique saisonnier est particulièrement marqué par de fortes charges turbides enregistrées dans les spéléothèmes et remplissages souterrains, ce qui atteste aussi une forte occupation des sols et une découverture végétale importante et ancienne. Le Comté produit principalement du riz (0,5 millions de kg, 300 kg/ha/an), du maïs, du tabac, de l'arachide et du colza. Les industries sont faiblement représentées et surtout agro-alimentaires (huile de colza), des manufactures de cigarettes, des cimenteries, des exploitations minières de charbon.
1. Des systèmes élaborés de défenses
L'une des premières réponses des paysans aux problèmes posés par leurs systèmes d'agriculture intensive est probablement celui des défenses végétales. Cependant on observe de notables différences régionales dans les systèmes bocagers, liées à l'âge des aménagements, mais aussi à des différences de nature sociale ou ethnique.
A l'amont de Guanyindong (grotte des femmes saintes), on observe un système de défens végétaux à l'amont de la grotte qui domine un canyon profond de 300 m. Le système de fortifications végétales (à Ifs, Prunus, aubépine, Rosa canica, robiniers et bambous) est ancien et complexe. D'une part il est associé à un grand mûr de soutènement qui contrôle un ravin, d'autre part il a été plusieurs fois réaménagé avec des terrasses plus récentes. Les friches, avec une association de rudérales et d'épineux, représentent une ancienne zone de pâturage. Actuellement les cultures avec écobuage reprennent sur des pentes sans terrasse. Schématiquement on observe les aménagements suivants depuis les plus récents :
- des champs d'écobuage ;
- les levés de terre à robiniers et bambous et les terrasses des fermes ;
- des champs avec des terrassettes ;
- des rizières à grandes levés armés de pierres ;
- des murs en grand appareil associés à d'anciennes défenses végétale à robiniers, Prunus et bambous.
2. Des aménagements adaptés à la lithologie
Entre Sangzhi et Hefeng, les aménagements agraires illustrent bien la parfaite connaissance des paysans du comportement lithologique.
Sur le “rougier” du Trias, on observe un contrôle de l'instabilité des versants et du fort colluvionnement. A l'amont sont maintenus des chapeaux de forêts dont les troncs en lisière servent à accrocher les meules. Sur les versants, les terrasses à méga-soutènements sont construites avec des murs enterrés, terrasses souvent réparées et utilisés pour les cultures maraîchères actuelles. Les aménagements récents sur pentes et les terrasses colluvionnées multiples attestent des aménagements continus. A l'aval, les hautes terrasses fluviatiles argilo-limoneuses sont cultivées et les villages sont installés hors d'atteinte des crues sur une moyenne terrasse grossière. Les gravières sont exploitées récemment, ce qui engendre un sapement des berges. Une coupe en travers d'une vallée vers 250-200 m enregistre les réponses paysannes à la grande instabilité des versants et à l'importante fourniture de matériel : aménagements successifs des hautes terrasses fines avec le contrôle de murs ; édification d'une moyenne terrasse grossière avec des radiers. Les nappes de colluvions sont toujours piégées derrière les terrasses, mais une incision subactuelle menace les aménagements.
Sur les calcaires du Permien inférieur, les réponses paysannes sont fort différentes du fait de la modestie des apports latéraux. Le soutirage soustrait les produits en profondeur et les sols sont limités aux aplanissements et aux poches. Vers 400 m les arbres ont moins de 20 ans et le taillis traditionnel à épineux est exploité sur les terrasses abandonnées à limons et colluvions. Les pentes sont aménagées en terrasses plus récentes avec des champs de lapiés cultivés plus ou moins couverts. Une coupe schématique des aménagements montre une relation très étroite avec le système karstique : grands versants aménagés en terrasses anciennes à l'aval de porches karstiques, cultures récentes sans terrasse, jardins sur les aplanissements étagés à crypto-lapiés, méga-terrasses rizicoles sur les replats fluviatiles dominant les canyons de 100 à 120 m.
B. L'exemple de la région de Wufeng (Hubei)
La région de Wufeng (2 375 km2) est actuellement fortement boisée (70 %) et montagneuse (culmen 2 320 m). En 1980, elle comportait 75 % de bois et seulement 25 % entre 1914 et 1917. La population totale est de 200 000 hb (58 % de Tujia), avec un taux de croissance de 1,1 %. Dans la région de Wufeng seulement 10 % de la surface est cultivée. Les cultures sont très diversifiées sur les plateaux : tabac, thé, maïs, blé, patate, riz, choux, radis-raves et nombreuses plantes médicinales. Dans les vallons la culture de plusieurs types de raves d'hiver est fréquente. L'élevage du porc est omniprésent. Les captages d'eau sont souvent remarquables, avec des systèmes de bassins aménagés avec de l'argile et des captages en tube de bambous qui servent de conduite jusqu'à des tonneaux. L'hiver, du fait d'une forte condensation atmosphérique et d'un point de rosée le matin, l'air est relativement sec, ce qui nécessite un arrosage pour les légumes. Cependant la forte teneur en limons homométriques (limons éoliens de moins de 10 µm) dans les profils donne une bonne capacité de rétention en eau.
