Résumé - Abstract - Zusammenfassung -: 63 % de la population rurale de Chine sont concentrés dans les régions tropicales et subtropicales, plus ou moins karstiques, de Chine du Centre et du Sud-Ouest. Ces régions fournissent 61 % de la production alimentaire du pays et 93 % du riz. L'ancienneté des aménagements agraires de montagne et l'intense occupation des sols sont à l'origine d'une quasi disparition de la forêt et d'une forte érosion des sols pendant la mousson d'été. La conservation de l'environnement naturel constitue donc l'un des plus grands défis de la Chine actuelle. Reboisement, irrigation, aménagement systématique en terrasses, stockage de l'eau dans des barrages sont développés pour lutter contre les crues et l'érosion des sols.
L'utilisation des cavités est très ancienne et fait partie de la vie quotidienne du paysan. Les grottes servent parfois d'habitat permanent, d'enclos pour le bétail et surtout de refuge pendant les guerres et les incursions de brigands (grottes forteresses). L'exploitation des nitrates pour la production de poudre noire a été largement développée au cours des siècles derniers. Depuis 1980, les veines de charbon sont exploitées dans l'ensemble du pays pour les besoins domestiques et posent des problèmes de pollution de l'air et des eaux. Le tourisme karstique est représenté par une cinquantaine de grottes aménagées, certaines ayant plusieurs millions de visiteurs par an.
Mots-clés : karst, environnement, agriculture, déforestation, érosion des sols, reboisement, irrigation, culture en terrasses, barrage, fuite karstique, grotte refuge, nitrate, grotte aménagée, tourisme, pollution, Guizhou.
Encore aujourd'hui l'économie chinoise repose en grande partie sur son agriculture (31 % du PNB). A ce titre, les régions karstiques subtropicales de Chine, à forte population rurale et utilisation intensive des sols, font partie de la zone du riz localisée au sud de la ligne Qin Ling / Huai He. 63 % de toute la population rurale de Chine se trouvent concentrés dans les régions tropicales et subtropicales.
Face à l'occupation intensive de la montagne, à la déforestation et à l'érosion des sols, la Chine actuelle se trouve placée devant l'un de ses plus grands défis : celui de la conservation de son environnement. Les régions karstiques étudiées permettent de mieux comprendre l'ancienneté de l'aménagement agraire, des techniques d'irrigation, de l'utilisation des potentialités naturelles (grottes habitats et grottes forteresses).
Les régions karstiques montagneuses, à fenglin et qiufeng, constituent généralement un environnement plus difficile que celui des zones non karstiques. Aussi ces régions marquent-elles profondément les populations dans leurs coutumes et les formes d'aménagement. Après quelques éléments sur l'évolution de l'agriculture, on illustre la multiplicité des problèmes rencontrés actuellement en zone rurale : utilisation intensive des sols et déforestation, ressources en eau (surtout en saison sèche), barrages et irrigation, inondation et drainage des poljés, etc... Ces problèmes agro-écologiques et environnementaux dans les karsts du Sud de la Chine ont été rappelés par CAI GUIHONG (1988) et YUAN DAOXIAN (1988).
A. ÉLÉMENTS SUR L'ÉVOLUTION DE L'AGRICULTURE (ELISSEEFF, 1979)
Le début de l'agriculture chinoise remonte au Néolithique et pourrait être une invention locale, sans importation du Moyen-Orient. (BLUNDEN and ELVIN, 1983). Les premières sociétés agraires de Chine ont été découvertes en bordure des Tsin Ling, lors des fouilles de 1953-57 à Pan-p'o (Xi'an/Chensi). Cette première grande société agraire, dite de Yangshao, remonte entre 5000 et 3000 ans av. J.-C. alors que le site éponyme avait été étudié dès 1923 sur le cours du Fleuve Jaune. Les instruments de pierre polie et les fosses servant de greniers souterrains à céréales suggèrent un travail de la terre qui primait déjà sur la chasse et la pêche. A cette époque, on connaisait déjà des céréales comme le millet, le blé et le riz. Les animaux domestiqués étaient les chiens, les porcs, les chèvres, les moutons, les vaches et peut-être les chevaux. Le système tribal était dominé, semble-t-il, par le matriarcat.
* L'agriculture chinoise entre 1000 et 0 av. J.-C. : Plus tard, à l'époque des "Printemps et des Automnes" (772-481 av. J.-C.) et des "Royaumes Combattants" (453-221 av. J.-C.), on distingue deux grandes zones agraires : l'une au nord correspondant à la vieille Chine des Bronzes et des Rois, l'autre au sud qui accuse un léger retard.
Ce monde agraire du sud, entre le Yangtse et le Vietnam, détient l'essentiel des régions karstiques. Ce secteur «apparaît comme un creuset, un gigantesque fourneau civilisateur» avec l'évolution de l'artisanat chinois (ELISSEEFF, 1979, p. 105). Sur le cours moyen du Yangtse s'étendait le riche pays Tchou (l'actuelle Tchang-Cha) dont les rois tentaient sans cesse d'annexer les principautés de l'entre deux fleuves, c'est-à-dire entre le Fleuve Bleu et le Fleuve Jaune. Ces régions agricoles riches ne «cessèrent d'être l'objet de convoitises et le théâtre d'interminables combats» (p. 108, op. cité), d'où le nom de période des "Royaumes Combattants".
Sous le premier empereur (dynastie des Han), l'agriculture est largement développée. La production consistait en "cinq grains" ("woukou") : blé, millet, légumes à gousses... et riz pour la Chine du Sud, qui constituaient la base économique du pays. Malgré les troubles, le système des silos se développa pour lutter contre les famines. En 200 av. J.-C., on construisit un grand grenier à Tchang-an ("tai tsang") qui servit plus tard à assurer la stabilité des prix en fonction des récoltes. (p. 175, op. cité).
* Le développement de l'agriculture chinoise au VII-XIIIème Siècle : Au début de la dynastie des Tang (618-906 apr. J.-C.), la Chine avait 100 à 150 millions d'habitants (presque tous des agriculteurs) et l'agriculture avait une bonne rentabilité. En Chine du Nord, on obtenait trois récoltes sur deux ans avec alternance de blé et de millet. En Chine du Sud, au cours du IX-XIIIème Siècle, le retard est rattrapé sur le Nord grâce à une grande maîtrise acquise dans la culture du riz, en particulier avec la pratique du repiquage des plants de riz qui permet deux à trois récoltes par an selon les régions.
L'invention de l'imprimerie chinoise au XIème Siècle, bien avant celle de Gutenberg en Europe au XVème Siècle, a profité à l'agriculture. Le papier de bambou, qui remonte probablement à la dynastie Jin (265-420 apr. J.-C.), s'est largement développé pendant les dynasties Tang et Song. L'édition et la diffusion de traités d'agronomie permirent de répandre dans l'ensemble de l'empire les principes et les plans des systèmes d'irrigation, des machines agricoles et la technique des engrais.
Le riz devient la base de l'économie agricole et fiscale du pays. Sous les Song (X-XIIIème Siècle), la culture de nombreuses variétés de riz permet de sélectionner des espèces à croissance plus rapide. Le riz tardif, celui de Sou-Tcheou, est le plus apprécié car non glutineux. A l'extrémité de la gamme, le riz du Champâ, précoce et résistant à la sécheresse, poussait en abondance dans les montagnes et les karsts de Chine du Centre et du Sud. Ce riz de qualité inférieure se vendait à bas prix et constituait notamment la base de la nourriture des paysans et du petit peuple des karsts de Chine méridionale (Guangxi, Guizhou, Hunan, Hubei...).
Au XIIème Siècle, le développement économique de la Chine du Sud s'explique en partie grâce à l'exil des Chinois du Nord, avec leur savoir-faire. Cette évolution constitue les prémices de l'âge industriel.
B. DISTRIBUTION DES RÉGIONS KARSTIQUES AGRICOLES
On distingue trois grandes régions agricoles en Chine :
- la zone orientale à climat de mousson représentant 95 % de la production agricole du pays ;
- la zone aride du NW, très pauvre ;
- la zone froide et haute du SW (Tibet), également pauvre.
La zone tropicale et subtropicale, sous contrôle de la mousson, est en partie ou en grande partie karstique (Guangdong, Guangxi, Yunnan, Guizhou, Hunan, Hubei, Sichuan...). Les terres agricoles y représentent 44 % du total cultivé du pays, soit 61 % de la production alimentaire chinoise. Les rizières sont largement dominantes puisqu'elles couvrent 93 % de toutes les rizières du pays (CHEN CHENG-SIANG, 1984).
* La riziculture : Depuis 1983, la production céréalière chinoise est la plus importante du monde, avant celle des USA car ce pays a décidé de geler des terres pour éviter la surproduction mondiale. En Chine, la riziculture représente 34 à 38 millions d'ha, soit 44 % de la production nationale en céréales et 1/3 de la production mondiale en riz (1er rang mondial avec 117 millions de tonnes en 1989) (Encyclopedia of New China, 1987, p. 360 et CAMBESSEDES, 1990, p. 176). Les deux grandes variétés de riz sont le xian et le geng.
