Donghe 92 Sommaire

Chapitre 8 : Formation d'un karst conique à partir de la couverture de flysch


Richard MAIRE et Simon POMEL

Résumé - Abstract - ZusammenfassungLes karsts polygonaux, en particulier les karsts coniques, constituent une morphologie tropicale typique en région carbonatée. Nous décrivons ici un modèle fonctionnel d'évolution de karst conique à partir du décapage progressif de la couverture de flysch. L'exemple choisi se situe dans le comté de Wufeng (Hubei) sur l'anticlinorium de Changleping armé par les calcaires et dolomies de l'Ordovicien et du Cambrien. Depuis la route qui va à la perte double du Puits W / Puits E, on observe en l'espace de 10 km trois degrés d'évolution : un stade fluviatile sur flysch imperméable du Silurien avec un système de vallons en V, un stade fluvio-karstique sur flysch et calcaire (cônes à chapeaux de flysch et base calcaire) et un stade de karst à buttes coniques sur calcaires et dolomies. Dans le centre de l'anticlinorium, on distingue un quatrième stade, plus évolué, formé par un karst à cônes, pitons et poljés.
Dans les secteurs les plus évolués, l'ensemble des matériaux rouges (sols, poches, masse détritique des remplissages) est composé d'argiles ferrugineuses, de quartz, de silexites ou de produits micacés qui représentent des reliquats d'altérites très évoluées issues de roches cristallines ou clastiques. En aucun cas la dissolution des roches carbonatées n'a pu produire ces matériaux. Par le processus de soutirage, le karst a favorisé l'altération et le transit de ces couvertures. Parallèlement la karstification a été accélérée sous cette compresse humide et acide. Ce modèle génétique explique un certain nombre de karsts coniques chinois et privilégie en premier lieu la composante lithologique et tectonique. Toutefois les conditions bioclimatiques, avec un couvert végétal discontinu et un climat très contrasté, favorise l'érosion linéaire dans les flyschs, puis le creusement fluvio-karstique des vallons. Cependant d'autres karsts coniques et polygonaux en Chine et dans les arcs insulaires, peuvent s'expliquer sans l'intervention d'une couverture imperméable dans un contexte tropical humide sous dense couvert forestier.
Mots-clés : karst conique, couverture imperméable, flysch, roche carbonatée, érosion linéaire, fluvio-karst, lithologie, tectonique, altération, sol, climat, végétation.



Introduction

Les karsts coniques font partie de la panoplie des karsts tropicaux polygonaux définis notamment par WILLIAMS (1972) et par FORD et WILLIAMS (1989). C'est probablement l'une des morphologies les plus répandues en zone tropicale karstique, par contre elle est rare en zone tempérée. Elle a donné lieu à des études mathématiques et morphométrique du réseau de drainage (TAN MING, 1992, XIONG KANGNING, 1992). Les interprétations portent surtout sur une interprétation morphotectonique à partir de surfaces hydrogéologiques (DROGUE et BIDAUX, 1992). Cependant les études qui prennent en compte les autres composantes de la morphogenèse sont rares : climat et processus d'altération. Est-ce donc la composante climatique qui explique une telle morphologie ou uniquement la composante géologique ? La réponse est complexe en raison de la multiplicité des exemples et des cas d'espèces.
Le cas que nous allons traiter n'explique pas tous les karsts coniques. C'est aussi un cas de figure, mais particulièrement intéressant car il est possible d'étudier simultanément les différents stades d'évolution en fonction d'un transect W-E dans un karst subtropical montagnard de Chine centrale. Ce cas privilégie d'abord la lithologie et le degré de décapage de la couverture de flysch, alors que la composante bio-climatique paraît en retrait. Mais attention, on connaît aussi des karsts coniques qui se forment sans décapage d'une couverture imperméable où jouent préférentiellement les facteurs pédo-climatiques.

I. Les stades morphologiques observés sur le terrain

Le transect étudié se situe à l'ouest de Wufeng quand on va au Puits E / Puits W et à la grotte du Général. Cela permet de visiter la bordure nord de l'anticlinorium de Changleping et sa retombée axiale ouest et d'étudier le degré de décapage de la couverture imperméable des flyschs du Silurien. On passe ainsi d'une morphologie de vallons en V dans les flyschs à un karst à buttes plus ou moins coniques dans les calcaires ordoviciens et les dolomies du Cambrien. Figures 1 et 2
A. Le stade fluviatile sur flysch

Quelques kilomètres après Wufeng, un peu au-dessus de Dadong, on quitte la route principale goudronnée (Wufeng-Yichang) et l'on prend une route de terre qui mène à plusieurs villages jusqu'au canyon de la rivière Chaibuxi situé 15 km plus à l'est. Au début, on traverse une zone karstique, puis l'on parvient peu à peu dans un secteur totalement recouvert par le flysch. La série du flysch silurien est normalement très épaisse (plusieurs centaines de mètres) : elle est formée par des grès et des schistes argileux. En raison de son étanchéité, l'érosion est de type linéaire. On observe des systèmes de vallées en V, avec des versants inclinés à 40-45° et des interfluves aux arêtes généralement aiguës. Les vallons mesurent 50 à 150 m de profondeur et présentent des talwegs jeunes à profil en long assez inclinés. En hiver, ils sont secs ou parcourus par de petits écoulements. En été, lors des pluies de mousson, ils sont balayés par des ruisseaux ou de petits torrents qui continuent de creuser le lit. Plus le vallon s'approfondit, plus les versants sont raides (50-55°), mais ils restent rectilignes car l'eau de pluie érode régulièrement l'ensemble du versant. Les crêtes d'interfluves paraissent s'abaisser plus lentement que les talwegs.