1. Les dolines et les versants à l'amont de Tiankengcao
Dans le petit village situé au-dessus de la cavité de Tiankengcao, l'agriculture est très diversifiée (maïs, tournesol, soja, légumes dont le radis-rave, arachide et thé) et associée à l'élevage des poules et surtout des porcs, les fanes de radis étant séchées pour leur servir d'aliment. La culture commerciale du tabac est récente et très développée. Les feuilles sont séchées en grappes empilées sur des cordes, puis assemblées en bottes. Le maïs sèche dans des au-vent couverts de plastique. Le séchage des fanes de radis est associé à celui des plantes médicinales et du piment. Les fanes de maïs sont récupérées pour servir de litière et de complément fourrager.
Les aménagements récents au-dessus des champs de lapiés sont consacrés aux cultures commerciales (tabac) sur de très fortes pentes, souvent sans terrasse ou sont réservés aux cultures de rente immédiate (maïs). Les légumes sont cultivés sur les anciennes terrasses aménagées. Le contrôle du ravinement dans les radiers est globalement assuré, mais des incisions subrécentes sont fonctionnelles durant la mousson. Le travail s'effectue à l'araire tractée par un buffle. Le thé envahit les champs de lapiés sur des placages limoneux ou de sols rouges, issus de l'altération des phyllades. La colonisation des résineux remonte à 20 ou 30 ans. Les arbres plus vieux sont rares. A l'origine la végétation était constituée de différentes espèces de feuillus, en particulier de Castanus et de Laurus.
Les petits villages sont protégés par des fortifications végétales à base de bambous ou rarement de robiniers. Les barrières végétales de bambous sont utilisées dans un maillage très lâche et relique dans le compartimentage des parcelles. Les bâtiments sont en pisé avec un pavement basal de pierre et une armature en résineux. Le toit est en tuile, rarement en lauze ou en bardeau. Les aménagements agraires des dolines et des versants à l'amont de la cavité de Tiankengcao montrent un gamme complexe et très élaborée. Les bords de la cavité (I) sont protégés du soutirage par des bambous et le talus est occupé par une plantation en bandes de tabac.
La grande doline située au-dessus de la cavité, vers 1 180 m, montre une mosaïque (II) d'aménagements avec des associations de cultures et des successions complexes de zones boisées, de friches culturales et de parcelles de contrôle du drainage. A l'amont, les versants (III) précisent les étapes de mise en valeur. Le sol ocre-rouge décapé sur altérites micacées provient d'anciennes terrasses gommées par l'érosion. Le colluvionnement récent est freiné par une deuxième génération de terrasses et des rideaux de résineux.
Les versants vers 1 270 m (IV) depuis la rive gauche de la vallée fonctionnent en terroirs avec une rotation des friches. La mise à nu définitive de secteurs de lapiés a été contrecarrée par des jardins miniatures au prix d'un investissement considérable en temps de travail. Seuls les buttes coniques conservent des lambeaux de forêt mixte. Les fermes isolées ont chacune leur terroir, mais en association et usage complexes. Dans le fond de vallée (V), les terrasses anciennes sont vouées aux légumes y compris sur les talus. Les versants pentus sont consacrés au maïs et au tabac. Le radier est endigué et à sec en hiver, il est utilisé pour le séchage des fanes de radis. Figure 1
2. La grande doline à l'amont de Dadong
Dans la doline à l'amont de Dadong, les aménagements montrent des associations très perfectionnées et adaptées à l'exposition et au fonctionnement du karst. Une vue perspective (I) depuis la terrasse de "la ferme du bus" illustre la lente domestication du versant. Le contrôle est assuré par des défenses végétales, des terrasses aménagées, des radiers, des plantations en bandes et des mosaïques culturales avec rotation et cultures mélangées (type “cultura promiscua”). La catena (II) entre 950 et 850 m associe les champs en billons sur lapiés mordant sur les parois de la doline. Des plantations de théiers en courbes de niveau stabilisent les hauts des pentes. Des champs de lapiés à l'aval sont consacrés aux différents légumes. Les champs récents sur les pentes les plus raides sont exploités sans terrassement. A l'aval, des terrasses anciennes sont réutilisées pour les cultures de maïs récentes en ligne dans le sens de la pente. Les aménagements les plus récents engendrent un soutirage actif, mais contrôlé au niveau du ponor par des bambous.
