Donghe 92 Sommaire

Chapitre 3 : Les cavités du comté de Xianfeng

L'équipe


Résumé -Abstract - Zusammenfasung -: Le comté de Xianfeng est moins spectaculaire que ceux de Hefeng ou de Wufeng au niveau des paysages karstiques, mais le potentiel en cavités est important. Les neuf cavités explorées (11,2 km de topographie), souvent de grandes dimensions, se développent pour l'essentiel dans la structure synclinale de Dajichang constituée de calcaires permiens. Les cavités visitées sont de plusieurs types : perte active avec grand porche (Luoshuidong) et bassin-versant dans le Silurien imperméable, mégadoline d'effondrement (Hongshepan) recelant des habitations héritées des Ming, superbe perte temporaire de montagne avec successions de puits et de méandres (Dishuidong), gouffre fossile descendant dans le pendage (Yanxiaodong), rivière souterraine dans un volet synclinal perché au NW de Qingping (Changdong), enfin grotte-résurgence de poljé près de Baishuiba au N de Xianfeng (Bailongdong).

Mots-clés : perte, doline d'effondrement, rivière souterraine, synclinal, Permien, Silurien, Xianfeng, Li Rouli.


Introduction

- Présentation géographique : En continuant notre périple nous nous enfonçons encore plus vers le SW de la province pour atteindre le comté de Xianfeng, aux confins des provinces du Hunan, du Hubei et du Guizhou. Ce comté montagneux et forestier (64 % de couverture forestière, ce qui est très important pour la Chine) s'étend sur 2 500 km2. Son point haut culmine à 1 927 m alors que le point bas est à 434 m dans la partie sud près du grand bassin rouge de Laifeng. Les zones de montagnes (> 800 m d'altitude) représente 63 % de la superficie soit 1 602 km2, les bassins 14 %, le reste étant constitué par des zones intermédiaires situées au-dessous de 800 m d'altitude.
Les deux cours d'eau principaux sont tributaires du bassin du Yangtse ; cependant ce comté est dans une zone de partage des eaux de deux de ses affluents majeurs : le Qingjiang et le Wujiang. En effet la rivière Zhongjianhe qui prend naissance au coeur du comté s'écoule vers le NE pour atteindre le Qingjiang dont le cours inférieur traverse la célèbre grotte de Tenglongdong. Celui-ci se jette ensuite dans le Yangtse en aval des Trois Gorges. Quant à la rivière Tangyan He, elle s'écoule dans la direction opposée (SW) pour rejoindre le Wujiang qui draine une grande partie du nord du Guizhou avant de rejoindre le Yangtse bien en amont des Trois Gorges.