Dans la zone tropicale (Sud Yunnan, Guangxi, Guangdong), l'amplitude des températures est moins marquée que celle des précipitations. La culture du riz peut donner trois récoltes par an, soit deux l'été et une l'hiver. Dans les basses terres, à l'abri du gel, se développent largement la canne à sucre, la patate douce, les légumes et de nombreux arbres fuitiers (cocotiers, bananiers, papayers, manguiers, ananas, litchee...). La zone karstique de la région de Canton (Guangdong) appartient à ce domaine.
Dans la zone subtropicale (Yunnan, Guizhou, Hunan, Hubei...), l'amplitude thermique et l'amplitude pluviométrique sont aussi marquées l'une que l'autre. Dans le Sichuan, en particulier dans le Bassin Rouge, et dans la vallée du Yangtse, la culture du riz est très développée. Dans les karsts du Yunnan et du Guizhou, entre 400-700 et 1600 m, la culture du riz est également dominante. Elle produit au mieux deux récoltes par an à condition que le riz soit replanté avant la première récolte. Sur les basses terres, on peut avoir cinq récoltes de riz en deux ans.
Cependant, de nombreuses régions - bassins, poljés, piémonts - présentent une quasi monoculture du riz l'été (1 récolte) et en alternance une culture du blé et du colza l'hiver. Ces régions subtropicales karstiques et de piémont représentent 70 % de la production nationale de riz.
* L'élevage : A l'extension de la culture du riz correspond l'aire du buffle, ce dernier jouant le rôle de "tracteur" animal. En pourcentage national, l'élevage dominant est constitué par les porcs (68 %) et le bétail (bovins, chevaux, poneys). Les chèvres et les moutons ne représentent que 24 et 8 %.Avec ses 349 millions de têtes en 1989, le cheptel porcin chinois occupe le 1er rang mondial (41 % du cheptel mondial).
C. UTILISATION INTENSIVE DES SOLS ET DÉFORESTATION
Pour qui est habitué aux paysages presque déserts des Causses ou des lapiés méditerranéens, le choc est rude. Des villages partout, pas une dépression et une fente du karst qui ne soient cultivées. Dans la plupart des comtés visités, la densité de population atteint 200 à 300 hb/km2, soit l'équivalent de ce que l'on rencontre dans les plaines fertiles du Nord de l'Europe (Belgique, Pays-Bas, Allemagne).
1. Une mise en cultures intensive
Une population aussi dense exerce une pression très forte sur le milieu. La moindre parcelle de terrain est mise en valeur de manière intensive et il ne reste plus guère de place pour les forêts et les taillis. Question paysage calcaire, cela ne tient pas de la Champagne ou du Poitou ! Partout, c'est une "forêt" de cônes, de pitons, de crêtes escarpées. Trouver de quoi nourrir 300 habitants par km2 relève de l'exploit ! Chaque pouce de terrain est mis en valeur. Les coteaux sont couverts de terrasses cultivées. Certaines n'atteignent pas 10 m2. C'est là que les charrues traditionnelles font merveilles. Ce sont des araires en bois, avec un soc forgé. Légères, elles se portent sur l'épaule. Maniables, elles prennent tous les virages.
La mise en culture est très poussée. Reste-t-il une bande de 30 cm terre entre deux lames de lapiés ? Ce sera assez pour planter 10 pieds de maïs. Un gouffre de 20 m troue-t-il un champs ? Cela n'empêchera pas de cultiver jusqu'aux lèvres du vide. Même le fond des dolines les plus encaissées, comme celle de Dacaokou (Zhijin/Guizhou), est cultivé (chap. 1).
Une telle mise en valeur a son revers. Dans un comté comme celui de Santang (Guizhou), il n'y a plus d'espace pour la nature non domestiquée. Plus d'arbres, presque plus d'oiseaux, même les lézards et les souris semblent avoir déserté la région ! A cela s'ajoutent les problèmes liés à la déforestation, en particulier l(érosion des sols.
2. Déforestation et érosion des sols
La déforestation est un des problèmes majeurs de la Chine. La forêt ne couvre actuellement que 12 % du territoire et au taux de déforestation de 1987, les 3/4 de la forêt restante risquent de disparaître en l'an 2000. Cette diminution de la forêt favorise l'érosion des sols et menace l'existence d'espèces animales rares comme le fameux panda géant de Chine, seul survivant d'une espèce qui couvrait autrefois la Birmanie du Nord et pratiquement toute la Chine du Centre et du Sud.
* Les ressources forestières : Les forêts actuelles sont concentrées dans le NE et le SE du pays où elles représentent 43 % de la superficie forestière et 65 % de la réserve en bois. Sur une superficie totale de 1,15 millions de km2 de forêts, 44 % sont exploités par plus de 4100 fermes forestières d'état et 15 % par des fermes collectives locales. La Chine est au troisième rang mondial pour la production du bois (276 millions de m3 en 1988).
La richesse potentielle de la végétation forestière chinoise est remarquable : plus de 2000 espèces d'arbres, dont certaines rares, remontent au Tertiaire et au Secondaire comme le ginkgo et le metasequoia. On compte aussi plus de 300 espèces de bambous ! La pharmacoppée chinoise recense près de 3000 espèces de plantes médicinales se développant surtout dans les forêts du pays.
Les contreforts himalayens et les régions karstiques escarpées à l'E du Yunnan, du Guizhou et du Sichuan sont encore couverts par des forêts subtropicales pluviales riches en conifères, feuillus et bambous. C'est dans les forêts de bambous du Sichuan occidental, ou du moins ce qu'il en demeure, que survivent les derniers pandas géants. Il en resterait actuellement 800 à 1000 individus répartis dans une douzaine de réserves naturelles créées spécialement à cet effet. Le panda géant (Ailuropoda melanoleuca) est friand du "bambou flèche" et du "bambou ombrelle" ; on peut même affirmer qu'il est "bambou-dépendant" selon l'expression de SCHALLER (1989).
Malheureusement le Panda a du mal à se reproduire ; aussi la fragmentation des forêts de bambous contribue-t-elle à sa disparition. Dans la réserve de Wolong ("terres des nuages et de la pluie"), créée en 1975, SCHALLER (1989) signale que le nombre des individus est passé de 145 en 1975 à 72 en 1986 principalement à cause du braconnage. De plus, lorsque le bambou fleurit - phénomène qui peut avoir lieu sporadiquement tous les 20, 45 ou 100 ans - il meurt. Ainsi, en 1983, la floraison des bambous de Wolong a provoqué la disparition de forêts entières et menacé l'existence des pandas qui cherchaient alors leur nourriture jusqu'à 3500 m d'altitude.
* La déforestation et l'érosion des sols : L'exploitation de la forêt s'est développée largement à partir du XIIIème Siècle avec l'augmentation de la population et les progrès de l'agriculture liés au défrichement, à l'aménagement des versants en terrasses de cultures, à l'irrigation. Si l'on excepte les quelques provinces très montagneuses et boisées du SW, la forêt couvre moins de 1 % de la superficie de la plupart des régions. Cette situation est fort inquiétante pour la stabilité des sols, la faune animale sauvage en voie de disparition et les ressources en bois.
Dans les régions karstiques que nous avons visitées, les besoins domestiques en bois obligent les paysans à aller chercher celui-ci de plus en plus haut, sur les flancs escarpés des montagnes. Ainsi, dans les hautes murailles calcaires étagées du Daguan Shan (Wuxi/Sichuan), les indigènes coupent les arbres et les précipitent directement du haut des falaises ou par le moyen de couloirs très inclinés (chap. 4). La technique est au point, mais réclame beaucoup d'agileté et d'assurance en raison de la pente. Le même système a été observé dans le comté de Wufeng (Hubei), dans les parois sommitales du synclinal perché de Baiyiping, entre 1600 et 2000 m d'altitude (chap. 5). Ce bois sert de combustible (charbon de bois) et pour la construction.
Dans la province du Guizhou, où le karst occupe plus de 75 % de la superficie totale, la conservation de la couverture pédologique pose un sérieux problème. L'utilisation intensive des sols - déforestation quasi totale - a détruit les conditions de formation et de renouvellement des sols. Soumise à un lessivage important et une érosion accélérée pendant la saison des pluies, la couverture pédologique est fréquemment tronquée, voire absente. Ce phénomène est illustré par les multiples surfaces de crypto-lapiés décapés ou en cours de décapage, comme dans la zone de Santang (Guizhou) ou dans le comté de Wuxi (Sichuan oriental). La profondeur des lapiés (souvent de plusieurs mètres) et la rondeur des formes montrent que le décapage n'est pas ancien : quelques décennies à quelques siècles. Lorsque l'érosion est plus ancienne, les formes découpées par les eaux de pluies deviennent dominantes comme dans la "forêt de pierres" de Lunan (Yunnan). (chap. 11).