L'eau de surface réceptionnée par cette région imperméable de plusieurs km2 alimente plus bas une vallée qui se développe peu à peu dans les calcaires, puis les dolomies. Elle contribue donc à développer le fluvio-karst situé en aval grâce à un amont non karstique. Cette eau se jette au bout de 10 km dans l'énorme perte temporaire du Puits W par un puits de 40 m (3 km à l'E du village de Changbuxi).
B. Le stade fluvio-karstique sur flysch et calcaire
Au sud et à l'est de la zone à vallons creusés dans le flysch, on passe dans un secteur de transition de type fluvio-karstique. En effet, on observe maintenant un paysage formé par des vallons entaillés au sommet dans les flysch et à la base dans les roches carbonatées de l'Ordovicien. Les interfluves sont ainsi constitués par des reliefs coniques à sommet de flysch et base calcaire. On devine déjà le processus de formation des cônes karstiques.
Les vallons, eux, conservent un profil général en V, mais qui tend à devenir convexe vers le bas en raison du processus de surimposition. Ce processus, bien connu en géomorphologie, explique un creusement linéaire en roche dure et perméable à partir d'une couverture tendre sus-jacente. C'est ainsi que se forment de nombreux canyons. Plus on va vers l'est, plus les chapeaux de flysch s'amenuisent en raison de la remontée axiale de l'anticlinorium et du décapage plus ancien de la couverture de flysch. On est présence d'un fluvio-karst typique à double amont étanche et à plancher perméable. L'amont latéral est constitué par le systèmes de vallons étanches et l'amont direct est formé par les chapeaux de flysch.
Dans le fond de la vallée principale, on observe mieux la transition entre le Silurien et l'Ordovicien. En fait, on constate que le sommet de l'Ordovicien est constitué par des calcaires argileux et des chlorito-schistes verts dont l'altération donne d'épais profils d'altération avec libération des hydroxydes de fer (cf. coupe au-dessus de Dadong).
C. Le stade karst conique sur calcaire
Plus à l'est, en arrivant dans le secteur de Changbuxi, les chapeaux de flysch ont disparu. On est dans un karst à buttes, cônes, vallées sèches, pertes et grottes-tunnels. Ce paysages karstique original constitue le troisième stade d'évolution à partir du décapage de la couverture de flysch. Plus à l'ouest, on voit les chapeaux de flysch se terminer en biseau en raison du pendage général axial de l'ordre de 5 à 10°. Une preuve supplémentaire de l'ancienne couverture de flysch est apportée par l'observation des éléments pétrographiques demeurant dans les altérites et les sols des dépressions cultivées. Il y a à la fois des chlorito-schistes de l'Ordovicien supérieur et des grès du Silurien. Dans le secteur de Dadong, on retrouve même des quartzites très résistantes du Dévonien.
Dans le détail, on constate que le paysage est formé par une vallée fluvio-karstique majeure, alimentée en amont par le bassin-versant des flyschs. Cette vallée à écoulement temporaire et ses affluents se jettent dans des pertes importantes : Puits E et Puits W, avec en plus l'existence de la grotte-tunnel du Général (juste avant le Puits E). L'ensemble du relief environnant est formé par un karst à cônes qui tend à devenir plus régulier vers l'est et le sud, c'est-à-dire vers le centre de l'anticlinorium, là où le décapage de la couverture de flysch est plus ancienne.
En parcourant les reliefs situés au nord du Puits E / Puits W, on constate qu'il s'agit bien d'un ancien système de vallées sèches, de replats et de dépressions séparés par des buttes plus ou moins coniques. Les dépressions et replats sont couverts par des altérites épaisses qui servent aux cultures. On y découvrent des fragments altérés de grès du flysch. Plus remarquable encore est la présence de cavités anciennes déconnectées du niveau de base. La plus belle est Tiankengcao, grotte-gouffre explorée sur plusieurs km de développement et de près de 300 m de profondeur. Il s'agit d'une ancienne perte qui fonctionnait à l'époque où l'on avait un système de vallons fluvio-karstiques semi-actifs. La morphologie du réseau (anciennes conduites forcées, remplissages détritiques abondants avec éléments anciens de grès du flysch, etc.) témoigne donc d'un stade plus ancien de type fluvio-karstique. Compte tenu des arguments géomorphologiques et de l'étude des remplissages souterrains (cf. chap. 6), il s'avère que ce stade fluvio-karstique associant encore des amonts et des chapeaux de flysch n'est pas très ancien dans ce secteur : il pourrait remonter au Pliocène ou au Quaternaire ancien.

II. Interprétation générale

L'immense intérêt des trois stades d'évolution que nous venons de décrire est leur existence dans le paysage à quelques kilomètres d'intervalle seulement. Ce phénomène n'est pas unique dans les karsts de Chine centrale, mais c'est dans cette région de Wufeng que nous avons pu l'étudier avec le plus de clarté.