Le Comté de Xianfeng en quelques chiffres
Capitale = Xianfeng
Superficie = 2 500 km2
Précipitations = 1 557 mm/an
Température moyenne = 14°C
Population = 334 800 hab.
Nationalité dominante = Tujia et Miao (60 %)
Densité = 133 hab./km2
Forêt = 64 % de la superficie du comté
Agriculture = Tabac, thé, riz, maïs
Administrativement ce comté dépend de la préfecture autonome de Enshi. Il est peuplé de 334 000 habitants dont 70 % appartiennent aux ethnies Tujia (61 %) et Miao (9 %), et 30 % aux Hans. Sa densité de 133 hab./km2 est presque deux fois supérieure à celle du comté de Hefeng. Ceci est dû en grande partie au relief un peu moins accidenté qui comporte de nombreux bassins intramontagnards, favorables aux cultures, comme celui de Xianfeng. 60% des ressources du comté proviennent de l'agriculture, notamment des cultures de tabac (4 000 tonnes ans dont la moitié est exportée), de thé, de riz et de maïs. L'industrie quant à elle représente 40 % : cigarettes, chimie légère, électricité, alcool, thé, alimentaire, matériaux de construction.
- Structure géologique : La zone d'étude est située sur le flanc NW d'un grand synclinal situé une dizaine de km à l'ouest de Xianfeng, le chef-lieu de comté. Son axe de direction N40°E est pratiquement horizontal dans cette zone. Les pendages atteignent 30 à 40° au maximum, au niveau de l'affleurement des calcaires du Permien. Cette structure synclinale s'est formée pour l'essentiel entre le Jurassique et le Crétacé (orogenèse de Yanshan). Des dépôts continentaux postérieurs au Jurassique (Crétacé et Tertiaire) reposent en nette discordance sur le Trias. Ce synclinal est bordé sur son flanc SE par un anticlinal au coeur duquel affleurent les calcaires et dolomies du Cambro-Ordovicien dans lesquels est creusée Bailongdong.
- Hydrogéologie : L'un des caractères les plus intéressants de cette zone, c'est l'existence dans la série sédimentaire de trois niveaux karstifiés (Permien inférieur, Trias et grès post-jurassiques). Ceux-ci donnent lieu, tous les trois, à de beaux phénomènes karstiques : pertes, dolines, poljés. Les calcaires du Permien inférieur atteignent 700 m d'épaisseur. En de nombreux endroits, leur affleurement est situé en contrebas des schistes du Silurien. Les eaux qui coulent sur ces bassins-versants imperméables viennent alors se perdre dans les nombreuses dépressions fermées situées sur les calcaires du Permien. Pratiquement tous les affleurements de ces calcaires sont drainées de manière souterraine. Nous n'avons pas eu le temps de rechercher la résurgence de l'aquifère, mais elle est vraisemblablement située plus au SW, là où le Permien est recoupé par la rivière Dahe ou l'un des affluents de la Wujiang. C'est dans ce niveau que nous avons exploré Hongshepan, Dishuidong et Yanxiaodong.
Les calcaires du Trias sont épais de près de 1 000 m. Leur position au centre du synclinal, à moindre altitude au-dessus du niveau de base (400 m au maximum) est cependant moins favorable au drainage souterrain. Il existe donc un réseau hydrologique superficiel fonctionnel à travers tout le synclinal ; la même chose s'observe dans le synclinal situé 15 km au sud de Yuyangguan, dans le comté de Wufeng.
Les grès à ciment calcaire post-jurassiques, dans les sédiments du Crétacé-Eocène, forment le troisième système aquifère. Ce genre de formation n'est en général pas favorable à la karstification car il y a beaucoup trop d'éléments insolubles, et pourtant nous avons repéré sur la carte un très beau système perte / résurgence en plein milieu de cet affleurement ; il est resté inexploré, faute de temps !
- Présentation spéléologique : Juste une petite reconnaissance (4 jours de terrain avec un temps épouvantable) pour s'apercevoir que se comté est lui aussi très prometteur quant aux futures explorations, puisque nous avons topographié 11,2 km dans 9 cavités. Nous avons visité deux zones : l'une toute proche de la ville de Xianfeng où nous avons exploré de superbes cavités se développant dans les calcaires du Permien ; parmi elles on peut citer les gouffres de Hongshepan (1 997 m, ± 258 m) et Dishuidong (2 239 m, ± 233 m). L'autre zone un peu plus éloignée se situe à 15 km sur le flanc NW du synclinal. Les quatre cavités explorées se développent dans les calcaires du Permien et du Trias. Cette zone n'a reçu qu'une brève visite de deux jours par 4 membres de l'équipe qui a permis cependant de topographier la superbe cavité de Changdong (2 559 m, ± 121 m). - ^ -

I. Les cavités du synclinal de Dajichang

Le synclinal de Dajichang se situe à quelques kilomètres au NW de Xianfeng et s'allonge selon un axe oblique SW-NE. Il s'agit d'un synclinal évasé, large de 15 à 20 km, dont le fond est drainé par la rivière Dahe. Le centre du synclinal est occupé par du Jurassique imperméable et un petit bassin rouge gréseux, 4 km à l'WSW de Meiping, dans lequel se développe un réseau souterrain qui n'a pas été exploré. Deux zones ont été visitées : le flanc SE, autour du village de Baiyantou, le plus riche en pertes et gouffres, et le flanc NW, près de Qingping, avec la belle grotte perchée de Changdong.- ^ -

1. Le flanc SE du Synclinal
Plusieurs cavités importantes ont été explorées 5 km à l'W et au NW de Xianfeng, près des villages de Baiyantou et de Duojiagai sur le flanc SE du synclinal de Dajichang. Il s'agit d'abord de l'ensemble Hongshepan / Luoshuidong qui associe gouffre d'effondrement et grande perte sur près de 2 km de développement et 258 m de dénivellation ; puis de Dishuidong, une superbe perte temporaire d'altitude longue de plus de 2 km et profonde de 232 m ; de LAOXIAODONG, gouffre de 154 m de profondeur pour de 1,1 km de développement ; enfin de Yanxiaodong, grotte-gouffre fossile longue de 1 km pour une profondeur de 232 m.- ^ -