* Le reboisement et la lutte contre l'érosion des sols : Devant la gravité de la situation, une des premières actions mise en place actuellement est le reboisement des zones les plus touchées pour pouvoir arrêter le lessivage des sols et essayer d'enrayer le processus de désertification. D'importants crédits ont été débloqués par le gouvernement central, mesure qui a été doublée par une campagne de sensibilisation et d'information ayant pour but de généraliser l'utilisation exclusive des cultures en terrasses.
En chinois, titian signifie terrasses cultivées, tiaotian champs en bandes rectangulaires et fangtian champs carrés. Les tiaotian et fangtian, délimités ou non par des murets, sont situés dans les fonds alluviaux plats, les ouvalas ou les poljés. (CHEN CHENG-SIANG, 1984, p. 100).
Sur les versants, la culture sans terrasse existe encore. Dans le secteur de la Gebihe (Ziyun/Guizhou), les paysans continuent à cultiver sur les pentes. Des incendies de garrigues sont effectués pour gagner un peu de terres et fertiliser provisoirement ; ce type d'écobuage permet d'implanter du maïs à peu près partout sur les versants inclinés des buttes et des reliefs karstiques.
Pour changer ces mentalités, un programme à grande échelle a été développé pour généraliser la culture en terrasses. Ceci s'est fait conjointement dans le plateau loessique du NW et dans les régions karstiques du SW, notamment dans les secteurs peuplés par les minorités Miao (Guizhou) et Tujia (Hubei, Hunan). Par exemple, sur la bordure ouest du Hunan habitée par les les Tujia, les zones dénudées ont été aménagées en nombreuses terrasses de cultures tandis que du reboisement a été effectué. (CHEN CHENG-SIANG, 1984, p. 102).
A l'ouest du comté de Zhijin (Guizhou), près de Santang, la couverture forestière est inexistante ; l'érosion des sols en saison des pluies se manifeste par une très forte turbidité des cours d'eau qui peut atteindre 47 kg/m3. Face à cette grave situation, le gouvernement central de Pékin a débloqué d'importants fonds pour le le reboisement du comté. Si la partie montagneuse occidentale du Guizhou est relativement boisée, rappelons que l'ensemble de la province est recouverte par moins de 5 à 10 % de forêts. D'autres tentatives de reboisement ont été effectuées sur le plateau karstique d'Anshun où la forêt originelle a totalement disparu. Un des secteurs porte le nom de Yike Shu, ce qui signifie "Il n'y a qu'un arbre". Des cônes karstiques sont actuellement en voie de reconquête par une forêt de pins.
Dans les zones reboisées en résineux, des panneaux indiquent "feux interdits". Malgré la forte utilisation des bambous, des bosquets de grands bambous sont conservés autour des maisons et dans les villages de montagne.
En 1950, le reboisement s'étendait à peine à 1200 km2 pour le pays. En 1957, il atteint 113 000 km2. En 1958, une très grosse campagne de reboisement est effectuée qui permet de gagner 280 000 km2, superficie supérieure à celle qui a été reboisée entre 1911 et 1946 ! Cette politique est un défi face à l'immensité du pays, l'énormité de la population et la poursuite de la déforestation.
3. Les réserves naturelles
Pour protéger le territoire d'une destruction quasi totale du milieu naturel, le gouvernement central a créé de nombreuses réserves naturelles. A la fin de 1984, il en existait 274 couvrant une superficie globale de 160 000 km2. Depuis 1981, une coopération internationale existe sur la protection de la vie animale et des espèces menacées comme le panda géant, en particulier dans la réserve de Wolong. Citons deux grandes réserves situées en zones karstiques :
- La réserve de Shennongjia est localisée à l'extrémité ouest du Hubei (comtés de Fangxian, Xingshan, Badong), dans le massif montagneux calcaire du Dashennongjia (3053 m). Ce massif fortement plissé constitue l'extrémité SE des Daba Shan. La superficie est de 773 km2 et sa création remonte à 1982. Ce secteur sauvage renferme un écosystème forestier de montagne remarquable, avec notamment des singes.
- La réserve de Wolong est située dans le comté de Wenchuan, dans la partie occidentale du Sichuan. D'une superficie de 2000 km2, elle est formée par des massifs calcaires très élevés, dans les Qionglai Shan (3500 m), renfermant des forêts de bambous où vivent les pandas géants. Sa création date de 1975. (cf. Encyclopedia of New China, 1987, p. 370-371).
D. LES RESSOURCES EN EAUX
Le Sud-Ouest de la Chine, avec entre autres le bassin du Yangtse et ses grandes régions karstiques, regroupe 83 % du potentiel des ressources en eau du pays. Les eaux souterraines représentent 16,9 à 18,8 % du débit global des rivières. (LU YAORU, 1985).
1. Une mauvaise répartition des ressources en eau
En Chine, le karst pose le même problème rencontré dans toutes les régions calcaires du monde : l'eau existe, mais elle est cachée sous terre. Des trésors d'ingéniosité sont nécessaires pour la faire jaillir et la mettre à disposition de l'homme et de l'agriculture. Ici, la quête de l'eau est une vieille affaire. Bien avant l'ère des forages et des moto-pompes, les paysans chinois ont cherché à tirer le meilleur parti de toutes les ressources en eau accessibles, y compris les rivières souterraines.
Les ressources en eau sont souvent mal réparties. Dans les montagnes, le niveau des eaux souterraines est profond. Par exemple, dans le Nord du comté de Ziyun, on trouve l'eau à -50 m ; dans le Sud, elle est souvent supérieure à - 100 m. Dans ce comté, 1/5 des champs n'est pas irrigué et dépend uniquement de la météo. A Zhijin (Guizhou), 85 % des champs manquent d'eau. A Wuxi (Sichuan), les rivières souterraines sont nombreuses, mais il n'y a pas d'eau en surface. Dans certains poljés, l'eau n'est pas suffisante ; ailleurs il y en a trop.
2. Travaux d'endiguement et d'irrigation
Les travaux d'endiguement et d'irrigation sont connus en Chine depuis les débuts de l'agriculture en raison de la mauvaise distribution spatiale et temporelle des ressources en eau. Aussi, les aménagements (canaux, digues) ont-ils commencé très tôt, il y a plus de 2000-2500 ans, dès la période des "Printemps et des Automnes". C'est depuis cette lointaine période qu'est née l'hydrologie appliquée chinoise.
* La lutte contre les inondations : Pour limiter les inondations, véritable fléau de la Chine orientale (notamment le Fleuve Jaune et le bas Yangtse), plusieurs techniques ont été utilisées. Les premiers travaux d'endiguement sur le Fleuve Jaune remontent à la période 770-476 av. J.-C. ; puis, ils se sont largement développés à la fin de la dynastie Zhou grâce à l'emploi des outils en fer en même temps que les travaux d'irrigation.
Plus tard, sous la dynastie Ming, Pang Jixun exprime par écrit les concepts et les applications de l'hydrologie appliquée chinoise en des termes clairs :
«Quand la rivière est large, la vitesse du courant est lente, le sable se dépose et le niveau du lit monte... Quand la rivière est étroite, la vitesse du courant est rapide, le sable est transporté et le cours d'eau creuse son lit... Il faut construire des digues pour rétrécir le cours de la rivière et enlever les alluvions. Ne pouvant plus couler le long des berges, l'eau déborde son lit. Cela est évident, voilà pourquoi il est préférable de rétrécir le cours plutôt que l'élargir». (SONG ZHENGHAI, 1983, p. 242).
Au XXème Siècle, le drainage direct vers la mer, par la construction de digues et le recalibrage des cours d'eau, a été utilisé largement entre 1963 et 1973. Pendant cette période, la capacité d'évacuation des eaux jusqu'au littoral a été multipliée par six. Au même moment ont été construits en amont une série de 9 grands barrages, 80 réservoirs principaux et plus de 1500 lacs collinaires (CASTANY et RICOUR, 1975).
Mais la méthode de l'endiguement a ses limites : aussi les pouvoirs publics développent-ils de plus en plus les méthodes associant le stockage et l'utilisation de l'eau pour l'électricité, l'irrigation, les besoins domestiques, l'élevage du poisson... Depuis 1950, de nombreux barrages, souvent de petites et moyennes dimensions, ont été construits dans les montagnes. En Chine, il y aurait plus de 2800 à 3000 lacs artificiels de plus de 1 km2, une partie étant en région karstique.
* Aménagement des poljés : En zone karstique, les inondations concernent surtout les poljés où le niveau noyé des eaux souterraines est peu pofond. Durant la mousson d'été, les ponors refoulent car ils ne peuvent plus absorber les énormes quantités d'eaux de pluie. Objet de soins attentifs, les poljés sont découpés par un dense réseau de digues et de canaux qui dirigent une partie de l'eau vers les champs et l'excès d'eau vers des ponors.