Signalons un autre exemple remarquable situé au sud de Hefeng, à proximité de la frontière entre le Hunan et le Hubei. Après le col situé à 1 580 m (route descendant sur Hefeng), on passe d'un système de vallons en V dans les flyschs du Silurien à un karst conique dans les calcaires ordoviciens, dont les dépressions sont encore envahies par les altérites du flyschs. Dans ce cas, l'absence d'étude précise de terrain n'a pas permis de dire si l'on a un stade d'évolution sous altérites, donc de nature crypto-karstique, ce qui changerait en partie les données du problème. Il semble bien que ce soit le recul des flysch qui ait permis le dégager ce type de karst conique dont la répartition spatiale et la morphologie sont dépendants de la fracturation. Figure 3
La formation de ce karst conique n'est pas indépendant de l'évolution morphotectonique générale. Ainsi, on observe des niveaux de karstification étagés dont l'exemple le plus remarquable se situe entre Hefeng et Yanziping. A partir du fond de la vallée de la Loushuihe se situant à Hefeng vers 500 m, on observe d'abord un premier plateau à petits cônes située vers 650-700 m, puis un deuxième plateau à cônes et poljés entre 1 000 et 1 200 m. Il faut voir dans ces niveaux de karstification, non seulement des étapes dans le dégagement des surfaces d'altération, mais également des morphologies en relation avec les changements dans le niveau de base, donc avec la tectonique de surrection (cf. chap. 9). Figure 4
A. Micropétrographie de séquences d'altération
L'étude de différents faciès d'altération dans la roche-mère permet de proposer un schéma d'altération cohérent. La plupart des roches présentent une altération à plusieurs phases. Les calcaires biodétritiques (faciès du Trias - lame 33) ou les faciès fins pélito-turbidiques (lame 5) à faible porosité sont peu sensibles à l'altération (lame 3/B) alors que les silexites sont dissociées par des complexes argileux à goethite-hématite (lame 3/C). Les charbons présents dans certains bancs donnent des fragments organiques très dispersables (lame 34).
- Exemples d'altérations : Dans le secteur de Zisuling, sur les replats d'altération entre 1 240 et 1 260 m, les roches ordoviciennes montrent des faciès organogènes silico-calcaires avec successivement un remplacement de la calcite par la chlorite-séricite, de la chlorite par des produits ferrugineux (lame 20). Les roches bioclastiques du Trias rouge sont altérées en chlorite avec néoformation de bactéro-sidérite (lame 21/C). Un peu plus en altitude, on observe le contact entre les calcaires bioclastiques à micrite grise fine de l'Ordovicien avec un ciment clair à micrite ou microsparite avec un plancher riche en éléments schisteux du Permien (lame 22). Des reliquats de grès avec fantômes schisteux sont encore conservés dans les poches (vers 1 250 m - lame 21/A) et au contact les dolomies sont altérées et les grès eux-mêmes sont infiltrés dans les joints intercristallins d'argiles phylliteuses (lame 21/B).
Au sud-ouest de Hefeng, dans le poljé de Taiping vers 900 m, les calcaires du Trias à micrite grise sont altérés dans les fissures (au niveau de filons de calcite) par des néoformations à colonies ferro-bactériennes avec la présence de manganèse (lame 50/B). L'altération poussée des couvertures allochtones a laissé des cuirasses de grès ferrugineux avec des cutanes d'argiles bio-ferrugineuses (colonies ferrobactériennes comme hôte des colonies algaires - lames 50/A1 et 50/A2).
- L'altération phytokarstique : Outre les processus d'altération classique, la plupart des roches présentent dans les cavités chinoises une tendance à l'altération phytokarstique. Cela est dû à la taille et à la ventilation des cavités et sans doute aussi à la présence de bactéries qui fonctionnent avec ou sans photosynthèse (bactéries sulfatantes oxydoproductrices). Un exemple typique a été étudié dans la grotte-tunnel de Chuandong (chap. 6). Par exemple, au plafond d'entrée de la cavité de Laoxiaodong (Xianfeng), la roche du Permien montre dans la partie interne, des plages grises plus argileuses de fragmentation de la biomicrite (lame 59/F1) avec une augmentation de la porosité (10-20%) (lame 59/F2). La partie externe montre le développement d'une croûte blanche microtravertineuse composée de la microséquence suivante (lame 59/G) : 1) alternance de micrite fine microponctuée et de calcite columunaire à croissance bactérienne ; 2) développement en surface d'algues brunes qui contribuent à la fixation des faciès palissadiques et d'algues ocres ou jaunes qui nourrissent des micrites claires.
B. Exemples de caténa d'altérations
De nombreux profils et de poches ont été étudiés dans le secteur de Wufeng et de Hefeng afin de préciser les évolutions.
1. La catena d'altération à l'amont de Tiankengcao (Wufeng)
En amont de la grotte de Tiankengcao qui démarre vers 1 150 m, on observe une belle surface d'altération avec des cônes dans les calcaires cambriens. Les cônes culminent entre 1 500 m vers le sud-est et 1 700 m vers le nord-est, certains vers le nord étant encore coiffés de schistes. La roche est constituée de calcaires microsparitiques du Cambrien supérieur. Les faciès montrent (lame 11/1) des fissures de calcite claire avec des sparites engrenées peu sensibles à l'altération. On observe cependant de fines cutanes intergranulaires. Dans la grotte de Tiankengcao, les faciès de roches montrent des faciès bréchoïdes de l'Ordovicien et du Cambrien avec un ciment siliceux. Dans le réseau des conduites forcées sont infiltrées de grès (lame 13/1) avec des planchers indurés (lame 13/2).