A. GROTTE FORTIFIÉE
(Xi92/3), village de Baiyantou, Dév. 115 m   Dén. 52 m
Cette cavité se situe vers 800 m d'altitude au pied de falaises situées en rive gauche du ruisseau qui va se perdre dans le grand porche de Luoshuidong (décrit plus loin). L'entrée est marquée par une série de petits remparts. La galerie qui suit est en fait une vaste exploitation de nitrates ; elle descend le long de la strate jusqu'au fond où une plate-forme devait servir de lieu de bivouac ou de casse-croûte comme l'attestent de nombreuses traces de fumée de torches au plafond. Sortis de la grotte, nous continuons dans la même direction, puis nous remontons tout droit dans la falaise qui forme maintenant un escalier couvert par une multitude de ronces de toutes sortes. Au cours de cet exploit d'une authentique inutilité, nous observons, au-dessus de la grotte fortifiée, une porte sur une vire en pleine paroi. Quelles richesses, quels secrets sont-ils à l'origine d'une construction aussi audacieuse ? Autant de questions qui resteront pour nous sans réponse. (Jean) - ^ -

B. HONGSHEPAN / LUOSHUIDONG
"Grotte de la strate rouge, Grotte de la perte" (Xi92/2), village de Baiyantou
Dév. 1 998 m   Dén. 258 m (- 66, + 192)   Alt. 950 m
La perte de Luoshuidong et le gouffre d'effondrement de Hongshepan sont deux trous magnifiques et de grandes dimensions qui ont été jonctionnés au niveau d'une étroiture minuscule située à la base de la doline de Hongshepan.
Hongshepan s'ouvre à 950 m d'altitude et à 200 m au nord de la route qui va vers l'ouest depuis Xianfeng. Un petit chemin à travers champs mène aux lèvres de la doline large de plus de 200 m. Pour descendre, il faut emprunter un sentier minuscule ouvert dans la forêt ; rapidement, la pente devient très forte et il faut suivre la paroi de droite. Il s'agit en fait d'un vaste puits incliné qui s'enfonce obliquement à 45° dans la montagne sur une profondeur de 200 m environ. On parvient ainsi dans une vaste salle en partie éclairée par la lumière du jour. Il y a là d'anciens fours à nitrates, phénomène classique, mais surtout d'anciennes maisons actuellement abandonnées. Après renseignements, il s'agit d'habitations vieilles de plus de 400 ans et remontant à l'empire des Ming ! C'est dire à quel point les grottes et les gouffres cachés servaient de refuges pendant les périodes troublées. Après la salle et des blocs, on parvient dans une petite galerie de quelques mètres de large au maximum où coule un ruisseau de 5 l/s environ.
Pendant ce temps, deux autres équipes vont à Luoshuidong. Le karst a ici moins fière allure qu'autour de Hefeng ! Mais c'est en se rapprochant de l'objectif que la motivation reprend le dessus ; le sentier descend progressivement dans une vallée fermée et dévoile d'un seul coup une perte béante avec son porche majestueux de 50 m de large sur 60 m de haut. Nous fourbissons prestement nos armes habituelle de topo-marathon et filons dans une galerie parfaite : haute et large, sol nivelé par les alluvions, petite rivière serpentant au milieu. Courte illusion : deux visées plus loin, hauteur et largeur se trouvent engorgées de limons et la rivière se faufile dans un minuscule laminoir rempli de galets. Une escalade dans une petite conduite forcée nous amène dans une petite salle ébouleuse. Nous apprécions au moins l'atmosphère sèche et chaude des lieux qui, si elle nous rend pessimiste quant aux espoirs de continuation, contraste agréablement par son confort avec les maudits hôtels où nous devons chaque soir manger et dormir.
Dans un coin, nous retrouvons une petite rivière. L'amont provient d'un bon vieux méandre que nous remontons jusqu'à un puits où pleut un affluent, l'actif principal provenant d'un siphon. Coté aval, siphon également ; un petit laminoir de galets permet de retrouver le passage principal qui s'arrête rapidement dans une petite salle. Tout est colmaté. Tout ? Non, car un minuscule laminoir laisse malicieusement passer un petit courant d'air. Heureux de pouvoir se sacrifier à des coutumes bien de chez nous, nous creusons, et passons. Et derrière, oh joie, une trémie! juste assez stable pour nous laisser grimper entre ses blocs jusqu'au terminus. Mais là encore, il y a terminus et terminus : courant d'air, bruit de cascade résonnant sous de hautes voûtes… il n'en faut pas tant pour nous exciter. C'est là que le rêve tourne au cauchemar ! non, rassurez-vous, la trémie ne s'est pas écroulée. Tout d'abord, la première se transforme subitement en seconde : des voies se font entendre derrière la trémie. Mais nous avons beau nous égosiller, elles s'éloignent progressivement : nous devons quand même franchir l'obstacle, au moins pour la jonction topo. Petit à petit, nous distinguons de la lumière derrière nos blocs. C'est là qu'intervient le diable aux cheveux roux qui nous suivait à distance avec Richard depuis le début de l'exploration, avec son carnet topo et son sale caractère :
"Il faut qu'on passe le laminoir ?" demande La Rouille, alias Li Rouli, d'une voix atone.
"Si vous voulez, on est en train de désobstruer une trémie"
"C'est comment derrière ?"
"C'est grand, y'a de la lumière, ça va bientôt passer, on a entendu des voix, on aurait dit Sylvain"
"Vous avez fait la topo da la trémie ?"
"Non"
"Vous faites quoi ?", demande Li Rouli d'un ton provoquant.
"On finit de creuser, ça passe"
"Vous voulez faire quoi ?" , redemande Li Rouli , alias El Oxido, d'un ton méchant.
"Ben, si vous passez le laminoir, on peut aller jonctionner avec les autres"
A ces mots le démon entre dans une fureur fantastique et il devient impossible de rétablir un semblant de communication. Heureusement, la trémie franchie, nous n'entendons plus les bougonnements haineux et la beauté du site console nos âmes. Nous débouchons au plancher d'une vaste salle. Nous partons en direction de la lumière et arrivons au bas d'un gouffre incliné à 45° où nous retrouvons un point topo marqué par nos collègues : nous sommes en bas de la doline d'effondrement de Hongshepan, la jonction est faite ! Nous prenons au retour les mesures du tour de la salle, oubliant de laisser un message au point topo, ce qui aurait évité à Sylvain et Bernard de refaire ce travail. Et comme il avait été décidé de tout mal faire, nous refaisons derrière Richard et Monsieur Jacques Orsola la liaison trémie-étroiture.
Moralité : "joie et bonne humeur sont les mamelles du plaisir et du travail bien fait". Nous proposons donc de baptiser la salle du fond de Hongshepan : "salle des mauvais mots" ou "le diable n'avait qu'une dent". (Jean)
NDLR : pour être juste signalons que La Rouille et Richard se sont "tartinés" la topo pendant que Cyriaque et le Bozzo continental couraient devant. Ceci explique sans doute cela, à savoir la fureur du diable roux dont le tempérament provocateur est devenu légendaire !
- Hydrogéologie : Les deux cavités sont creusées dans les calcaires à silex du Permien. Ce sont des calcaires sombres qui se présentent souvent en minces bancs entrecoupés de lits de cherts noirs. Dans Hongshepan, ces calcaires comportent aussi un banc de schistes charbonneux de 30 cm d'épaisseur. Le gouffre d'effondrement est situé sur le flanc méridional d'un synclinal de direction N50°E. Les couches plongent de 40 à 45° vers le NW. L'eau peut circuler sous terre en suivant la direction des couches, vers les points bas de l'affleurement du Permien, 6 km au SW. La doline n'est pas une perte, mais un simple regard sur la rivière souterraine. Celle-ci a un débit de basses eaux limité (5 à 10 l/s) et une section relativement modeste (5 à 20 m2) qui semblent bien faibles par rapport au bassin-versant estimé à 10 km2. Il ne s'agit peut-être que d'un affluent de la rivière principale. (Bernard)
Luoshuidong est une perte alimentée par un petit bassin-versant de quelques km2 se développant dans les terrains imperméables du Silurien et du Dévonien. Le ruisseau souterrain disparaît à l'extrémité de la grande galerie d'entrée et réapparaît dans le fond du gouffre de Hongshepan. Le petit réseau boueux de Luoshuidong qui permet d'établir la jonction avec le fond de la doline a été creusée essentiellement en condition noyée comme en témoignent les formes typiques de corrosion (parois coupolées) et les abondants dépôts argileux (varves). En hautes eaux, une partie de ce réseau s'ennoie (branches, argile humide). (Richard) - ^ -