Ainsi, dans le comté de Wuxi (Sichuan oriental), le poljé synclinal de Shanghuang (alt. 700 m) s'ennoie pendant la saison humide. Pour lutter contre, les ponors ont été aménagés ; en complément un tunnel de drainage a dû être construit en 1980. Celui-ci est long de 2 km (diamètre de 3 m) et traverse perpendiculairement un pli anticlinal E-W. A 200 m de l'entrée, le tunnel recoupe une cavité naturelle dans laquelle un écoulement pérenne a été canalisé (chap. 4, p. 77). Seul problème actuel, mais de taille : le tunnel a été construit à une cote d'altitude trop haute de sorte qu'il n'évacue que la partie occidentale tandis que la partie orientale, plus basse, reste ennoyée.
Dans deux comtés méridionaux du Guizhou, Pingtang et Luodian, 36 grands poljés s'ennoient tous les ans. Dans le comté de Zhijin (Guizhou), le lac karstique de Babou, profond de 30 m, est un poljé qui demeure ennoyé plusieurs années de suite car le ponor se bouche et se débouche tous les trois ou quatre ans. Ce lac est utilisé pour l'irrigation des terres avoisinantes. Dans le même comté, dans la zone du synclinal de Santang, le poljé de vallée de Huangnipojiao situé en amont du bassin-versant s'ennoie chaque année d'une trentaine de mètres compromettant ainsi les récoltes dans une région de montagne très pauvre située à plus de 1500-1600 m d'altitude (chap. 1).
Dans le comté très montagneux de Wufeng (Hubei), le grand poljé de vallée de Wantan mesure 8 km de long sur 0,5 à 1,5 km de large (chap. 5, fig. 60, p. 82). La grotte-ponor de Tanghuangdong fonctionne actuellement comme trop-plein ; elle suscite un vif intérêt car ses dimensions semblent suffisantes pour évacuer le débit de hautes eaux (fig.75, p. 100). En 1973, une première expédition est effectuée dans cette vaste cavité par des scientifiques, les autorités provinciales et du comté, et des paysans. Le but est de faire la topographie de la grotte, de reconnaître sa direction et sa taille afin de creuser à l'extérieur un chenal menant les eaux de la rivière à l'entrée de Tanghuangdong, donc de la transformer en ponor permanent. Mais la grotte est longue et son investigation n'est pas terminée.
* Historique des premiers grands travaux d'irrigation (SONG ZHENGHAI, 1983) : La notion d'irrigation fertilisante pour amender les terres a été expérimentée en 246 av. J.-C., avec la construction du grand canal de Zheng Guo dans la province de Shanxi. Long de 150 km, celui-ci irriguait la plaine de Guangzhong à partir des eaux limoneuses de la rivière Jingshui. 2 millions de mu sont ainsi devenus fertiles, soit une superficie de 1320 km2 (1 mu = 0,066 ha). Ces travaux d'envergure ont été effectués avec efficacité grâce à l'emploi d'outils en fer forgé durant la période des "Royaumes Combattants" (475-221 av. J.-C.) à la fin de la dynastie Zhou.
Les premiers canaux souterrains pour le drainage et l'irrigation, utilisant la technique des "puits sur pente", ont été construits dans les districts arides du Xinjiang. Cette technique d'irrigation permet à l'eau souterraine d'être récupérée dans un canal de base. La technique s'est répandue ; par exemple, dans le comté de Puchang (Shanxi), sous l'empereur Wu Di de la dynastie Han, le canal de la "Tête de Dragon" a été creusé dans une montagne de loess large de 3,5 km.
Dans ses notes sur le creusement des canaux d'irrigation, Han Shu écrit cette sentence fameuse :
«Quand les hommes soulèvent les bêches, c'est comme si les nuages arrivaient ; quand l'eau coule dans le canal, c'est comme si la pluie tombait». (HUA JUEMING, 1983, p. 414-415). C'est dire l'importance que revêtait l'eau d'irrigation pendant la saison sèche et qu'elle revêt toujours en cette fin du XXème Siècle.
* Irrigation et rizières : En Chine, l'irrigation en zone de plaine comme en montagne est une entreprise de grande ampleur représentant une superficie totale de 38 millions d'hectares, essentiellement les rizières (CHEN CHENG-SIANG, 1984, p. 18). Comme il faut 6000 m3 d'eau par hectare de rizière, le volume total annuel nécessaire est de plus de 200 milliards de m3, soit cinq fois le débit annuel du Fleuve Jaune. L'Encyclopedia of New China (1987, p. 350) donne une valeur de 44,7 millions d'ha pour l'ensemble des terres irriguées en 1984. Cela place la Chine au premier rang mondial pour l'irrigation, avec une augmentation de 120 % depuis 1950.
En raison du fort prélèvement en eau, l'irrigation chinoise joue un rôle considérable sur le régime des cours d'eau et sur la tranche écoulée. L'irrigation contribue aussi à limiter l'impact des crues. Dans les rizières étagées du Guizhou, pendant la mousson d'été, on peut observer le travail incessant des femmes qui remontent l'eau d'une banquette à l'autre. La technique souvent utilisée est celle du lancer de l'eau à partir d'un récipient dont le contenu, d'une dizaine de litres, est propulsé à deux mètres à partir d'une corde tenue par deux personnes. Durant l'été, l'eau des rizières du Guizhou est régulièrement renouvelée. La vidange est effectuée le soir par des vannes rudimentaires. Le débit des petites pertes karstiques peut ainsi augmenter brutalement.
En zone très montagneuse, les rizières étagées constituent un spectacle impressionnant. Dans le comté de Wuxi (Sichuan), les rizières s'étagent ainsi sur 1000 m de dénivellation, dans les terrains imperméables du Silurien schisteux, au pied des grandes parois calcaires du Daguan Shan (chap. 4). L'eau des émergences, sortant au pied des falaises, est dérivée à différentes altitudes vers les rizières. Puis un dense réseau de canaux d'irrigation croisés parcoure les rizières.
3. Le stockage de l'eau
a) Les barrages en zones karstiques :
Dans toutes ces régions karstiques, le stockage de l'eau est vital pour les besoins en eau domestique, pour l'irrigation et la production d'électricité. Le bassin d'alimentation du Yangtse regroupe les plus grandes zones karstiques de Chine où les ressources en eau ont un rôle important pour l'économie du pays, notamment pour l'énergie hydroélectrique (WU YINGKE & al., 1989). Cependant, de multiples réservoirs et barrages rencontrent des problèmes dus au contexte karstique et aux crues : fuites karstiques, sapement des berges et des constructions.
* Le barrage hydroéléctrique de Wujiangdu : localisé dans le Guizhou, ce barrage est le plus grand de Chine en secteur karstique. Il est situé sur le cours du Wujiang (alt. 625 m), affluent de première grandeur du Yangtse. C'est le septième du pays par sa puissance installée (0,63 millions de kw), le premier étant celui de Liujaxia, sur le Fleuve Jaune, avec 1,225 millions de kw. Notons qu'il existe en Chine 146 stations hydroélectriques dépassant 12 000 kw, dont 22 de plus de 250 000 kw.
Wujiangdu est un barrage-voûte de 165 m de haut sur 250 m de large construit à l'extrémité aval d'un canyon. Le volume de la retenue est de 2,14 km3. En rive gauche, nous avons visité une galerie de reconnaissance de 3,5 m de diamètre qui a recoupé des galeries et puits karstiques. L'ensemble du massif est très karstifié en profondeur puisque les divers travaux de forage ont permis de reconnaître l'existence de nombreux conduits noyés et plus ou moins colmatés sous le niveau de la rivière. Ainsi, une cavité de 10 m de haut a été atteinte jusqu'à - 220 m sous le niveau de la vallée. La plus importante, à la cote - 35 m, mesure 34,6 m de haut. Ces vides sont localisés sur des secteurs faillés.
Un voile d'étanchement a été injecté à l'aplomb du site du barrage afin d'éviter tout risque de soutirage et de soulèvement. Toutefois, ces travaux ont tenu compte de deux observations essentielles. Dans les premières dizaines de mètres, les cavités rencontrées par les forages sont remplies de graviers et de sables, d'où une circulation turbulente et un lien directe avec la rivière et le "karst rapide." Cette partie nécessite un voile d'étanchement et le bétonnage des cavités. En revanche, à plus grande profondeur, les vides karstiques sont remplies par une argile jaune témoignant de la lenteur de l'écoulement ; on est dans le domaine du "karst lent", aussi ces cavités n'ont-elles pas fait l'objet de travaux. Après un an de mise en eau, aucune fuite notable n'a été signalée. (cf. LI MAOQIU, 1981).
* Problème des fuites karstiques : les ouvrages de Maotiaohe, situés à 25 km à l'ouest de Guiyang (Guizhou), sont représentés par six retenues étagées (puissance installée de 200 000 kW) ; elles connaissent des fuites relativement importantes, mais qui n'interdisent pas son fonctionnement.