La catena (III) des sols cultivés est composée au-dessus de 900 m de sols brun-rouge à rouge avec un horizon R/C piégé dans les poches des paléosurfaces et riches en éléments de schistes ordoviciens. Des sols brun-jaune colluviaux et des vertisols colluvionnés à multi-nappes achèvent la séquence. Vers 900 m, le profil-type (IV) sur 1 m présente un horizon Ah, un horizon A1 à colluvions micacés, enfin trois nappes de terrasses cultivées. Le versant a été maîtrisé plusieurs fois au fur et à mesure que les cultures progressaient vers l'amont. Les terrasses aval sont enterrées dans plus de 2 m de colluvions.
Le versant sud, depuis la ferme située vers 900 m, témoigne d'un contrôle plus ancien et plus élaboré de la doline. Les associations de cultures à blé d'hiver sont intégrées à des mosaïques boisées. La catena (II) entre 950 et 850 m est la suivante : forêt mixte sur les pentes des cônes, champs récents avec cultures dans le sens de la pente, théiers, céréales et maïs sur les pentes, méga-terrasses avec cultures de légumes, barrière à résineux ébranché, maïs sur les talus des terrassements. Le soutirage est actif et l'intérieur du ponor est colonisé par les bambous. La catena (III) des sols cultivés est localisée à l'aval des buttes karstiques, au contact calcaires / Ordovicien schisteux. Des racines d'altérites schisteuses sont piégées dans les poches. Des sols complexes à éléments schisteux et colluvions loessiques assurent le raccord avec les champs de lapiés. Sols brun-jaune à colluvions et vertisols loessiques complètent la toposéquence.
Le profil-type (IV) vers 890 m indique un fonctionnement plus ancien des nappes colluviales, 2 ou 3 terrasses enterrées et une nappe de limons soutirés depuis les poches du karst. A la base un horizon tronqué à éléments micacés sur un sol rouge (horizon R/C) est plus ou moins colluvionné avec des éléments schisteux altérés. Hauts versants et méga-terrasses initialement rizicoles ont enregistré une mise en culture très ancienne nécessitant un investissement collectif déjà élaboré. Figure 2.
En redescendant vers Hefeng, les aménagements agraires soulignent une colonisation récente des résineux. Les champs récents obéissent aux règles imposées par les quota de production et non dans le but de sauvegarder les pentes. La catena typique montre cependant quelques restes de défenses végétales à Prunus, robiniers, bambous et églantiers observables encore en bord de route ou de sentiers. La mosaïque de forêts de feuillus, de “maquis”, de “garrigues” et de friches à rudérales et de plantations de résineux alterne encore avec maïs et tabac, plantation de théiers en courbes de niveau, cultures maraîchères sur terrasses et rizières. Les radiers sont aménagés et chenalisés avec des captages en bambous, mais une grande auréole d'érosion mal maîtrisée cerne la ville.
3. Les versants à l'amont de Donghe
Les versants à l'amont de Donghe sont surtout consacrés au blé d'hiver, avec la pratique de l'écobuage et l'exploitation du bois sur les parties hautes. L'utilisation récente du charbon a rendu caduque certains aménagements, en particuliers des bassins en plein air pour griller le cochon. Ils étaient alimentés par la collecte de fagots. La coupe du bambou est assez réduite dans ce secteur, si bien que les bambouseraies sont de belle venue.
Uue vue perspective montre une forêt mixte sur les pentes des cônes karstiques et de vieilles surfaces occupées par des friches boisés exploitées. Les terrasses fonctionnelles sont cultivées en légumes et blé d'hiver et les terrasses abandonnées sont envahies d'une friche à épineux, Laurus et Castanus, avec des barrières de bambous : c'est une zone de récolte des fagots. La catena vers 400 m précise que la colonisation de Pinus est récente et que le système d'exploitation était largement dépendant de la localisation des sols dans les poches et sur les replats des cavités recoupées. Un ancien radier situé vers 400 m, dans une zone boisée à laurier-sauce, bambous, épineux, rudérales et graminées, a encore son captage d'eau et sa station de pompage désaffectée datant de la période Mao ou de la dernière guerre.