C. DISHUIDONG
"Grotte des gouttes" (Xi92/1)
Long. 109° 06,7' E   Lat. 29° 43,8' N   Alt. 980 m, village de Maopo
Dév. 2 239 m   Dén. 233 m (- 232, + 1)
Cette magnifique perte de montagne s'ouvre au fond d'une petite vallée aveugle boisée et très encaissée, au pied d'une falaise de 50 m, à proximité du village de Maopo (à 5 km au NNW de Xianfeng). Elle est à sec lors de notre exploration, mais elle ne paraît pas absorber de débit très important même pendant la saison des pluies. Le porche d'entrée mesure 15 m de haut sur 15 m de large. Sur la droite, nous remontons une galerie fortifiée de belles dimensions sur environ 400 m ; on peut noter la présence d'une exploitation de nitrate et de belles fleurs de gypse. Faute de temps cette galerie n'est pas topographiée, mais évidemment elle continue ! Revenus à la galerie principale, nous progressons vers le NE sur une centaine de mètres. Après un affluent situé en rive gauche, la galerie bifurque vers le nord et reçoit un second affluent, encore en rive gauche. Parvenus à un carrefour, deux possibilités s'offrent à nous.
- Le réseau de l'Aspirateur à Fossiles" : Au nord du croisement, après être passé sous un énorme bloc, nous débouchons dans une galerie très concrétionnée. Ensuite, une petite étroiture très ventilée, dénommée "l'Aspirateur à Fossiles", permet d'accéder en balcon à une salle dans laquelle une petite arrivée d'eau tombe du plafond. Nous laissons un départ à courant d'air sur la droite et poursuivons en remontant, en face, vers le NE. C'est dans cette partie de la galerie que nous observons des colonnettes, d'une densité très importante, constituées d'une cristallisation au reflet gris métallisé. Après avoir franchi un chaos de blocs qui nous amène juste sous le plafond de la galerie, nous débouchons (une bouteille de bordeaux, oh pardon !) dans la galerie du Titanic qui se dirige toujours vers le NE. Le sol d'argile est plat et nous sommes aux anges car pendant 350 m nous topographions avec de longues visées qui feraient frémir les puristes : difficulté nulle, juste à regarder, admirer et écouter le ronflement lancinant du topofil. Nous passons devant le Titanic : une énorme strate effondrée de 40 m de long qui émerge du sol comme la coque d'un navire retourné.
Fini de rêver, non ! Nous arrivons maintenant à un croisement où de nombreux gours actifs et concrétions de toutes sortes rendent les lieux magnifiques. Au SE, nous remontons un petit affluent parcouru par un minuscule filet d'eau ainsi que par un courant d'air aspirant : arrêt au pied d'un ressaut. En gardant la direction NE, on s'engage dans une galerie basse de plafond où de nombreuses colonnes forment un véritable labyrinthe : par chance le courant d'air nous sert de fil d'Ariane ! A partir de ce point, la progression devient plus accidentée. Le passage est toujours aussi concrétionnée, mais de nombreux blocs effondrés occupent parfois la totalité de la galerie. Nous passons un nouveau croisement où la galerie principale bifurque vers le SE et nous nous arrêtons 100 m plus loin sur un ressaut, à la cote - 14. La galerie commence à descendre, entrecoupée de plusieurs ressauts. Nous remarquons que le remplissage qui nous servait de plancher jusqu'à maintenant atteint par endroit une épaisseur de 10 à 20 m et peut être plus ! Un dernier puits et c'est le terminus : le remplissage ne passe plus et nous sommes visiblement dans une zone de décantation où toutes les parois sont recouvertes de boue séchée.
- La galerie de la Rivière : Revenus au carrefour, en aval du départ du réseau fossile, vers le SW, une galerie descend fortement ; deux petits ressauts se succèdent jusqu'à une salle où débouche une autre galerie venant du nord. A partir de ce point, la rivière, d'un débit quasi nul à cette époque, s'engage dans un magnifique méandre étroit et pentu creusé dans les calcaires sombres du Permien. Quelques marmites et ressauts mènent au premier puits de 25 m qui est légèrement arrosé et donne dans une petite salle où confluent quelques maigres arrivées d'eau. A l'opposé du P25, un nouveau méandre large de 2 m conduit en quelques dizaines de mètres à une succession de petits ressauts. Les parois sont soigneusement polies par l'eau. Quelques marmites, un peu d'oppo et on arrive en tête d'un grand vide noir !
La chute des pierres dure bien 4 secondes, l'écho de la voix se répercute très longtemps sur les parois et, au fond, on devine le bruit d'une cascatelle. En panne de cordes, nous rêvons longuement, face au vide, d'une immense galerie parcourue par une rivière. Le lendemain, nous voilà avec 150 m de cordes supplémentaires : le puits, magnifique, mesure 50 m et s'évase vers le bas dans une salle où confluent trois petits écoulements. Encore un beau puits de 25 m et l'eau se met à serpenter entre de hautes berges d'argile. Cela sent le siphon ; il est là, le bougre, au bout d'un infâme suçoir de boue ! Un petit affluent se laisserait bien remonter, mais il est vraiment trop minuscule pour justifier une nouvelle explo. Au passage, nous remarquons quelques chauves-souris. (Jean-Pierre et Bernard) - ^ -