Il existe aussi des cas nombreux à propos de projets locaux utiles, mais moins ambitieux (barrage collinaires) et forcément moins financés. Prenons quelques exemples typiques. Dans le comté de Zhijin (Guizhou), le réservoir de Hongliang perd 1 m3/s par des fissures et des conduits karstiques qui n'ont pas été détectés lors de la construction. Même problème au réservoir de Geba, dans le comté de Ziyun (Guizhou), où la capacité prévue de 6,6 millions de m3 ne dépasse pas en réalité 250 000 m3 à cause d'une fuite sur faille de 2 m3/s ! Dans le comté montagneux de Wuxi, à l'E du Sichuan, quatre réservoirs présentent les mêmes défauts.
* Les barrages et canaux souterrains : ils sont fréquents dans les grottes chinoises et sont utilisés pour l'irrigation. Leur nombre total est inconnu, mais il doit dépasser plusieurs milliers, voire beaucoup plus. Ainsi, dans le comté de Dushan (Guizhou), on a dénombré jusqu'à seize barrages souterrains pour l'irrigation de 22 000 mu de terres agricoles, soit 1452 ha. (YUAN DAOXIAN, 1981).
Souvent, il s'agit de petites constructions destinées à irriguer quelques pièces de terres. Par exemple, dans la grotte de Longwangdong (Wuxi/Sichuan), un petit barrage alimente un canal d'irrigation qui court dans la grotte pendant 200 m, à flanc de galerie, avant de ressortir au jour. Par endroits, il est entièrement creusé dans la paroi. Tout cela pour faire ressortir l'eau 20 m plus haut que la résurgence naturelle et irriguer des rizières.
Même technique à Santang (Zhijin/Guizhou), dans la grotte-tunnel de Luochu (photo 74), où un canal dérive l'eau de la rivière souterraine afin d'irriguer des champs voisins. Celui-ci emprunte la bordure d'une salle d'effondrement, puis d'un aven et traverse la barre calcaire par un tunnel artificiel.
Mais il existe aussi quelques exemples de gros barrages souterrains, mais dans ce cas se pose le problème de l'étanchéité du réservoir naturel. Dans le Sichuan oriental (comté de Jiangbei), YUAN DAOXIAN (1981, p. 30) cite l'exemple d'un réservoir souterrain de 20 millions de m3 qui se développe dans un aquifère karstique anticlinal. Un petit barrage a été construit dans le tunnel d'accès à la rivière souterraine. Mais il y a mieux : le réservoir de "Dalongdong", dans le comté de Shanglin (Guangxi), a une capacité de 120 millions de m3 et permet d'irriguer 11 220 ha ! Celui-ci a pu être rempli simplement en bouchant une perte.
Récemment, SILAR (1990) a fait le point sur la question des barrages souterrains en milieu karstique, notamment à partir d'exemples de Chine du Sud.
c) Ressources en eau pendant la saison sèche :
Pendant la saison sèche hivernale qui dure quatre à cinq mois (novembre-décembre à mars inclus), l'alimentation pose des problèmes dans certains secteurs karstiques éloignés des cours d'eau de surface ou à cause du débit d'étiage insuffisant des sources. En Chine, tous les types de captage sont possibles pour récupérer l'eau, depuis l'utilisation directe des émergences et des eaux d'infiltration, jusqu'aux pompages dans les ponors ou dans la nappe, en passant par le stockage de l'eau (barrages) pour obtenir des réservoirs souterrains ou de surface. Les exemples sont nombreux.
- Le village troglodyte qui domine la résurgence de la Gebihe (Ziyun/Guizhou) est aménagé dans une grotte totalement sèche. Ni rivière, ni gours. Seul un suintement tombe d'une haute voûte (30 m) pour former une stalagmite. Un énorme entonnoir et un savant système de gouttières en bambou permettent de recueillir jusqu'à la dernière goutte l'eau précieuse (photo 76, p. 206).
- Les villages et hameaux situés en haut des collines ou au milieu du karst à pitons, dolines et ouvalas recueillent les eaux de pluie dans de grosses citernes maçonnées, comme à Daxiaocaokou ou à la Gebihe. Mais ces citernes sont insuffisantes pendant la saison sèche, et les femmes sont obligées de marcher plusieurs km pour aller chercher de l'eau à la rivière ou la résurgence. C'est le cas à Luodian ou sur le karst à pitons (fenglin-ouvala) dominant la Gebihe. Pour éviter ce va et vient harassant pendant plusieurs mois, de nouvelles citernes cimentées sont en construction.
- Des villes sont également soumises à des restrictions en eau en saison sèche. Par exemple, Ziyun (10 000 hb), ne possèdait qu'un seul captage pour l'eau domestique en 1986 et 1989 ! L'eau est prélevée sur une résurgence vauclusienne par un micro-barrage et un canal maçonné se subdivisant en plusieurs branches. Le débit est de 57 m3/h à peine ; aussi l'alimentation est-elle coupée dans la journée.
- Dans d'autres villes, c'est le cas contraire. Zhijin, au fond de son bassin, est entouré par 72 sources karstiques dont les eaux constituent la rivière qui se perd à Daxiaocaokou (chap.1).
En Chine, plus que partout ailleurs sans doute, le karst fait partie de la vie des hommes. Aussi l'ont-ils exploité dans toutes ses dimensions : pour ses richesses minérales associées (pyrite, charbon, nitrates...), pour les refuges qu'il procure en temps de paix (grottes habitats, enclos) comme en temps de guerre (grottes forteresses), enfin pour ses potentialités touristiques (grottes aménagées). Le calcaire est lui-même exploité directement pour la fabrication du ciment ; à proximité d'une grande ville "karstique" comme Guiyang, les cônes et buttes calcaires sont rongés par les carrières. On devine déjà les problèmes que pose cette pression urbaine sur l'environnement, en particulier la pollution des eaux et la dégradation des paysages.
A. L'EXPLOITATION MINIÈRE EN DOMAINE KARSTIQUE
Les régions karstiques de Chine renferment des couches non carbonatées qui sont exploitées largement comme les nombreuses veines de charbon. Mais il existe aussi de multiples gisements de type paléokarstique : limonite, bauxite, phosphorite, pyrite. Dans le Yunnan (Gejiu) et le Guangxi (Hexian), signalons des dépôts de cassitérite (oxyde d'étain), localisés dans des cavités et des dépressions, et qui ont été exploités pendant longtemps. Bauxite, charbon, pyrite jalonnent les surfaces paléokarstiques façonnées au cours du Paléozoïque : avant le Carbonifère moyen en Chine du Nord, avant le Permien supérieur en Chine du Sud. (YUAN DAOXIAN, 1983).
1. L'exploitation du charbon
En Chine, l'exploitation de mines de charbon, associée à la production de fer, remonte à la dynastie occidentale Han (206 av. J.-C. à 24 apr. J.-C.). La technique d'extraction s'est largement développée sous la dynastie Song (960-1279). Par exemple, dans l'ancienne mine de Hebi (Henan), on observe un puits d'accès vertical, haut de 46 m, donnant accès à des galeries rayonnantes situées à différents niveaux. La section trapézoïdale des galeries mesure un peu plus de 1 m de haut sur 1,40 m à la base. Le charbon est remonté à la surface par un treuil. Le méthane, toxique, est évacué par un long tube de bambou. L'eau souterraine est drainée par un canal et l'étayage des conduits est utilisé contre les effondrements (YANG WENHENG, 1983).
a) Importance économique du charbon :
La Chine est un grand pays producteur et consommateur de charbon. La production est passée de 32 millions de tonnes en 1949 à 872 millions de tonnes en 1985, soit un taux d'expansion de 9,6 %/an. Encore aujourd'hui, le charbon représente la plus grande source d'énergie du pays. En 1980, le charbon représentait 69 % de la production énergétique du pays, mais le taux était de 98 % en 1950, 94 % en 1960 et 79 % en 1970 (CHEN CHANG-SIANG, 1984, p. 188).
Les mines d'Etat extraient 46,6 % du total national contre 53,4 % pour les mines locales. Parmi les exploitations locales, on distingue des mines sous administration provinciale, des mines sous administration collective (municipalité, comté), enfin des mines artisanales privées.
Rappelons qu'en 1980, Deng Xiao Ping autorise l'exploitation directe du charbon par les paysans, ceci dans le but de développer les régions montagneuses pauvres comme les karsts du Guizhou ou du Sichuan oriental. Dix ans après, des milliers de petites mines sont en fonctionnement à flanc de montagne dans les terrains du Permo-Carbonifère. La forêt ayant pratiquement disparu, le charbon constitue une source d'énergie précieuse. Il est utilisé par les briqueteries locales et pour les besoins domestiques (cuisine, chauffage).
Les variations des conditions techniques d'extraction et de la production sont grandes entre les grosses mines d'Etat et les petites mines artisanales. Les onze plus grandes mines produisent plus de 10 millions de tonnes par an chacune. Les mines locales et artisanales sont plus de 60 000 dans toute la Chine (photo 71). Toutes les provinces et régions autonomes produisent du charbon.