L'abandon rural des terrasses daterait de moins de 20 ans et ne semble pas lié à un exode vers les villes, qui serait trop ancien, d'après enquête auprès des paysans. Il s'agit plutôt d'une déprise d'origine volontaire, par décision du Comté, conjuguée aux effets d'une forte dénatalité. Les abords d'une ferme vers 440 m sont très agréables avec ses protections végétales à bambous et grands arbres, tecks et robiniers, ses cultures de case sur lapiés et ses champs de blé d'hiver. Les plantations de théiers viennent buter sur les bâtiments en pisé. La plupart des fermes sont peu peuplées : peu d'enfants et les femmes célibataires sont nombreuses vivant quelquefois avec leurs soeurs. J'ai souvent été invité à prendre le thé vespéral dans ces montagnes du Hubei ! Privilège de l'âge ou seulement parce que j'étais pratiquement le seul “long-nez” hors des trous durant le jour ?
4. Les versants et le fond du poljé de Changleping
Le poljé de Changleping a 10 km dans son grand axe est-ouest. Les formes karstiques sont majeures : plusieurs étagements des cônes de bordure, paléosurface sommitale, cavités recoupées, banquettes de corrosion, seuils avec altérites piégées dans les coalescences de paléovallées affluentes, plusieurs générations de dépôts alluviaux. Changleping est connecté au-dessus de 980-990 m à des appendices sud. Les diverticules de ce poljé de vallée dénotent une activité du réseau souterrain, en particulier entre 950 et 890 m. Le poljé est remblayé par un système de glacis alluviaux jusqu'à 970 m, au niveau d'un palier karstique.
- Population et aménagements : La population est de 600 à 700 habitants, surtout des paysans, répartis en quatre villages. L'expansion démographique est contrôlée et limitée à un enfant depuis plus de 20 ans. La ligature systématique des trompes est effectuée à l'hôpital lors de la naissance du premier enfant. Il existe cependant une difficulté de contrôler les zones paysannes montagneuses. L'âge du mariage des filles est récemment remonté à 20 ans.
Les murs des habitations sont en pisé (tru chiang) ou en brique, avec un soubassement et une sole en pierres. Les toits à 2, 3 ou 4 pans en tuiles ou en bardeau, rarement de chaume, montrent une ouverture latérale triangulaire qui sert pour la ventilation et le séchage du maïs, souvent dans l'avancée des toits. Certaines habitations présentent des galeries, des balcons, des mezzanines externes. Les portes ont des linteaux droits.
Le système de culture est privé, les paysans sont dépositaires des terres, mais non propriétaires. Ils sont gestionnaires, avec des concessions à vie, soumises aux taxes locales. Celles-ci sont importantes, entre 200 et 1 000 yuans/an/hb, y compris les enfants. Elles sont variables suivant les régions. L'attribution des terres se fait localement : 4 à 8 mu par famille (1 mu = 1/15ème ha). Suivant les secteurs, cela représente 1 000 à 1 500 m2/hb, entre 2 304 et 4 608 m2 par famille. La production est contrôlée par un système de taxes. La culture du tabac est libre, mais le marché est contrôlé par les manufactures d'achat de l'état.
Le fonctionnement du poljé est totalement sous contrôle anthropique et entièrement aménagé : ponors endigués, chenalisation des écoulements en long et des apports latéraux, endiguement des vallons latéraux. On observe un système de réaménagements récents (30 ans ou moins) dans l'axe des écoulements principaux et des grandes érosions linéaires subrécentes. Une période majeure d'érosion linéaire est antérieure aux plus vieux aménagements observés. Elle pourrait correspondre aux grandes déforestations, période de nettoyage du crypto-karst et d'exhumation des crypto-lapiés, avec le soutirage des sols dans l'endokarst. Elle daterait de l'Holocène-Néolithique. L'érosion actuelle n'est pas négligeable, compte-tenu du débit des affluents. Dans le radier, de 2,50 m de profondeur sur 4 m de large, aménagé à l'amont d'un affluent du poljé (vallée de Xiejiaping), la crue d'été dépasse 1 m, soit un débit de 4 m3/s environ.
- Dans la partie centrale et occidentale du poljé, le schéma morphologique (IV) montre plusieurs surfaces inter-cônes et des aplanissements intermédiaires à crypto-lapiés découverts. Le dégagement des lapiés s'inscrit dans une grande période d'incision probablement holocène. Les remblaiements historiques sont eux-mêmes réincisés. Les bordures du poljés (VIII) montrent des formes trapézoïdalees sur le flanc des cônes karstiques. Elles jalonnent des failles et passent à des terrasses alluviales à l'aval. Les vallons suspendus portent des terrasses de culture abandonnées.
Les paysans pratiquent deux types de techniques culturales : en planches et en billons (X) pour les choux et les radis (tenep), les raves (luo-pu) mélangés, avec utilisation des levés de terre brûlée (fonction de nettoyage, de fertilisation et de désinfection). L'introduction des petites serres en plastique est récente (3 ans). Les associations de cultures (XI) pratiquées par les Tujia sont complexes : culture alternée de radis et de trèfle (shao zi), puis récolte des radis et creusement de sillons avec enfouissement de fanes, de litière (yao ji fei liao) et de lisier de porc. La plantation des patates et la fabrique de billons succèdent à la mise en terre des bandes restantes de trèfle.