- Une catena des altérations a été levée entre 1 200 et 990 m, depuis le sommet de certains cônes et jusqu'au fond du talweg, et les produits ont été étudiés sur lames minces. A l'amont, on observe des calcaires et des dolomies du Cambrien supérieur. A flanc de cônes, les versants montrent des blocs gréseux épars de microquartzites ou des agglomérats de sables quartzeux. Sur les replats inter-cônes, vers 1 150 - 1 100 m, on observe des poches d'altérites argilo-sableuses au contact avec les dolomies grises du Cambrien supérieur (dolomies grises à cristaux de sparite et pyrite de fer - éch. 12/D). Dans les poches flottent des reliquats de schistes argileux lités à faciès turbiditiques fins représentant des “shales” à boues de phyllades altérées de l'Ordovicien (éch. 12/C). En contre-bas, les versants montrent une gamme d'altération et de faciès de grès ferrugineux et de remplissages ferrugineux.
- Micromorphologie des altérites : L'échantillon 12/E représente une microquartzite ferrugineuse à cristaux de quartz engrenés et ciment ferrugineux à goethite et oxydes de fer avec du manganèse en amas. On observe des micro-filons de quartzites et de nombreux reliquats micacés altérés dans le squelette. Il s'agit d'une altérite de schistes avec néoformation de fer et de quartz en milieu bien drainé, oxydant et acide, avec une évolution en milieu plus engorgé. Deux épisodes de néoformation de quartz jalonnent l'évolution de ce matériel issu de la digestion in situ des schistes ordoviciens.
L'échantillon 12/F est encore plus intéressant. Ce remplissage ferrugineux microlité à cristaux de sidérite montre des fantômes de dolomies remplacés par le fer et entourés d'un corona de silice microcristalline ou d'opale amorphe. La micromorphologie indique que dans un premier stade la dolomie a été engluée par des gels siliceux qui ont contribué à sa digestion, puis les carbonates ont été éliminés et remplacés par de la sidérite. Dans un stade ultérieur, la sidérite a été mobilisée et a donné des néoformations à goethite-hématite en conditions alternées oxydo-réductrices avec néoformation de microquartz et de séricite fibreuse en condition plus stagnante. C'est un exemple typique et fondamental du rôle des couvertures silico-ferrugineuses dans l'altération des dolomies et une preuve de l'évolution crypto-karstique des cônes de ce secteur.
2. Le profil d'altération au-dessus de Dadong
Au-dessus du système souterrain de Dadong, on observe des profils d'altération de plusieurs mètres d'épaisseur recouvrant l'Ordovicien calcaire. L'un d'eux, situé au bord de la route, est décrit dans le précédent rapport (Gebihe 89, p. 176). L'étude pédologique, granulométrique et pétrographique de ce profil, complété par des levés en 92 permet de préciser un schéma d'évolution.
- Description des coupes : Les diverses coupes vers 900 m montrent un sol brun cultivé en théiers avec les horizons suivants :
- entre 0 et 10 cm, un horizon Ao organique brun (10 YR 6/4), présente des passées plus humifères brun-noir (éch. WU 490/a - n° 9, vers - 10 cm) ;
- entre 10 et 50 / 60 cm, un horizon A1/A2 complexe, grumeleux brun clair (7,5 YR 6/4), possèdent des passées plus argileuses brun-jaune clair (10 YR 6/4) indiquant une battance et des remaniements (éch. WU 490/b - n° 8, vers - 25 cm), avec un bloc calcaire flottant ;
- entre 50 / 60 et 100 cm, un horizon A/B enterré représente un paléosol brun-jaune à brun-rougeâtre (5 YR 5/4) avec une structure gumeleuse au sommet (éch. WU 490/c - n°7, vers - 50 cm) ;
- entre 100 et 400 cm, on observe un horizon principal argileux de type Bt, jaune-rougeâtre (5 YR 5/6) avec des petits éléments schisteux altérés rouges et des passées brun-jaune (éch. WU 490/d - n°6, vers - 120 cm). Cet horizon épais fonctionne par soutirage en poches d'argiles plastiques versicolores rouge-jaune (5 YR 4/6) à brun-rouge foncé (2 YR 3/4) vers 180-200 cm (éch. 16 D), avec une structure micropolyhédrique (éch. WU 490/e - n°5, vers 230 cm). Des fantômes de schistes (éch. 16 E - Ech. WU 490/h - n°3, vers 380 cm) et de grès altérés (éch. 16 C) flottent dans des argiles versicolores brun-orange (éch. WU 490/f-n°4, vers 320 cm). Dans la partie inférieure, on observe de nombreux éléments altérés de l'Ordovicien (éch. WU 490/g - n°10, vers 360 cm), avec des horizons argiliques rouge-jaune très plastiques (éch. WU 490/i - n°2, vers 380 cm) ;
 - entre 400 et 500 / 600 cm, on distingue un horizon Bt argileux inférieur plus foncé, brun-rouge foncé (5 YR 3/3) à rouge-violine très brillant (éch. WU 490/j -  n°1, vers 420 cm) ;
- vers 500-600 cm, le contact avec la roche-mère altérée (Ech. 16/F) est bien visible sur les bordures de la poche karstique (éch. 16/B) avec différents types de contacts (éch. 16/A). Figure 5
- La roche-mère carbonatée de l'Ordovicien, constituée de calcaires bioclastiques (tests algaires de dinoflagellées) à grands cristaux de sparite (avec des figures synsédimentaires de pression / dissolution), montre une légère bréchification avec un ciment de sidérite (lame 16/F). On observe de la calcite de néoformation dans un ciment fin interclastique. Différents types de contacts entre la roche-mère bioclastique et des brèches infiltrées dans la poche karstique sont présents. La roche compacte est formée de calcaire bioclastique avec un début d'argilisation et néoformation de sidérite (lame 16/A1). Dans un deuxième stade, on observe des sidérocutanes avec une bréchification par le fer et des complexes silicatés (lame 16/A2). Un troisième stade (lame 16/A3-a) est marqué par une bréchification plus poussée, avec des fantômes de la roche initiale, cutanes d'argiles claires, fines (microsidérite) et microlitées, et début de cristallisation d'argiles ferrugineuses (goethite-hématite). Le stade final (lame 16/A3-b) montre une recristallisation totale en sparite, avec le maintien d'un plasma sidéritique fin à grands flocons de phyllites et néoformation d'opale.
