Donghe 92 Sommaire

Chapitre 5 : Qualité des eaux karstiques

Bernard COLLIGNON et JIN Yuzhang

Résumé - Abstract - Zusammenfassung :Les régions montagneuses de Chine centrale sont très peuplées (200 hab/km2). Quelle est la qualité de l'eau dans une région aussi peuplée ? Trois catégories de pollution par l'homme ont été envisagées au cours de cette étude : l'agriculture, les eaux usées et les rejets industriels. La pollution nitratée d'origine agricole est faible, parce que les paysans chinois utilisent peu d'engrais chimiques. La pollution bactérienne est très forte, parce que la population est très dispersée, y compris sur tous les affleurements karstiques. Même les sources de montagne contiennent des bactéries d'origine fécale. Il y a encore peu de grosses unités industrielles dans la région, ce qui limite le niveau de la pollution chimique. Mais le développement actuel de l'industrie privée est potentiellement dangereux, car il manque une autorité réellement chargée de la protection de l'environnement. On en a un bon exemple avec les nombreuses petites mines de charbon qui se sont ouvertes depuis 15 ans et qui produisent une forte pollution par les métaux lourds.

Mots-clés : karst - qualité de l'eau - Chine - agriculture - nitrates - bactéries coliformes - mines de charbon - métaux lourds.



I. Qualité chimique et bactériologique des eaux karstiques


A. Les faciès chimiques des eaux
Les faciès chimiques des eaux sont assez typiques de telles régions karstiques : plus de 80 % des sels dissous sont des bicarbonates de calcium et de magnésium, dans 80 % des échantillons. Les chlorures et les nitrates, le sodium et le potassium sont peu abondants. Les sulfates ne sont abondants qu'en aval d'affleurements de roches détritiques ( comme les schistes du Permien).
Le ratio magnésium / calcium est plus élevé dans les aquifères dolomitiques et ceux-ci sont plus fréquents dans les anciennes séries (Cambrien et Ordovicien) que dans les plus jeunes (ZHANG SHOUYUE, 1987).
B. Nitrates
La plupart des eaux contiennent très peu de nitrates. 97 % des eaux échantillonnées en contiennent mois de 8 mg/l. Le maximum observé est de 15 m/l, loin des concentrations observées dans les régions karstiques agricoles d'Europe et loin des normes de potabilité de l'O.M.S. ( 45 mg/l). Ceci nous a un peu surpris, car nous pensions trouver plus de nitrates dans une telle région agricole, comme nous en trouvons dans les régions similaires d'Europe ou d'Amérique du Nord.
L'explication est assez simple : les paysans chinois utilisent très peu d'engrais chimiques (qui sont trop coûteux). A leur place, ils utilisent des engrais organiques (dont une bonne part d'origine humaine, car il y a relativement peu de gros bétail). Ils utilisent ces engrais avec beaucoup de parcimonie, en suivant un calendrier agricole précis. Il n'y a ainsi pratiquement pas de pertes par infiltration vers les aquifères. Le cycle de l'azote est pratiquement fermé. Ainsi, avec leur agriculture très intensive, les paysans du Hubei maintiennent des rendements stables de plus de 4 T/ha, sans polluer les eaux souterraines.
C. Les eaux usées et la pollution bactérienne
Nous avons étudié la pollution des eaux souterraines par les aux usées. L'indicateur utilisé était le nombre de bactéries de type coliforme ou streptocoque présentes dans l'eau (analyse sur membrane filtrante et culture sur milieux nutritifs). La plupart des eaux du karst contiennent beaucoup de bactéries coliformes, même les petites sources dans les montagnes (100 à 1 000 coliformes par 100 ml dans 2/3 des échantillons). Ceci signifie que la plupart de ces eaux ne sont pas potables. D'ailleurs, les paysans chinois ont coutume de faire bouillir l'eau avant de la boire.
Ce haut niveau de pollution est à mettre en rapport avec la dispersion de la population sur toutes les montagnes, pour mettre en culture la moindre parcelle de terre. Il est très difficile de traiter toutes ces eaux usées dispersées et il est à craindre que cette situation ne s'améliore guère dans les années à venir.
D. Pluies acides
Celui qui a visité la Chine connaît bien l'odeur âcre et piquante qui plane sur toutes les villes. Elle vient de la fumée du charbon qui est chargée de SO2. Ce gaz est produit par l'oxydation des sulfures contenus dans le charbon.
Nous avons voulu savoir si ce soufre se retrouvait dans les eaux de pluie et pouvait constituer une source de sulfates importante pour les eaux souterraines. 5 échantillons ont été prélevés en décembre 1992, dans les villes où nous logions. Nous avons ainsi profité d'un hiver exceptionnellement pluvieux.
Toutes ces eaux sont effectivement fortement chargées en sulfates (25 à 109 mg/l). C'est bien plus que ce que l'on trouve dans la plupart des eaux du karst (96 % des échantillons analysés en 1992 à Hefeng contiennent moins de 8 mg/ l). Cela signifie que la pluie constitue une source de sulfates non négligeable pour le système hydrologique. Les eaux de pluie échantillonnées contiennent aussi pas mal de nitrates (1 à 4 mg/l), mais très peu de chlorures (< 1 mg/l).
Ces données n'ont qu'une valeur purement indicative. Elles ne sont pas représentatives du flux annuel, ni des précipitations sur les karsts situés à l'écart des villes. Pour aller plus loin, il faudrait rester une année sur place.

Conclusion

Les campagnes de mesures hydrochimiques que nous avons menées en 1989 et 1992 donnent deux images instantanées de la chimie des eaux karstiques de Chine centrale. Ces résultats sont très intéressants, car ces régions font partie des karsts les plus peuplés de la planète. Les principales conclusions de ces études sont :
- actuellement, le niveau global de pollution chimique est faible, comparé à ce que l'on trouve dans les régions karstiques d'Europe et du pourtour méditerranéen ; ce fut pour nous une bonne surprise, car nous pensions trouver plus de pollution dans une région aussi peuplée ;
- ce niveau assez bas de pollution est lié à un faible niveau de développement industriel et à un usage très économe des engrais (et ceux-ci sont principalement d'origine organique) ;
- le développement rapide de l'industrie privée n'est pas régulé par des contraintes environnementales et les pollutions chimiques locales par l'industrie et les mines sont très fortes.
- avec un développement accéléré de l'industrie et de l'agriculture moderne (utilisant des engrais chimiques et des pesticides), ces régions seront probablement très polluées dans les prochaines décennies, comme les régions industrielles d'Europe orientales ; les hydrogéologues devront fournir plus d'informations à propos de la qualité de l'eau et des mécanismes de pollution pour aider les autorités locales à décider du meilleur moyen de développer ces régions en préservant leurs ressources en eau.


Karstologia Mémoires N° 6 Année 1995 DONGHE 92 - ISBN : 2-7417-0162-8