La catena (I) entre 970 et 960 m associe patates, riz, maïs, tabac, blé d'hiver, colza (yo tzae), cultures mélangées de choux et radis (tenep), péchers (tao) et arbre à teinture (chi ou tchi). Elle est organisée avec une forêt mixte, des taillis sur terrasses abandonnées et des bambous sur sols loessiques jaune-brun. Les sols brun-jaune à horizons colluviaux plus ou moins vertiques et les vertisols à horizons Ap complète la séquence avec à l'aval une chenalisation et des citernes. Les pentes au-dessus du ponor aménagé vers 950 m dénotent la complexité du système de gestion du fond de poljé. La catena (XII) est variable suivant les versants. Entre 1 000 et 950-970 m, une forêt mixte colonise des sols jaune-rouge et des terrasses abandonnées depuis le Maoïsme sur colluvions et limons. Des vertisols de 2 à 3 m d'épaisseur sur alluvions témoignent des déstabilisations actives. La route longe le radier principal et les ponors aménagés. En remontant sur les versants opposés on observe des luvisols sur alluvions, puis des sols colluvionnés, des vallons perchés et des altérites avec des sols rouges dans les poches karstiques.
Quatre périodes sont ainsi mises en évidence sur les versants (III) : 1) un façonnement de vallons suspendus ; 2) une grande incision avec remblaiement principal ; 3) une incision de 6-7 m ; 4) un aménagement du radier depuis 30 ans avec une incision actuelle de 2-3 m. Cette évolution est illustrée par une coupe morphologique au niveau de la ferme (V). La pente du remblaiement principal est faible (1-5 %) et les vallons déconnectés sont aménagés en amont de l'incision historique. Un profil (VI) vers 970 m montre des colluvions supérieurs sur des limons rouge et des colluvions inférieurs avec à la base des sédiments alluviaux. Sur le versant nord d'un autre ponor aménagé vers 950 m (VII), la position du remblaiement alluvial grossier est précisé par rapport à un ancien seuil. Des terrasses (IX) vers 950-960 m sont bien visibles sur les versants exposés au sud. Abandonnées depuis moins de 20 ou 30 ans, elles ont été réaménagées vers 1967-1968 d'après les dires des paysans.
- La partie occidentale du poljé et la vallée de Xiejiaping : Dans la partie occidentale du poljé le ponor (I) est aménagé entre 940-950 m, avec un radier principal (950 m) de 7 m de large, un radier emboîté de 1,50 m de large et un système de vasques. Les aménagements (II) sont complexes sur les versants du poljé à banquettes de corrosion. Les terrasses alluviales caillouteuses à paléosols, vers 910 m, sont cultivées en thé et riz. Les ponors sont contrôlés par des bambous. Le raccord est très clair entre deux niveaux d'érosion (érosion holocène et incision historique). Dans un champ de colza associé au trèfle (III), les paysans utilisent le fumier de litière de porc et les fanes de radis-rave pour les cultures en billons.
Une vallée affluente (Xiejiaping) est gérée en grande catena (IV) avec des cultures de radis-raves sur les pentes à blocs et des rideaux à Cryptomeria et Pinus. Le colza (yo tzae) est cultivé en ligne au-dessus du radier aménagé. Les radis sur le versant opposé se localisent à l'aval de loupes de foirage mal contrôlées par des Pinus ébranchés et les théiers dans le sens de la pente. De notables différences existent entre les deux versants. Sur le versant ouest (V) les murs sont enterrés sous des colluvionnements récents et le contrôle ne s'effectue qu'à l'aval. Sur le versant est (VI), les plantations de théiers sont aménagées à l'amont d'une loupe de glissement. Les cultures de radis-rave occupent les éboulis de blocs d'une coulée ancienne bordant des champs de lapiés à “bad lands”. Les terrassements sont cultivés en colza. Ces observations (VII) suggèrent quatre périodes d'évolution des versants : 1) éboulements à blocs et aménagements anciens ; 2) loupe de glissement ancienne ; 3) aménagements récents ; 4) érosion linéaire récente. Au niveau d'un vallon situé entre 1 100 et 1 200 m (VIII), une coupe (VIII) précise l'ancienneté de l'éboulement à gros blocs sur lequel un paléosol est enterré par plusieurs nappes d'érosion.