D. LAOXIAODONG
"Grotte du vieux nitrate" (Xi92/6)
Long. 109° 06,5' E   Lat. 29° 42,7' N   Alt. 1 230 m
Dév. 1 095 m   Dén. 154 m (- 147, + 7)
La cavité se situe près du village de Duojiagai, entre Maopo et Baiyantou. Elle s'ouvre dans les calcaires détritiques du Permien et le plafond de la galerie d'entrée montre d'épais bancs de calcaires à cherts ; la partie inférieure est creusée dans des bancs fins où s'intercalent des lits de schistes charbonneux. Nous suivrons d'ailleurs ce "contact" jusqu'à notre terminus dans la branche active. Le porche d'entrée donne sur une magnifique rampe qui suit scrupuleusement le pendage (25°) de direction NW300°. A 100 m de l'entrée, nous explorons deux départs, un de chaque côté de la galerie. A droite, "la galerie noire" remonte sur une centaine de mètres, parallèlement jusqu'à une trémie où un passage supérieur, dans le méandre de plafond, est sans doute possible. A gauche, une autre galerie remonte jusqu'à un puits de 16 m qui crève la surface : c'est par ce puits que s'échappe le violent courant d'air de cette branche. Peu après la base du puits, la galerie se scinde en deux : à gauche, un ressaut de + 2 m est suivi d'une galerie de 1 m x 2 m qui se termine au bout de 20 m sur une obstruction de concrétions ; à droite, la galerie de 2 m x 3 m se poursuit sur 70 m avant de buter définitivement sur des blocs.
En bas de la galerie d'entrée, nous empruntons vers le nord une très belle conduite forcée de 2 m de diamètre où s'engouffre un violent courant d'air. Elle est parcourue par un petit ruisseau qui débouche dans une salle de 60 m de long et de 20 m de large. Elle à bien sûr servi d'emplacement pour un traitement des nitrates. Au NE de la salle, nous explorons un petit affluent en méandre qui nous rappelle fortement certains coins des Alpes ! C'est étroit, humide et venté. Avec notre joyeuse équipe de villageois, la progression est épique. Daniel se fait du souci pour le fil topo, mais bien vite nous trouvons des assistants topographes de premier choix. Nous nous arrêtons sur une furieuse envie d'aller voir ailleurs, par exemple quelque chose qui nous conduirait plus bas dans le réseau !
De retour dans la salle, nous empruntons un méandre fossile étroit qui se dirige vers le NW en laissant au passage un départ remontant sur la droite. Parvenu à un croisement, nous retrouvons La Rouille qui débouche d'une galerie venant de la salle. A partir de cet endroit, la rivière toujours très pentue cascade de vasque en vasque. Plusieurs de nos compagnons d'explorations sont trempés jusqu'aux os suite à quelques chutes dans les vasques. Finalement, ils décideront de s'arrêter prudemment à une marmite trop technique en raison de l'eau froide : 8°C. Nous voici donc au sommet d'un puits de 15 m légèrement arrosé. Après un équipement écologique, nous le descendons et reconnaissons la galerie du bas sur 50 m. Mais il est tard, Messieurs, il faut qu'on rentre ! Comme à son habitude, la rivière continue son bonhomme de chemin sans nous... Encore une superbe cavité qui mériterait vraiment une nouvelle visite. Nous sortons ravis et dehors, comme de coutume, il fait un temps... écossais ! (Jean-Pierre et La Rouille) - ^ -