En 1985, les régions essentiellement karstiques du Centre-Sud de la Chine totalisent 15 % de la production nationale contre 36,3 % pour le Nord, 15,1 % pour le Nord-Est, 14,6 % pour la l'Est, 10,9 % pour le Sud-Ouest et 8,1 % pour le Nord-Ouest. (Encyclopedia of New China, 1987, p. 312).
b) Exemple de mine artisanale dans le Guizhou :
L'une de ces petites mines a été visitée près de Santang dans le comté de Zhijin (Guizhou) (photo 67, p. 191). Elle s'ouvre vers 1500 m d'altitude, au fond de la vallée, quelques mètres sous le niveau de la rivière (protection par une digue ! ). On entre par une bouche en escalier de 5 m de profondeur. La galerie principale, large de 1,5 m et haute de 1,30 m, conduit au bout d'une centaine de mètres à la zone d'extraction qui est constituée par une série de galeries rayonnantes. Le front de taille, exploité au pic, crépite à cause du dégazage de la houille. Il fait une chaleur lourde et oppressante (20°C). Le charbon est évacué péniblement à dos d'homme dans des sacs dont le poids est de l'ordre de 60 à 80 kg ! Il n'y a que des hommes, mais d'âges très variés, depuis des adolescents jusqu'à des vieillards.
Des tas de charbon sont fait à la sortie de la mine, non loin de la route. La distribution dans les écarts, hameaux et villages se fait par des camions. (photo 71).
* Exemple de mine dans le Sichuan oriental : En rive gauche du Yangtse à l'entrée des "Trois Gorges", une route part de Fengjie en direction de Wuxi. Celle-ci remonte une vallée escarpée entaillée dans des grès jurassiques à veines de charbon. Des mines s'ouvrent ici en pleine falaise ; les échafaudages sont suspendus dans le vide à plusieurs centaines de mètres de hauteur. Les morts-terrains sont directement jetés dans le canyon, ce qui constitue une importante source de pollution des eaux.
Bien que non artisanales, ces mines présentent des conditions de travail très difficiles. Le charbon est exporté dans les agglomérations et les comtés avoisinants. La distribution est effectuée par la route ou par voie fluviale (chalands sur le Yangtse).
2. L'exploitation du sel et du gaz naturel
L'extraction d'eau salée (halite), par creusement de puits, puis sa récupération par évaporation dans des mares, remonte à plus de 2000 ans. C'est dans le Sichuan que cette technique est utilisée par Li Bing à Guangdu, puis développée entre 475 et 221 av. J.-C. La dynastie Han Orientale (25-220) est la période de l'extraction du sel par le moyen de puits larges et peu profonds.
a) Développement de la technique du forage :
Plus tard, des puits plus profonds sont creusés. Durant la dynastie Jin (300), les puits atteignent 100 m, puis 250 m durant la dynastie Tang. La découverte du gaz naturel par le moyen des puits s'effectue parallèlement à l'extraction de l'eau salée durant les dynasties Han et Jin, soit 1300 ans plus tôt qu'en Angleterre ! Le gaz naturel sert alors à faire évaporer la saumure. Le premier trépan en fer, d'un diamètre de 20 cm, est utilisé entre 1041 et 1053 sous la dynastie Song ; il peut forer des puits de plusieurs centaines de mètres.
L'accroissement de la profondeur des puits salés permet d'atteindre la nappe de pétrole dans le "Bassin Rouge" du Sichuan. Ainsi, en 1512, durant la dynastie Ming, le premier puits de pétrole, de plusieurs centaines de mètres de profondeur, est foré à Jiazhou au pied du Mt. Emei. Cette technique intervient plus de 300 ans plus tôt qu'aux USA et en Europe. Pendant les siècles suivants, la technique évolue peu et on continue à habiller les puits par des anneaux de bambou et de bois. Toutefois, entre 1821 et 1850, sous la dynastie Qing, elle permet de forer le premier puits de gaz naturel de 1000 m de profondeur à Ziliujing (Sichuan), ce qui est considérable pour l'époque. (cf. YANG WENHENG, 1983).
b) L'aqueduc de la Daninghe :
En zone karstique de montagne, signalons l'exploitation d'une source salée dans les Daba Shan, au nord de Wuxi (Sichuan oriental). Cette émergence karstique draine un aquifère profond situé dans le Trias plissé à cause du plongement des structures sous le niveau de la vallée. Grâce aux Annales du comté de Wushan, on sait que l'eau salée était exploitée à partir de 245 av. J.-C. sous la dynastie Han.
L'eau était acheminée sur 100 km, le long du profond canyon de la Daninghe, par un "pipeline" en bambou. Au bord du Yangtse, le sel était récupéré après évaporation. Sur le flanc des parois calcaires du canyon, nous avons observé la présence de deux rangées de trous carrés de 15 cm de large qui témoignent de l'ancienne installation de l'aqueduc. Cette conduite a permis de fabriquer une véritable route suspendue à travers les gorges, seul accès direct possible pour atteindre le cours amont de la Daninghe, d'où son rôle stratégique.
Au XVIIème Siècle, sous la dynastie Ming, une rebellion contre le pouvoir central est menée par un chef indigène paysan dénommé Li Zicheng. A la suite des combats et par répression, la route suspendue et le "pipeline" sont détruits par l'armée impériale. (BONAVIA, 1985, p. 61-62).
3. Les grottes à nitrates
Beaucoup de grottes ont été exploitées pour leurs nitrates. Les paysans lessivaient la terre dans de grandes cuvettes maçonnées et recueillaient l'eau de percolation pour la faire évaporer. Les précieux sels recueillis servaient à fabriquer la poudre à canon.
L'invention de la poudre noire, premier explosif connu, a son origine en Chine il y a plus d'un millénaire. Les nombreuses grottes situées dans les provinces subtropicales ont participé depuis cette période à la production du salpêtre ou nitre. Actuellement, les exploitations fonctionnelles sont rares à cause de la concurrence des explosifs chimiques modernes. Citons celle de Daxiaodong ("Grande grotte du nitrate"), dans le comté de Luodian, au sud du Guizhou. L'exploitation de nitrate, pour la poudre et les engrais (?), se situe dans la galerie d'entrée large de 50 m (photo 68).
* La technique d'extraction : Celle-ci n'a pas changé depuis l'origine ; elle nécessite de l'eau pour le lavage et du bois de chauffe pour la précipitation des sels par évaporation. Les remplissages riches en salpêtre ou autres nitrates sont mélangés à l'eau dans une cuve circulaire de trois à quatre mètres de diamètre. A la base, un drain permet à l'eau laiteuse de s'écouler dans une série de petits bassins étagés et chauffés dans lesquels la solution chargée de nitrate est progressivement concentrée par évaporation (photo 68). A la fin, la solution devenue épaisse est écrémée, puis par évaporation totale, on récupère les sels de nitrate. La livre est vendue 1,5 yuan.
* L'invention de la poudre noire : En chinois, le terme huoyao signifie "drogue de feu" ou une "médecine" qui s'enflamme facilement. Rappelons que salpêtre et sulfure, qui entrent dans la composition de la poudre à canon, étaient utilisés dans la pharmacopée chinoise il y a plus de 2000 ans sous la dynastie Han.
Le mélange explosif salpêtre + sulfure + charbon de bois a été découvert avant la fin de la dynastie Tang (618-907) par des pharmaciens-alchimistes chinois. Les proportions du mélange sont indiquées par divers auteurs dès le XIème Siècle, par exemple : 30 liang de salpêtre, 15 liang de sulfure et 5 liang de charbon de bois et divers ingrédients comme l'arsenic et des agents inflammables (1 liang = 50 grammes). Ce mélange, conditionné en ballots, est dénommé yao yan qiu ; il donne une poudre émettant beaucoup de fumée toxique. D'autres savants mélanges existent pour fabriquer le ji li huo qiu (ballot explosif à grenailles) ou le huopao (ballot de poudre incendiaire). Un mélange encore plus dangereux est celui associant salpêtre, sulfure, réalgar (As2S3) et miel.
Le transfert vers l'Occident de l'invention de la poudre s'est d'abord faite par les Perses et les Arabes vers 1225-1248, via l'Inde, puis en Europe par les Espagnols. Parallèlement, les expéditions vers la Mongolie permirent de découvrir l'usage de la poudre. (cf. ZHOU JIAHUA, 1983)
B. MONTAGNES ET GROTTES REFUGES
Au Guizhou comme ailleurs, les montagnes ont servi de refuges. Elles sont principalement peuplées par des populations appartenant aux "minorités ethniques", c'est-à-dire aux peuples Miao et Tujia. Rappelons que 90 % de la population chinoise est d'origine han. Jusqu'à la révolution de 1949, ces populations ont dû résister aux tentatives d'asservissement et d'assimilation des Hans et les pays calcaires, d'accès difficile, leur ont permis de résister et de préserver leur originalité.
En Europe et en Afrique, les grottes n'attirent pas les paysans. Elles servent plutôt de repoussoirs. Antres de démons, de djins (à la rigueur de brigands), elles effraient et l'homme ne s'y aventure guère. Quand il les occupe, cela se limite à la zone d'entrée bien éclairée. En Chine, il en est tout autrement : la grotte fait partie de la vie quotidienne.