L'histoire de lévolution des versants de la vallée affluente de Xiejiaping peut être résumée par un schéma (IX) qui se retrouve dans les remplissages du poljé de Changleping :
(1) décapage des versants et exhumation d'un crypto-karst avec sédimentation d'une terrasse grossière (Holocène-Néolithique ?) ;
(2) aménagement des premiers contrôles de versants et endiguement à l'aval (période antique ?) ;
(3) foirages des versants et éboulements à mégablocs (période historique, Moyen-Age ou XVIIIème siècle ?) ;
(4) reprise de l'érosion en loupes et érosion linéaire liée aux aménagements sur les fortes pentes (période maoïste et post-maoïste ?). Figure 3
C. Les systèmes agraires de la région de Hefeng au Hubei
Le Comté de Hefeng appartient à la province autonome du Hubei et dépend de la préfecture d'Enshi. Il compte 206 000 habitants, dont 18 000 à Hefeng pour 2 889 km2, avec une forte proportion de minorités (53 %), Miaos et Tujia, quelques Mongolias et Tong du Vietnam du Nord et des Yaos. Les Han représentent le reste du peuplement. La région est une zone refuge exceptionnelle, surtout dans la partie sud-ouest (Shintando) attestée par de nombreuses archives, (d'après Mr. DJO archiviste du comté). La surface utile est assez réduite (300 000 mu, soit 19 800 ha), les zones forestières et les friches boisées représentant 45 % des surfaces.
L'espace est consacré à la production de bois, de tabac (7 500 t/an), de thé célèbre déjà sous la dynastie des King, le “Kong Fu Tea” (4 000 t/an), exporté en Thaïlande et dans différents pays dont les USA, de riz (15 000 t/an), de maïs (35 000 t/an)n surtout importé d'autres comtés et dont la production est maintenue. La production de pommes de terre (20 000 t/an) est actuellement stable, alors que les légumes sont en expansion. L'élevage du porc est en croissance. La surface utile agricole est largement commandée par les données de la lithologie et du relief. La fumure organique (lisier de porc et fanes) est croissante et les techniques largement pratiquées, par contre les nitrates sont très peu utilisés. Les villes ont entre 10 000 et 30 000 habitants et la population urbaine représente 15 % de la population totale.
L'énergie est surtout d'origine hydroélectrique, soit 450 000 kw/h de capacité, avec une production de 310 000 kw/h. Les 26 productions minérales sont concentrées surtout dans le sud du comté : charbon, marbres, cuivre, plomb, zinc, vanadium, or et phosphates dans les karsts du Cambrien inférieur. Le sélénium (réputé anticancérigène d'après les autorités locales) est présent dans les gisements du Permien à l'ouest du Hubei et il est fixé par les plantes, en particulier le thé. L'exploitation de pierres d'ornement, dans les gisements du Silurien et du Cambrien-Ordovicien, s'effectue en liaison avec le Département de Géologie de l'Université de Wuhan et la Britain Royal Academy. La plus proche université est Anshun. Les importantes ressources de pyrite permettent la production de sulfures et de sulfates. Les industries chimiques sont peu développées et peu transformantes.
Le grand changement dans l'économie intervient en 1949. La population et les infrastructures étaient très modestes avant 1949 : environ 500 familles, pas de routes (actuellement 1 200 km), et pas d'électricité. Avant 1949, 40 % de la population vivaient d'agriculture. Actuellement, 90 % de la population habitent de nouvelles maisons, mais il existe une réelle difficulté à élever le niveau de vie. La croissance démographique est de 1,1 %/ an. Le produit brut depuis la Révolution Culturelle est de 2,2 milliards de yuans/an.
1. Les versants du poljé de Datangmi
Sur les pentes qui mènent au poljé, vers 1 250 m, on observe en décembre des friches boisées à Shunshu (Pinus), Shashu (Cuninghamia) et Luicha (Cryptomeria fortunii Hödebrenk, taxiodiacée), avec une association d'aubépine et de champs de maïs sur les pentes sans terrasse. Les habitations ont une charpente en bois très ouvragée avec des montants courbes et des toits en lauzes. Abreuvoirs, réservoirs et conduites sont également en lauze. Les champs sont épierrés et gagnés sur les zones de lapiés. Au sommet de l'ensellement qui mène au poljé, un reliquat de couverture pédologique humifère brune est piégé par les terrasses aménagées pour la culture des légumes. Palmiers et surtout bambous sont utilisés en protection des soutènements bâtis. Sous les bambouseraies, la culture des champignons noirs sur bûches est une pratique courante. Vers 1 255 m, on observe les systèmes de protection des bambous dans les champs de maïs, de blé ou de radis-raves avec des murs et des défenses végétales (aubépine et églantine). Dans un ensellement calcaire vers 1 320 m, près de la grotte-tunnel (Tantanmag Sijanyan), la ferme isolée a exploité la zone boisée, ce qui a provoqué un grand foirage du versant.