E. YANXIAODONG
"Grotte de Yanxiao" (Xi92/5)
Alt. 1 100 m   Dév. 986 m   Dén. - 232 m   Village de Yanxiaoping
Comme pour Dishuidong, il faut prendre la nouvelle route de l'émetteur T.V.. A son terminus, on continue jusqu'à un petit col donnant sur une vallée aveugle, dont la superbe perte a été bétonnée pour en faire un réservoir. Du col, un sentier à droite traverse les pentes orientées au nord où l'on aperçoit le porche de Yanxiaodong situé au-dessus d'un grand champ très pentu. Un grand porche fortifié, de 50 m sur 20 m, donne sur une galerie d'effondrement descendant sur une centaine de mètres. Elle se poursuit horizontalement et l'on y trouve des vestiges d'exploitation de nitrate. Seuls un passage bas et une vire ralentissent un peu la progression. A 500 m de l'entrée, on parvient au sommet d'un puits de 30 m. Une fracture semble avoir barré la suite, mais une étroiture dégagée dans les concrétions permet de continuer. Les creusements deviennent complexes et la galerie très concrétionnée présente d'importants remplissages (allant du gros galet à l'argile) surcreusés par un petit actif. Tout cela se termine dans une petite salle descendante où l'on perd le peu de courant d'air restant. Nous nous arrêtons sur une galerie en interstrate très étroite. Cette cavité se développe dans les calcaires du Permien qui sont ici affectés d'un pendage de 55° de direction NW310°. (Sylvain) - ^ -