1. L'image de la grotte dans les contes populaires chinois
Cette familiarité du paysan chinois avec la grotte explique que cette dernière serve souvent d'élément obligé du décor dans de nombreux contes populaires. Dans le "Pipeau d'or", conte de nationalité Yao, il est question d'une jeune fille enlevée par un dragon et d'une grotte, la "grotte du Dragon", celle qui est dans l'imaginaire de tous les Chinois (fig. 115).
Comme nous l'avons maintes fois constatée, chaque région calcaire possède sa "Longdong" ("grotte du Dragon", ex : Wufeng/Hubei), ou alors sa "Shuanglongdong" ("grotte du Double Dragon", ex : Ziyun/Guizhou) ou mieux sa "Longwangdong" ("grotte du Roi des Dragons", ex : Wuxi/Sichuan), voire sa "Longgongdong" (grotte du "Palais du Dragon", ex : Anshun/Guizhou) et encore sa "Xinlongdong" ("grotte du Nouveau Dragon", ex : Wuxi/Sichuan). Enfin, il y a la fameuse "Tenglongdong" ("grotte du Dragon Volant"), dans le comté de Lichuan (Hubei), actuellement la plus grande grotte connue de Chine avec plus de 39 km de galeries.
Ici, dans le "Pipeau d'Or", la grotte est décrite très sommairement, mais il est question de montagne, de chemin escarpé menant à la grotte, d'eau souterraine profonde, enfin de refuge du dragon : «En arrivant près d'une montagne dénudée, il aperçut un dragon à l'allure féroce qui gardait l'entrée d'une grotte. A côté de lui s'amoncelaient des ossements humains. Il vit aussi une jeune fille vêtue de rouge qui creusait la grotte avec un ciseau.... Yangmeizi continua de jouer tout en se dirigeant vers une pièce d'eau profonde. Le dragon, toujours sous l'emprise de la musique, le suivit et tomba à l'eau...» (adaptation de Xiao Ganniu, 1985)(fig. 115).
Dans le "Bossu et l'Enfant du Bananier", conte de la nationalité miao, il est cette fois question de perle de caverne magique, sorte de spéléothérapie avant l'heure : «Dans la grotte profonde de la montagne orientale, brille une perle. Celui qui avale cette perle retrouve l'usage de ses reins et son dos se redresse. Sur les indications de la jeune femme, l'enfant... entra dans la grotte profonde. Il y vit la perle sertie dans le rocher. Il la décrocha et prit le chemin du retour avec son trésor». (adaptation de Xiao Ganniu, 1985).
2. Une spéléologie utilitaire ancienne
Les paysans miaos sont à l'aise avec leurs cavernes. Ils vont y chercher tout ce qui peut leur être utile (nitrates, plantes, nids) et n'hésitent pas à pénétrer loin sous terre.
* Des spéléologues paysans : A la Gebihe, les paysans miaos ont réalisé dans les années 1980 une dure traversée spéléologique de 4 km, parcourant une série de grands lacs et de petites cascades où il a été difficile de faire passer les lourdes barques. Quant à nos collègues d'expédition chinois, doctes scientifiques s'il en est, ils nous ont toujours épatés par leur tranquille assurance pour escalader les blocs ou traverser les rivières. Et certaines reconnaissances, nous les avons faites accompagnés d'une ribambelle de gamins enthousiastes qui profitaient simplement des avantages de notre éclairage à l'acétylène. Dans de nombreux porches, ce sont les nids d'hirondelles et de pigeons qui ont attiré l'homme. De précaires échafaudages de bambou grimpent à l'assaut de parois vertigineuses et il faut bien du courage pour y grimper ! Cette technique développée dans les karsts tropicaux de l'Asie du SE est remarquablement illustrée dans l'ouvrage "Chasseurs des Ténèbres" de VALLI et SUMMERS (1991) à partir de l'exemple thaïlandais.
* A la recherche de plantes médicinales : Au fond du réseau de la Gebihe, la rivière souterraine aboutit à la base d'un grand puits d'effondrement de 210 à 280 m de profondeur et de 200 m de diamètre (photo 49, p. 158). Ce vaste aven s'ouvre au milieu du petit plateau à buttes vers 1250 m d'altitude. Au fond, nous avons observé d'anciens abris ainsi que des pictogrammes gravés sur la paroi de rive gauche (amont). Les Miaos venaient ici pour chercher des plantes médicinales rares à cause de l'environnement protégé et du microclimat. Le problème posé est de savoir par où ils venaient. L'accès par la rivière souterraine n'est pas impossible, mais aucune tradition orale au village ne permet de le dire. En revanche, un paysan nous a affirmé qu'autrefois on descendait directement par le puits vertigineux de 210 m. En descendant dans l'angle du puits qui paraît le moins difficile (100 m sont verticaux !), nous n'avons observé aucune trace de passage, mais celles-ci ont sans doute disparu. La technique d'échafaudage de bambous et de mats superposés a dû être utilisée comme pour la chasse aux nids d'hirondelles.
3. Les grottes refuges
Les concepts de grotte habitat et de grotte refuge se rejoignent dans l'occupation humaine des milliers de grottes que comptent les karsts subtropicaux de Chine. Les grottes-tunnels, associant plusieurs entrées et accès à la rivière souterraine, sont devenues des lieux propices pour construire de véritables forteresses souterraines.
a) Les grottes forteresses :
Ces bastions naturels étaient pratiquement imprenables à condition de disposer de vivres. La technique de l'enfumage, bien connue dans les karsts méditerranéens, n'était guère possible pour les grandes grottes à plusieurs entrées à cause de la thermoventilation. La plupart ont servi d'habitat temporaire au gré des invasions et des incursions de brigands. Durant la guerre civile, elles furent encore utilisées pour se réfugier, défendre l'accès d'une vallée et cacher des armes. Prenons plusieurs exemples d'aménagement.
* La forteresse de la grotte-tunnel de Luochu : Située en aval du bassin synclinal de Santang (Zhijin/Guizhou), cette courte grotte-tunnel, à plusieurs niveaux, traverse une butte calcaire de 300 m de large. Deux murs, de 1,5 m de large sur 5 m de haut, isolent complètement un tronçon de tunnel sec large de 20 m et long de 50 m jouant le rôle de forteresse (photo 74). Ces remparts sont percés de quelques meutrières et d'une porte massive. La partie intérieure du tunnel mène à un vaste puits d'effondrement donnant accès à la rivière souterraine. En face, la cavité se poursuit et débouche à l'extérieur par un vaste porche de de 30 m de diamètre. Un autre rempart a été construit entre ce porche et l'aven afin de conserver un accès à la rivière souterraine en cas de siège. Si ce mur était franchi, la première forteresse servait de réduit. (chap. 1)
* Les grottes à abris perchés : L'entrée amont de la première grotte-tunnel de la Yijiehe (Secteur de Daxiaocaokou, Zhijin/Guizhou) est située à l'extrémité d'un canyon où se perd la rivière. Le porche mesure 50 m de haut sur 15 m de large. A quelques dizaines de mètres à l'intérieur, encore à la lumière du jour, un abri a été aménagé à plus de 25 m de hauteur sur des banquettes perchées en rive droite et défendues par des murs. Un système de mats de perroquet en bambou permettait d'accéder à cet abri. En cas de guerre ou d'incursions de brigands, l'abri haut perché servait de refuge pratiquement imprenable si le siège ne se poursuivait pas. (chap. 1).
b) Les grottes à habitats permanents :
Les grottes servant d'habitat permanent existent parfois. Au-dessus de la résurgence de la Gebihe, sur le plateau à buttes et pitons, un petit village d'une quinzaine de maisons a été installé sous terre, à l'abri d'une immense voûte, en plein cintre, de 70 m de large sur 35 m de haut (photo 75). La salle est plane, sèche et bien éclairée : un endroit idéal pour installer sa maison à l'abri de la pluie. Cela permet de faire l'économie d'un toit, tout en ayant une maison plus durable qu'à l'extérieur. Tout serait parfait s'il y avait une petite source à proximité. Voulez-vous une preuve du confort de ce site ? Le gouvernement provincial a fait construire un village tout neuf, "moderne", en contrebas de la grotte. Peine perdue, personne ne s'y est installé.
C. LES RESSOURCES TOURISTIQUES ET LA CONSERVATION DU KARST
Comme les régions karstiques sont pauvres, le tourisme karstique est une ressource potentielle non négligeable. En Chine, un tiers des sites touristiques naturels se trouve en région calcaire et dolomitique. La beauté des paysages karstiques de Chine du Sud est légendaire et apparaît sur de nombreuses représentations (tapisseries, dessins, peintures). Mais les karsts chinois ne se limitent pas à ces "forêts de pitons" (Guilin/Guangxi) et ces "forêts de pierre" (Lunan/Yunnan). Il y a la qualité de l'aménagement agraire, vieux de plusieurs millénaires, qui donne une âme aux paysages. Cette richesse naturelle implique une politique de gestion et de protection du milieu qui commence à se développer lentement.