2. Les versants du poljé de Yanziping
Dans l'extrémité nord du poljé, les associations de cultures sont très élaborées : cultures mélangées de théiers et de choux, cultures de maïs et de blé d'hiver alternées avec des pommes de terre. Les adrets sont consacrés aux théiers et aux patates alors que les ubacs sont réservés aux cultures légumières. Les paysans exploitent la forêt mixte de feuillus pour le bûchage et les fagots (coupes de recépage). En cette fin d'année, c'est l'époque de tuer le cochon et les paysans s'improvisent experts-tonneliers pour confectionner de vastes baignoires pour recueillir le sang ou bien encore tailleurs de pierre pour les auges à cochon.
Une catena en travers de la branche sud-est du poljé, vers 1 200 m, montre un versant nord avec des résineux, des théiers, des légumes (radis-raves) et un radier aménagé. Sur le versant sud, les paysans cultivent des champs de pommes de terre et sur les terrasses limoneuses différents légumes, maïs et blé d'hiver.
3. La doline de Xiangshuidong et le Puits du Moulin
La doline de Xiangshuidong est une doline absorbante vers 1 070 m dans un système de karst conique et de surfaces surbaissées. Entre 1 075 et 1 040 m, des forêts occupent le flanc des cônes avec séchoirs à tabac et palmiers à l'aval. Dans les calcaires à plaquettes du Trias inférieur affectés d'un pendage de 50 à 60°, les lapiés sont cultivés en pommes de terres en buttes avec la pratique des feux de désinfection et d'amendement. Des zones sont occupées par des graminées et le débroussaillage affecte de nouveaux secteurs inclinés. La perte est aménagée avec des bambous.
Les bords raides du Puits du Moulin vers 1 100 m sont plantés de jeunes théiers et de rideaux de Djiaoye (herbe à cornets ou nomi). Les sommets de versants sont occupés par une association de résineux (Cuninghamia, Cryptomeria et Pinus) et les bords extrêmes du puits par des bambous.
4. Les aménagements entre Longtanping et Hefeng et entre Hefeng et Wufeng
Longtanping est une commune populaire de 8 000 habitants dont 4 000 travaillent dans l'agriculture et 250 sont membres du parti. 9 000 mu sont cultivés (sur 200 000 mu de terres), dont 2 000 en tabac, 3 500 en riz, 3 500 en maïs pour une production en 1992 de 1 000 tonnes de riz, soit 4 200 kg/ha en une seule culture par an. Le bois de Cedrus est utilisé pour la construction. Les charpentes sont en résineux avec des supports entrecroisés. Les anciennes poutres sont réutilisées, preuve d'une certaine pénurie en bois d'oeuvre. Les chaises sont fabriquées avec un résineux de type Abies. La cuisine des paysans vers 800 m d'altitude, avant la grande descente de Hefeng, montre un four bâti avec une bassine en fonte incorporée et fonctionnant au bois.
Entre Hefeng et Wufeng, on observe de nombreuses traces de brûlis entre 1 950 et 2 000 m dans un karst conique façonné dans les calcaires du Trias. Les flyschs sont occupés par des friches et des plantations de Cryptomeria. Les vallées sont surimposées. La catena montre à l'amont une forêt mixte sur sols à horizon Ah et plusieurs horizons A, des placages discontinus de limons et d'anciennes terrasses à vertisols compactés. Les longs versants dénudés sont occupés par des champs de lapiés. Les aménagements récents sur les pentes et les cultures de légumes mordent sur les versants sans aucun terrassement. Une coupe illustre le fonctionnement des vertisols compactés colluvionnés avec des éléments de Trias. Les murs de soutènement en méga-blocs ont été rehaussé par des terrasses en réponse à deux phases de décapage du crypto-karst et de dégagement des lapiés.
D. La région de Xianfeng dans le Hubei
Le Comté de Xianfeng compte 334 000 habitants, surtout des Tujia et des Miaos (60 % mélangés), les mariages entre ces deux ethnies étant fréquents. Xianfeng est la ville la plus importante, et le maire est à la fois directeur du comté et représentant de la préfecture de Shanshi. Cette zone montagneuse a une forte spécificité : les forêts représentent 65 % de l'espace et c'est une des régions les plus boisées de Chine. L'altitude maximum est de 1 770 m.