La micropétrographie permet de reconstruire les épisodes successifs suivants (lame 16/A3-a) :
1) bréchification avec formation d'un ciment à micro- et macro-sidérite du fait de la fourniture de produits de l'altération de schistes ferrugineux ;
2) formation contemporaine de cutanes microstriées de sidérite ;
3) argilisation et néoformation de cutane de fer (goethite / hématite) avec activité des sulfato-bactéries ;
4) recristallisation de sparite ;
5) évolution in situ des complexes argileux ferrugineux avec néoformation de phyllite.
- L'horizon Bt de la poche : L'horizon inférieur est argileux (34 %), avec 56,5 % de limons, 7,3 % de sables et 2,1 % d'eau. Le pH est de 6,05, la teneur en CaCO3 de 0,2 % et la teneur en matière organique de 0,1 %. Vers 420 cm, on observe sur lame (WU 490/j-n°1) de grands cutanes argileux à goethite dans un plasma silto-squelettique fin. De nombreux pores sont tapissés d'argiles, de manganes et de siltanes microlités de grandes tailles.
L'horizon Bt supérieur est caractérisé par des teneurs en argiles plus faibles (respectivement 25, 23, 27,5 et 27,5%), des teneurs en limons plus élevés (65,3, 60,1, 59,5 et 62,5 %), des teneurs en sables croissantes (7,5, 14, 10,5 et 7,7 %) et des teneurs en eau à peu près constantes (2,3, 2,3, 2,2 et 1,9 %). Le pH est en baisse (5,90, 6,00, 5,85 et 5,25), les teneurs en CaCO3 variable, mais légèrement croissantes (0,2, 0,3, 0,2 et 0,4 %). La teneur en matière organique est variable, mais plutôt croissant dans certains niveaux (0, 0,6, 0,2 et 0,4 %). Certains horizons sont enrichis en sables grossiers (8,6 % vers 320 cm)
Vers 380 cm, deux types de plasma sont présents sur lame mince (WU 490/i-n°2) : une masse de fond silteuse claire fine plus ou moins homogène et des microgrumeaux argileux rouge dans un plasma silto-argileux. De grands cutanes d'argiles jaune (goethite) ou des siltanes très fins remplissent des pores de dissolution. On observe aussi des éléments rocheux qui flottent dans les argiles : fantômes de roches du Permien, calcaire bioclastique à tests algaires silicifiés et de “shales” à niveaux ferrugineux et lits de microquartzites (lame 16 E), schistes silto-quartzeux fin altérés à argiles micacées et sidérite (lame 16/GB), reste de roche schisto-siliceuse avec des tests algaires et une masse de fond silto-quartzeuse à pigment ferrugineux (lame 16/G3-GC).
Les fragments dénotent au moins trois périodes d'argilisation (lame WU 490/h-n°3) : 1) une période de lessivage avec néoformation de goethite ;
2) une période de dissolution avec oxydation des argiles ;
3) une période de remontée de la nappe avec dépôt de manganèse et de fer plus foncé.
Vers 360 cm, les blocs d'Ordovicien altérés montrent sur lame mince (WU 490/g-n°10) des fissures carbonatées et argilisées et des plages d'argiles dans la masse.
 Vers 320 cm (WU 490/f-n°4), l'horizon brun à éléments altérés montre de nombreuses fissures à structure plus ou moins prismatique sans remplissage et des fissures plus récentes remplies de produits ferrugineux et / ou manganésifères. La masse de fond silto-squelettique montre une organisation microlitée avec des coiffes autour des grains du squelette. Le microlitage atteste des alternances de gel et de période humide dans un système complexe, avec apport d'argiles ferrugineuses et de silts quartzeux hydro-éoliens.
Vers 230 cm (WU 490/e-n°5), la masse de fond silteuse est homogène et fine avec une dominance de microcutanes d'argiles jaunes et de nombreux éléments arrondis représentant des fragments de roche-mère altérée.
Vers 120 cm (lame WU 490/d-n°6), l'assemblage plasmique est peloteux et microstrié, avec de nombreux fantômes schisteux nourrissant des cutanes et des éléments rouges totalement argilisés. La forte porosité vésiculaire accompagne un squelette assez grossier avec de grands éléments de schistes gris.
- L'horizon de transition A/B est marqué par des teneurs en argiles plus modestes (22,5 %), des teneurs en limons et en sables constantes (64,2 % et 10,6 %) et des teneurs en eau de 2 %. Le pH est de 6, le CaCO3 de 0,3 % et la teneur en matière organique de 0,6 %. Vers 50 cm (lame WU 490/c-n°7), la micromorphologie montre une microstructure peu visible avec des pores plus ou moins arrondis et tapissés de manganèse. On observe des remplissages de gypse et de très nombreux cutanes d'argiles issus de l'altération des éléments schisteux ordoviciens. Le plasma présente une fabrique argileuse microstriée à microponctuée.