2. Le flanc NW du synclinal
Plusieurs grottes ont été explorées dans le district de Qingping, 15 à 20 km au NW de Xianfeng. Une cavité a été visitée dans la ville même de Qingping, deux autres au S, enfin au NW une belle grotte de 2,5 km de long (Changdong) dans un volet synclinal perché.- ^ -

A. YASHANWANDONG
"Grotte de la vallée" (Xi92/7)
Dév. 310 m   Dén. - 42 m   Alt. 840 m
A 20 mn de marche au-dessus de la très petite rivière, au pied d'un piton, s'ouvre une grotte plus intéressante. Après une descente tranquille dans l'entrée, une escalade barre la route. Elle est équipée "à la Chinoise", c'est-à-dire encombrée d'un tronc d'arbre glissant ! Cyriaque a tôt fait de nous installer une assurance. Tout de suite derrière, nous arrivons par un puits à une sorte de galerie fossile fortement remaniée par un chantier d'exploitation de nitrates. Une branche descend jusqu'à une trémie de petits blocs ; une autre remonte jusqu'à un nouveau puits. Après avoir vaguement posé un coinceur dans une belle draperie stalagmitique et encerclé un gros bloc pour contre-assurer, nous arrivons à une belle salle inclinée dans le pendage qui marque le terme de notre exploration, sous l'oeil hilare du fantôme de Xu Xiake qui nous voit tenter désespérément d'escalader, de fouiner dans tous les sens à la recherche d'un prolongement qui nous laisse une bonne première impression de cette nouvelle zone. (Jean) - ^ -

B. LANJIADONG
"Grotte de la famille Lan" (Xi92/8)
Dév. 64 m   Dén. - 24 m   Alt. 800 m
Près du lieu-dit Langjiagou, qui veut dire petite vallée, et pour rendre encore plus fracassante l'humeur de Richard, nous explorons un très petit système composé d'une très petite résurgence au-dessus de laquelle nous trouvons un très petit puits (- 24 m, arrêt sur siphon et trémie) et une petite grotte (arrêt également sur siphon, étroiture). (Bozzo continental)- ^ -

C. CHANGDONG
"Longue Grotte" (Xi92/9)
Dév. 2 560 m   Dén. 121 m (- 29, + 92)   Alt. 1 070 m
Après les déceptions de la veille, dans le très petit système de Lanjiadong, nous suivons avec suspicion notre guide. Mais nous commençons à savoir qu'il faut toujours passer au moins deux jours sur une zone ; Changdong en est la preuve. Cette vaste cavité, bien connue des paysans, s'ouvre au pied d'une falaise par un porche de 20 m de large et assez bas de plafond (3 m) qui est invisible du petit village situé 150 m en contrebas (15 mn de marche). Les deux cents premiers mètres de la galerie ont servi de grotte refuge comme l'atteste la présence de murs. Des bassins de lessivage pour les nitrates ont été construits à proximité des arrivées d'eau, aussi bien dans la grande galerie que dans de petits affluents aux accès pourtant peu évidents. La suite de la galerie, large de 15 à 20 m, est encombrée de blocs imposants.
A 1 km de l'entrée, nous entendons un bruit de rivière. Sur notre gauche, un petit torrent sortant des blocs emprunte un beau conduit descendant dont la section rectangulaire ou en fontis est soulignée par les bancs noirs et blancs du calcaire permien. Ce bel actif, alors en petite crue de janvier (100 l/s) - il fait un temps écossais à l'extérieur - se termine au bout de 600 m sur un siphon. Cet actif est baptisé "Rivière Jianlibao", du nom d'un célèbre jus d'orange gazeux chinois très sucré ! En rive gauche du Jianlibao, une jolie cascade de 3 m de 10 l/s fait impression ; elle sort d'un méandre, de style alpin, de 1,5 m à 2 m de large sur 6 à 8 m de haut. Nous le remontons rapidement en faisant fumer le topofil. Au bout de 500 m, la galerie s'élargit et donne sur une galerie d'effondrement cisaillée par une belle faille normale, de direction N203, à jeu oblique. La galerie ébouleuse, large de 10 à 15 m, se termine sur une trémie dans laquelle nous n'avons pas insisté à cause de l'heure tardive ! Cette galerie, dite du "Local People Says", développe 600 m. (Richard) - ^ -

D. QINGSHUIPING
"Grotte de la ville" (Xi92/10)
Dév. 201 m   Dén. 14 m (- 11, + 3)   Alt. 870 m
Cette petite grotte-méandre étroite et vaguement active ne mérite pas d'autre description que celle de son accès ! Il faut se garer dans la rue principale, passer une porte cochère, longer un caniveau faisant fonction de basse cour, rentrer chez de braves gens et ressortir par la porte de derrière. Là, suivre un petit tuyau jusqu'à l'intérieur de la grotte. (Jean)- ^ -