- L'agriculture est basée sur le tabac (400 t/an), le thé (2 000 t/an), le riz (150 000 t/an non exporté), le maïs. Le riz est cultivé dans les bassins et les poljés. Le tabac est fameux, parmi les trois meilleurs de Chine. Introduit à partir de 1973, il est exporté. La culture du thé est pratiquée au-dessus de 1 000 m sur les mêmes sols que le tabac. Ces deux cultures ne sont pas alternées. La surface irriguée est locale, près des rivières. Un programme de la F.A.O. a permis le développement des réservoirs pour l'extension des cultures irriguées. Le riz couvre 200 000 mu pour une seule récolte par an. Durant la saison froide, se pratique une association à pommes de terre, colza, blé d'hiver, trèfle (pour l'alimentation des porcs). Les fermes sont privées, mais coexistent des coopératives plus ou moins villageoises.
- Les industries reposent sur le tabac, la chimie et la production agro-alimentaire (manufactures de thé, distilleries d'alcool de riz et de maïs, conserves de porcs, en particulier production de cochons de lait, congélation) et quelques industries de matériaux de construction et des cimenteries. Le revenu brut est de 4,3 millions de Yuans/an, l'agriculture représentant 60 %. Le comté est encore en expansion compte tenu des faibles surfaces cultivées.
- Le poljé de Baishuiba a enregistré l'histoire type des crises et des réponses aux crises. Il a valeur d'exemple en Chine Centrale et les corrélations avec les remplissages de l'endokarst permettent de proposer une chronologie provisoire (cf. chap. 6et 10).
(1) Il y a plus de 8 000 ans, un remblaiement principal avec inondation, érosion, soutirage de sols et colmatage du poljé serait lié à l'intensification de l'agriculture "ray" sur les versants.
(2) Il y a environ 6 000 ans, la reconquête forestière et le développement de la pédogenèse vont contribuer au concrétionnement et probablement au ravinement des dépôts dans le poljé avec de premiers aménagements de terrasses inondables.
(3) Entre 4 000 et 3 000 ans avant nous, un arrêt du concrétionnement et de la pédogenèse, une érosion et un soutirage des sols sont probablement liés à des mises en culture des versants.
(4) Au Moyen-Age (XIIIème - XIVème siècles ?), une grande phase de déforestation et d'aménagements agraires sur les pentes provoquent érosion et soutirage des sols.
(5) Durant la période moderne (XVIIIème siècle ?) se produit une deuxième grande phase d'érosion et de soutirage des sols et d'aménagements du poljé. C'est une période majeure d'installation du réseau de drainage et d'irrigation.
(6) Pendant la guerre (avant 1950) ou durant le Grand Bond en Avant, une troisième phase décape et soutire les sols pendant une période d'exploitation des pentes les plus raides.
(7) Actuellement on observe 2 m d'incision par rapport aux canaux d'irrigation antérieurs qui sont donc partiellement déconnectés du réseau principal de drainage-irrigation. Figure 4.
Conclusions :
VERS DES CRISES DE L'ENVIRONNEMENT ET DES GENRES DE VIE ?
Depuis des millénaires les paysans chinois se sont adaptés aux crises naturelles ou sociales en trouvant des solutions ingénieuses et en élaborant des mosaïques de paysages. Mais depuis 1949, le bilan des gaspillages des ressources naturelles est accablant malgré des réalisations indubitables. La dernière guerre et la période Mao ont provoqué une crise écologique sans précédent dans l'histoire rurale. Il faut remonter au tout début de l'Holocène et à la conjugaison d'une crise climatique et du premier grand impact anthropique, pour trouver un équivalent à l'ampleur des nappes érosives. Depuis 1949, le doublement de la population, la concentration d'industries polluantes et la poursuite de la déforestation ont menacé l'équilibre paysan. La surface cultivable a été depuis réduite de moitié entre 1957 et 1986 (SIGWALT, 1989).
Le paysan chinois a toujours fait preuve d'une grande souplesse adaptative : foncière avec une collectivisation / décollectivisation accélérée, vestimentaires après la réforme agraire de 1952. Le statut de la femme chinoise, profondément modifié après 1949, a joué un rôle déterminant dans cette remarquable faculté d'adaptation. Durant le “Grand Bond en Avant”, 40 millions d'entre-elles quittent leurs maisons durant la seule année 1958 (SUYIN, 1975). De grands changements de mentalités sont intervenus avec la réforme de DENG XIAOPING en 1980 et plus récemment avec l'introduction de la société de consommation. Ils illustrent la souplesse et la fragilité des sociétés chinoises, mais avant tout sa continuité paysanne.
Actuellement, on ne voit guère comment la Chine va résoudre le binôme contradictoire environnement / développement. Ce sera avec une modification profonde des genres de vie dans une Chine rurale où l'objectif millénaire a toujours été de “Vivre” (HUA, 1994).


Karstologia Mémoires N° 6 Année 1995 DONGHE 92 - ISBN : 2-7417-0162-8