- L'horizon A1/A2 montre une teneur en argile de 25 %, en limons de 60,4 %, en sable de 11,6 % et en eau de 1,7 %. Le pH est plus faible (4,95 %), la teneur en CaCO3 toujours faible (0,3 %). Seule la teneur en matière organique est plus élevée (1,4 %). Vers 25 cm (lame WU 490/b - n° 8), la micromorphologie montre des grumeaux très détachés avec des moules racinaires remplis de silts et des restes de structures rhizomorphes.
- L'horizon supérieur Ao est marqué vers 10 cm (lame WU 490/a-n° 9) par une structure micro-motteuse et une porosité subverticale. Le plasma silto-squelettique à quartz montre des grumeaux d'argiles et de matière organique. L'ensemble est composé de nombreux éléments de grès ferrugineux et d'éléments d'Ordovicien schisteux ou schisto-gréseux. On observe de nombreux tests de plantes, des tissus d'algues et des rhizophores. De nombreux tests organiques fibreux plus ou moins cellulaires rouges à ocre-rouge. La matière organique est surtout présente sous forme de tissus non décomposés.
3. Le rôle des altérites silico-ferrugineuses dans la karstification et les effets des paléoclimats
Le profil d'altération de Dadong étudié ci-dessus permet de mettre en évidence les faits importants suivants :
- le faible rôle joué par la matière organique décomposée dans le profil ;
- la part négligeable jouée par les carbonates dans le fonctionnement des horizons ;
- la quasi absence de reliquat de produits d'altération de roches calcaires ;
- la prépondérance des produits d'altération d'une couverture schisteuse dans l'alimentation du profil.
En outre, la micropétrographie précise le fonctionnement du soutirage et son rôle dans l'accélération des processus d'altération à partir d'une couverture non calcaire. Il précise le rôle du karst dans le fonctionnement hydrodynamique d'un sol (VERHEYE, 1989) et en particulier en tant que nourrisseur en turbides qui vont sédimenter dans les conduits karstiques. On constate que les produits silico-ferrugineux ont joué un rôle capital dans la bréchification et l'altération de la roche-mère.
Trois périodes de pédogenèse sont enregistrées dans le profil. La principale correspond à la néogenèse de cutanes de fer microstrié attestant un climat encore plus contrasté que l'actuel (tropical humide avec gel saisonnier). Au moins un grand épisode très froid est enregistré avec des coiffes de silts. Ce profil a sans doute enregistré les changements du climat durant le Quaternaire et les nombreuses récurrences du régime de mousson.
C. Le rôle interdépendant de la lithologie et du bioclimat
- Si la lithologie paraît jouer un rôle prépondérant à première vue, pourquoi alors le type morphologique du karst conique n'est-il pas présent un peu partout dans le monde ? Pourtant le phénomène de décapage des couvertures imperméables est un phénomène généralisé dans les chaînes alpines sensu largo (Europe, Méditerranée, Moyen-Orient) (MAIRE, 1990). Ainsi, dans l'évolution des karsts méditerranéens et de certains karsts européens (Périgord, Franken Alb), les "terra rossa" très abondantes sont en fait les traces d'anciennes couvertures silico-ferrugineuses et de couches géologiques, aujourd'hui disparues ou subsistant partiellement sur les bordures des massifs (SALOMON et POMEL, 1994).
- Le régime climatique contrasté entre un hiver sec et un été très humide favorise grandement l'érosion linéaire dans les flyschs. Quant à l'altération, sous couvert pédologique et végétal, elle est ralentie pour deux raisons :
1) la topographie dans un relief plissé et soulevé au cours du Tertiaire et du Quaternaire, d'où une érosion des altérites ;
2) le changement des conditions climatiques à la fin du Miocène, à la fin du Pliocène et au Quaternaire (refroidissement entraînant l'érosion des sols).
On est donc en présence d'une surimposition de reliefs dans des conditions climatiques subtropicales de montagne à saisons contrastées. Maintenant, la question est de savoir comment s'est faite cette évolution sous un climat moins contrasté et plus chaud, un couvert pédologique et végétal continu et une topographie moins pentue. Or, ces conditions ont dû être réalisées au cours du Tertiaire, par exemple au Miocène, sur le centre de l'anticlinorium de Changleping où le décapage de la couverture des flyschs du Silurien est nettement plus ancien. C'est ce que nous allons envisager maintenant.
- Dans la formation du karst à cônes, on discerne enfin un quatrième stade d'évolution qui est le karst à cônes et poljés. Il se situe au coeur de l'anticlinorium de Changleping et peut être observé à partir de la route qui passe par le magnifique poljé allongé de Changleping. Ici, le karst montre un stade nettement plus évolué. Les reliefs karstiques sont plus hauts (plusieurs centaines de mètres) et souvent plus pentus. Il s'agit de cônes, voir de pitons dont les versants peuvent dépasser 50 à 55°. Le poljé de Changleping, long d'au moins 10 km et large de quelques centaines de mètres, est un exemple typique d'une ancienne vallée fluvio-karstique (style vallée de Changbuxi se terminant au Puits E) qui a ensuite évolué en poljé par corrosion latérale.
Le drainage en période de crue de mousson se poursuit. Toutefois, à l'extrémité ouest l'écoulement temporaire de deux vallées a été capturé par la perte double de Xiaoshuidong, phénomène qui s'est accompagné par un enfoncement du talweg dans l'extrémité du poljé. Se pose donc ici un problème général important, celui de la genèse des poljés allongés et multilobés. En géomorphologie karstique, on sait que ce type de morphologie, présent notamment dans les karsts méditerranéens, résulte de la karstification d'anciennes vallées fluvio-karstiques pouvant provenir elle-même d'un ancien relief établi d'abord sur une couverture imperméable. Ensuite intervient la surrection qui stérilise la vallée et provoque une perte massive de l'écoulement dans des ponors, avec des phénomènes alternés de barrage lacustre par obstruction des pertes, de sédimentation, d'érosion des dépôts et de vidange par rupture des bouchons.