II. L'anticlinal de Xianfeng

Cette zone se situe à 4 km au NE de Xianfeng sur l'anticlinal du même nom, au niveau du poljé de Baishuiba. Une cavité assez importante (Bailongdong), bien protégée comme on le verra, se développe dans les calcaires du Cambrien. Il s'agit d'une grotte-émergence faisant partie d'un système perte-résurgence encore partiellement inconnu. - ^ -

A. BAILONGDONG
"Grotte du dragon blanc" (Xi92/4)
Dév. 1 647 m * Dén. 11 m (- 5, + 6)
L'entrée de Bailongdong, baptisée aussi grotte de la distillerie, ne paie pas de mine au premier abord : sous un tournant de la route, on y accède par de larges escaliers. L'entrée est totalement occupée par une fabrique d'alcool de maïs d'apparence lépreuse à cause des fumées. Une petite porte à été ménagée derrière un entrepôt et donne accès à une petite salle. Il y règne une atmosphère des plus désagréable, la chaleur et l'odeur nous donnent l'impression d'étouffer. Le sol et les parois sont entièrement recouverts d'un dépôt gras et on peut observer ça et là un "concrétionnement" d'une consistance douteuse.
La progression est vite arrêtée par un des obstacles les plus inquiétants qu'il nous ait été donné d'affronter : la rivière qui arrive tranquillement de la galerie forme une laisse d'eau où poussent, ou plutôt où vivent des corps gélatineux et informes du type Alien : "amas bactériens nourris par les effluents glucidiques de la distillerie ! " suggère Richard qui a toujours le mot pour rire. Il faut dire que lui, le bougre, il a prévu une pontonnière. Et là, derrière, la galerie qui continue à perte de lumière... Pas question de me mouiller là dedans, je n'ai pas envie de faire le cobaye. Pendant que Richard fait une reconnaissance que j'espère infructueuse, avec un profond dégoût, je décolle les bottes des cailloux, rongés par je n'ose imaginer quoi, et les fait glisser lentement dans le liquide d'appellation non contrôlable. Surtout pas d'éclaboussure ! Et c'est toujours dans ces moments que l'on a envie de se gratter le nez ! A force de miracle et de motivation, j'arrive à rejoindre Richard, mais c'est au millimètre près que je garde les pieds au sec.
Cette folle prise de risque est récompensée : la rivière qui suit est très sympathique. Bien sûr, il faut souvent se mouiller au-dessus de la ceinture, mais comme nous allons vers l'amont, l'eau mérite de nouveau ce nom. La topo file bon train, les proportions de la galerie restant très avenantes. Assez rapidement, nous arrivons à un affluent signalé par les autochtones. Le parcours est moins aisé : les grandes laisses d'eau au fond plat laissent place à des petites escalades glissantes sur des blocs et des concrétions. Assez vite, un siphon met un terme à la galerie. La rivière principale poursuit son cours, puis la voûte s'abaisse progressivement, et c'est le siphon. Dommage, on allait atteindre 1 km de galerie. Au retour, par rigueur topographique, nous attaquons une boucle de méandre qui s'avère se poursuivre en galerie fossile pas très haute, mais large et concrétionnée. Nous arrivons alors en balcon dans un méandre. La branche de droite se divise en méandres et diaclases impénétrables. La branche de droite s'avère être un aval actif confortable ; mais assez rapidement, nous butons sur un siphon qui est probablement l'amont de l'affluent vu précédemment.
Cette résurgence nous aura finalement offert 1,6 km de galeries presque horizontales. Sa visite serait des plus agréables sans le danger bactériologique de l'entrée. (Jean) - ^ -

Conclusion :

Ce comté très karstique, entrevu seulement pendant une semaine, nous a réservé de belles surprises avec des cavités de montagne de bonnes dimensions, dans une ambiance souterraine parfois alpine. Si la morphologie extérieure est moins spectaculaire qu'ailleurs, le potentiel endokarstique est important grâce aux nombreuses pertes actives ou fossiles qui jalonnent le contact entre le Permien calcaire et le Silurien schisteux. Comme ailleurs dans les autres karsts de Chine centrale, l'homme et la grotte constitue toujours un coupe indissociable comme l'attestent aussi bien les anciennes habitations et fours à nitrates que les actuelles distilleries de maïs nichées dans les porches d'entrée des résurgences comme à Baishuiba.- ^ -


Karstologia Mémoires N° 6 Année 1995 DONGHE 92 - ISBN : 2-7417-0162-8