D. Age des karsts coniques du Hubei et du Hunan
Dans les karsts coniques du Hubei et du Hunan, les jalons de l'évolution karstique et fluvio-karstique sont représentés par les phénomènes de déstabilisation du milieu. Il s'agit des crises tectoniques (orogenèse de Yanshan 3 à la fin du Crétacé et à l'Eocène, surrection himalayenne au Néogène), des crises climatiques (refroidissement plio-quaternaire), voire des crises anthropiques pour la période récente (déforestation, brûlis, guerres, etc.).
1. Les marqueurs de l'altération crétacé-éocène et la catena du Parc de Zhangjiajie (Sangzhi, Hunan)
L'évolution des karsts coniques chinois ne peut être dissociée des longues périodes d'altération qui ont suivi le Trias, en particulier de la genèse des bassins rouges du Crétacé-Eocène. L'étude de ces dépôts, esquissée dans le rapport Gebihe 89 (p. 166 et p. 170-176), a été complétée par d'autres études (cf. chap. 9).A titre d'exemple, une catena a été levée dans le parc de la “forêt de pierre” de Zhangjiajie, dans les grès du Dévonien. Dans la partie sommitale, on observe vers 1 030 m des reliefs ruiniformes encore enfouis sous leur couverture sablo-ferrugineuse. A la base du profil d'altération, sur des grès dévoniens à "ripple mark" et bancs alternativement à ciment calcaire et silico-ferrugineux, on distingue des argilites silicatées et ferrugineuses, puis des sables gréseux et une cuirasse.
- La micromorphologie de la dalle cuirassée (éch. 9/D), montre des grès à ciment ferrugineux, composés de silts et de sables fins de quartz, avec de rares cristaux altérés de staurotide. La plupart des quartz proviennent de roches cristallines, avec un faible cortège de quartz métamorphiques issus des flyschs siluriens et de l'orogenèse varisque. Quelques éléments de micropélites calcaires représentent la couverture permienne. Les quartz ont évolué avec une importante corrosion, avec des figures de pression-dissolution qui leur donne un assemblage pseudo-engrené et de nombreux encastrement. On observe plusieurs générations de ciment :
1) un ciment rouge goethito-hématitique en corona autour des grains (chitonique) ou souvent en pont entre les grains (gefurique), a plasma initial de conditions acides et oxydantes ;
2) un ciment brun-noir riche en oxydes de manganèse et en humates de fer dans les vides d'entassement entre les grains du squelette (enaulique) ou pénétrant les golfes de corrosion des grains et représentant une période d'engorgement postérieure à un épisode de dissolution.
La partie sommitale des grès microquartzitiques est formée d'une croûte ferrugineuse brun-noir microstratifiée. Les rares grains de squelette minéral sont composés de staurotides altérées et surtout de grains de pélites siliceuses des formations permiennes. Le ciment ferrugineux présente un assemblage transminéral caractéristique.
- Le fonctionnement de cette poche d'altération démontre qu'il s'agit d'une évolution de type crypto-karstique des grès du Dévonien et non d'une ancienne “forêt de pierre” fossilisée, puis décapée. L'altération et l'arénisation des grès s'est effectuée sous la couverture partielle des marno-calcaires siliceux du Permien. C'est un cas particulier d'une évolution d'un karst gréseux sous une couverture. Il est difficile de préciser dans cette évolution, la part de la grande discordance de 60 millions d'années qui dure tout le Carbonifère. Il est plus logique d'attribuer à cette phase d'altération un âge crétacé-éocène, dans la mesure où des éléments de la couverture permo-triasique sont emballés dans les cuirasses. Le décapage de cette zone de brachyanticlinaux, bien visible dans la carte structurale schématique du comté de Sangzhi, a pu se produire durant la phase principale de surrection miocène.
2. Le rôle de la surrection néogène
D'après les arguments géomorphologiques, les karsts les plus évolués sont ceux du centre de l'anticlinorium de Changleping, au niveau du poljé du même nom. Ils sont antérieurs au Quaternaire et date du Tertiaire. Ils sont liés au décapage de la couverture de flysch du Silurien, dont il reste encore d'abondants affleurements sur les bordures, érosion qui a été favorisée par la surrection du massif au cours du Tertiaire, surtout au Miocène.
L'évolution des dépressions et des poljés n'atteint jamais celle des karsts coniques et à pitons du Guizhou où la corrosion latérale est largement développée puisque les poljés sont à la hauteur du niveau de base régional. Dans le Guizhou, les karsts à cônes ont dû être initiés au Tertiaire inférieur, avec sans doute des décapages de couvertures plus anciens. Dans le Hubei, le soulèvement est plus important et les poljés montagnards sont perchés au-dessus du niveau de base des grandes vallées, d'où une absorption karstique généralisée et une corrosion latérale faible. Dans cette évolution qui a débuté au cours du Tertiaire, le climat était de type tropical et non subtropical, avec des contrastes saisonniers sans doute moins accusés qu'aujourd'hui. La couverture végétale et pédologique devait être continue ou presque. Le karst évoluait dans des conditions de biostasie, d'où une corrosion homogène sous le compresse acide des sols. Ces conditions pédoclimatiques favorables ont permis l'amenuisement des formes positives avec l'action latérale conjuguée de la nappe karstique affleurant en saison humide dans le fond des poljés.
Il est donc clair que l'évolution des karsts coniques n'est pas simple et qu'elle varie selon les lieux en fonction du stade d'évolution et des conditions pédoclimatiques. On constate dans tous les cas que la surrection tertiaire et quaternaire liée à l'orogenèse himalayenne conditionne l'enfoncement du relief et le creusement des réseaux karstiques en rapport avec la variation du niveau de base régional et général. En raison de la présence généralisée de terrains de type flysch dans les différentes colonnes sédimentaires étudiés, il est normal qu'à un stade de l'évolution ce ou ces décapages ont eu lieu. Ils peuvent donc avoir initié la formation du kart conique chinois.
Cependant ce modèle fluvio-karstique, où l'altération joue un rôle initial fondamental, n'est pas applicable à tous les karsts coniques et polygonaux. D'abord, dans les chaînes alpines des régions tempérées, ce type de karst conique est très peu développé ou alors il peut résulter d'héritages tertiaires (certaines régions de Slovénie, plateau des Coulmes en Vercors, Basse Provence, Crête) dont les formes sont plus ou moins émoussées. En plus, dans les karsts de Chine centrale (Sichuan), des karsts à cônes formés sur le flanc des grands anticlinaux sont manifestement des morphologies initiées à partir de formes en chevrons (en fonction de la pente) et non d'une couverture imperméable épaisse. Mais les plus beaux karsts coniques et polygonaux en cours de formation se développent dans les plates-formes carbonatés tertiaires récemment soulevés des arcs insulaires, en particulier aux Antilles, en Indonésie et en Nouvelle-Guinée. Dans ces cas, on n'observe aucune couverture étanche.
Cependant, il faut prendre en compte les importantes couvertures de cendres volcaniques acides, caractéristiques de ces domaines de genèse des arcs insulaires. Le modelé polygonal obtenu par coalescence de dolines, buttes et cônes, provient de la corrosion in situ sous couvert végétal et pédologique continu dans des conditions pédoclimatiques de biostasie. Ce modèle d'évolution peut aboutir à un karst à pitons, mais les retombées volcaniques successives qui ont jalonné la genèse des arcs et la formation des caldéras géantes ont accéléré la vitesse de karstification.

Conclusion

Altération, surrection, fluvio-karst et karst conique : telle est en gros la chaîne évolutive que l'on peut imaginer pour plusieurs zones karstiques du Hubei depuis le début du Tertiaire, sachant que d'autres combinaisons sont possibles en fonction des conditions physiques locales. Mais dans tous les cas de figures, les facteurs pédoclimatiques et morphotectoniques (position des affleurements et soulèvement) commandent l'évolution karstique générale
1) Les karsts coniques du Hubei se développent pour la plupart à partir du décapage de la couverture imperméable de flysch du Silurien comme nous avons pu le montrer sur l'anticlinorium de Changleping (comté de Wufeng). Un exemple identique est visible au sud de Hefeng. Ce modèle d'évolution a l'avantage d'être vérifiable sur le terrain en raison de la présence simultanée, à quelques km de distance, des différents stades d'évolution. Les types de modelés et les altérites représentent les marqueurs morphologiques et sédimentaires de cette évolution. Toutefois, il est remarquable de constater qu'il se forme aujourd'hui un karst conique en bordure du flysch par un processus d'érosion linéaire dominant, relayé ensuite par la dissolution des calcaires, sachant que les conditions actuelles (saisons très contrastés et rhexistasie partielle) ne sont pas favorables à l'altération des flyschs. On observe donc une érosion linéaire et un soutirage des sédiments, mettant en valeur les reliefs, qui est favorisés par la situation structurale et les conditions bioclimatiques.
2) On peut remonter plus loin dans le temps, par exemple lorsque le potentiel hydraulique était faible (zone peu soulevée) et le climat humide sans saisons contrastées (situation de biostasie). Ces conditions favorables à l'altération ont sans doute prévalu pendant des périodes longues du Secondaire et du Tertiaire. On peut donc imaginer que la crypto-karstification a certainement été préparée par une longue évolution altérante durant le Crétacé et l'Eocène, puis dans certains cas durant l'Oligo-Miocène. Les processus d'altération sous couverture silico-ferrugineuse, voire dans le cas particulier des grès silico-calcaire, peuvent donc représenter la cause initiale à la genèse du karst conique en Chine centrale (Hubei, Hunan) ou méridionale (Guizhou), avant le décapage des altérites.
Toutefois, il ne peut y avoir crypto-karstification que si la perméabilité de la couverture permet à l'eau d'atteindre le calcaire ; mais l'histoire géologique est suffisamment longue pour avoir permis, selon les lieux et selon l'époque, le développement de ce processus.
3) Une crise tectonique (surrection himalayenne) et climatique (refroidissement quaternaire) peut alors entraîner un nettoyage des altérites et le développement de l'érosion fluviatile, puis fluvio-karstique. Ce type de conditions prévaut pour le karst de Wufeng.
En tout cas, la combinaison entre l'érosion fluvio-karstique et la dissolution karstique constitue le système morphogénétique dominant dans l'évolution actuelle des karsts tropicaux et subtropicaux chinois en raison de la juxtaposition de zones imperméables et karstiques (amonts imperméables, rivières allochtones) et du régime pluviométrique très contrasté. Un essai de comparaison entre les différents types morphologiques des karsts tropicaux de Chine est esquissé dans le chapitre 9.


Karstologia Mémoires N° 6 Année 1995 DONGHE 92 - ISBN : 2-7417-0162-8