1. Évaluation des ressources
Afin de mettre en valeur les ressources touristiques du karst et d'éviter un développement incontrôlé et préjudiciable, nous devons procéder à une évaluation qualitative et quantitative. Pour cela, il faut tenir compte de deux types de facteurs importants qui permettent de définir s'il y a possibilité ou non d'exploiter ces ressources :
- les facteurs naturels : échelle des cavités, environnement, intérêt scientifique, position des sites etc... ;
- les facteurs sociaux : environnement social, infrastructure routière et hôtelière, etc...
Pour les régions, nous utilisons une méthode classique de regroupement d'informations et d'évaluations. Par contre, pour le classement de l'intérêt des cavités, nous essayons actuellement une méthode mathématique "floue" qui utilise un système de points par facteurs. Ces points sont attribués par des spécialistes de diverses disciplines, par exemple pour définir le concrétionnement, ce qui permet d'avoir une notation la plus sérieuse possible.
Dans le comté montagneux de Wuxi (Sichuan), les potentialités touristiques sont en cours d'étude. Les massifs karstiques, très escarpés, sont coupés par des vallées profondes et des gorges spectaculaires. En rive gauche du Yangtse, la Daninghe emprunte un canyon profond de plus de 1000 m qui est l'un des plus remarquables de Chine (photo 15a, p. 71). La descente touristique des rapides, avec des barques à moteurs, commence à se développer. Mais l'activité est encore suffisamment rustique pour donner aux excursions un caractère d'aventure accentué. L'environnement sauvage de ces vallées, associant la limpidité des eaux, les résurgences en cascades, les nombreux singes évoluant dans les parois, font de la Daninghe une zone de choix à la fois pour le tourisme et la protection de l'environnement.
2. Les grottes aménagées
Il existe plus de 50 cavités ouvertes au public dans l'ensemble de la Chine. Ce chiffre paraît faible au regard de la superficie karstique du pays, mais le total de visiteurs dépasse sans doute plusieurs millions par an et probablement beaucoup plus. Les grottes les plus visitées se situent à proximité de Shanghaï. Dans l'une d'elle, le nombre de visiteurs peut atteindre 40 000 par jour pendant les périodes de vacances.
Ces cavités présentent un éclairage électrique et des sentiers aménagés. La plupart des visites sont guidées. Des trajets en barques sont également possibles dans les rivières souterraines. Suite à la réforme économique de Deng Xiao Ping, de nombreux comtés ont voulu avoir leur grotte touristique. Aussi, beaucoup de grottes connaissent-elles un aménagement sommaire, mais en l'absence de financement elles attendent des jours meilleurs.
La plupart des grottes touristiques se situent dans les provinces subtropicales du SW (Guizhou, Yunnan, Guangxi, Guangdong, Sichuan) et à l'Est autour des métropoles de Shanghaï (Zhejiang) et Beijing (Hebei, région de Beijing, Shandong).
Dans le Guizhou, on connaît cinq cavités aménagées. L'une d'elle, la grotte de Bailong, s'ouvre dans la ville de Guiyang. Toutefois, la plus visitée de la province est la grotte de Longgong près d'Anshun qui mesure 4,5 km de développement. Elle possède une rivière souterraine et un abondant concrétionnement. Dajidong, près de Zhijin, est une grotte fossile de 2,6 km avec de grosses stalagmites de 30 à 40 m de haut. A Tongren, la grotte de Jiulong (1,7 km) renferme une grande salle et des stalagmites géantes de 20 à 40 m de haut.
L'une des grottes touristiques les plus remarquables de Chine est celle de Tianquan. Elle se situe près de Xingwen, dans le Sichuan méridional, non loin de la frontière avec le Yunnan et le Guizhou. Elle se développe dans les Permien sur 3,4 km de long ; elle possède une grande salle et surtout un aven géant de 500 m de diamètre sur 180 m de profondeur provenant de l'effondrement du plafond d'une immense salle.
La grotte aménagée de Yunshui se situe sur le territoire de la municipalité de Beijing, à Fangshan, soit 35 km au SW de la capitale. Elle mesure 570 m de développement et a la particularité de se développer dans les dolomies précambriennes du Sinien. Toujours dans la zone de Pékin, la grotte de Zhoukoudien (ou Choukoutien) s'ouvre dans l'Ordovicien et constitue un gisement paléontologique fameux avec des restes fossiles de mammifères et de Sinanthropus.
3. La conservation de l'environnement karstique
L'Institut du Karst de Guilin (Guangxi) a bien compris les problèmes liés à la gestion et à la conservation de l'environnement karstique dans les régions calcaires du Sud de la Chine. Des articles consacrés à cet aspect sont développés dans la revue "Carsologica Sinica" et dans d'autres publications. Cette problématique va de pair avec celle développée par l'Union Internationale de Spéléologie ("Man's impact in karst") et les divers colloques qui lui ont été dédiés, dont celui de 1990 tenu en Tchécoslovaquie et en Hongrie.
* Villes et karsts : Avec 2 millions d'habitants, l'agglomération de Guiyang (Guizhou) est la plus grande ville de Chine installée directement sur le karst : elle s'étend au fond d'un bassin d'aplanissement et commence à déborder sur les reliefs coniques des environs. L'important développement de la conurbation depuis vingt ans pose le problème de son alimentation en eau et de la protection de son environnement. Les cônes karstiques sont totalement pelés et désormais rongés par les carrières, et les eaux souterraines sont contaminées par les rejets (égoûts et industries). Des mesures sur l'aménagement et la protection sont discutées par LI XINGZHONG (1988).
En retour, le karst impose aussi ses contraintes, notamment pour la construction des batiments. Cet aspect est également bien connu à Guilin (Guangxi), autre grande ville construite sur le karst. Comme ces karsts de bassin sont couverts par des dépôts meubles (alluvions, limons), le pompage des eaux souterraines peut entraîner des affaissements. L'exhaure des mines provoque le même phénomène d'affaissement. Les tirs de mines sont aussi à l'origine d'effondrements dans les rizières comme à Liangwu (Guangxi) (TRICART, 1985, p. 58). Aussi les travaux de génie civil nécessitent-ils de multiples précautions : reconnaissances, sondages et traitements des vides par injection de béton.
* Pollution des eaux et protection des grottes : Nous ne reviendrons pas en détail sur cet aspect qui a été développé dans le chapitre 8 par B. Collignon. Rappelons que cette pollution s'effectue par l'exploitation des nombreuses veines de charbon et surtout par le rejet des égoûts et des effluents industriels dans les rivières et les cavités. On ne voit pas comment résoudre ce problème sans traitement des eaux, ce qui réclamerait d'importants investissements.
La prise de conscience de la protection du milieu souterrain est réelle chez les karstologues chinois. En pratique, la grotte continue d'être pillée pour ses concrétionnements. De nombreux hôtels, dans de petites agglomérations comme dans des grandes villes (ex : Yichang/Hubei), présentent des aménagements (bassins, sculptures) à partir de stalagmites.
L'environnement karstique en Chine du Sud constitue l'un des milieux naturels du globe les plus soumis à la pression démographique en zone rurale, et parfois en zone urbaine (ex : Guiyang). Malgré le développement de l'agriculture en terrasses, l'intense déforestation accentue les crues de mousson d'été comme celles de juillet 1991 qui ont été meurtrières, comme à l'accoutumé, dans le bassin du Yangtse. Le reboisement reste timide en zone karstique et l'écobuage continue à se développer. De plus, les chiffres officiels sur l'évolution de la superficie forestière depuis 1949 ne semblent pas correspondre avec la réalité, et le parc forestier national tend à diminuer plutôt qu'à augmenter comme le souligne WU CHUAN-JUN (1990, p. 448).
L'érosion des sols demeure un problème dans l'ensemble de la Chine, et notamment en Chine du Sud, aussi bien en zone karstique que cristalline (XI CHENG-FAN, 1990). La protection des ressources naturelles et des terres cultivées devient donc un des enjeux majeurs de la Chine en cette fin de vingtième siècle. Des milliers de km2 de terres cultivées vont disparaître chaque année à cause de la pression démographique, de l'extraction du charbon en zone rurale, du développement urbain... Une nouvelle politique agraire devrait voir le jour, mais il faudra du temps pour en mesurer les résultats.
Aujourd'hui, le taux moyen d'ensemencement des zones cultivées est de 151 % pour l'ensemble du pays selon le "cropping index". Il est de 125 à 175 % dans les karsts de plateau du Yunnan et du Guizhou (parfois plus avec deux récoltes de riz par an), et peut atteindre 250 % au sud du Yangtse. Il est inférieur à 100 % au nord de la Grande Muraille en raison du climat plus rude (WU CHUAN-JUN, 1990).
Il existe aussi des disparités régionales inévitables au niveau du développement économique et des investissements. Les provinces karstiques de Chine du Sud sont généralement en croissance lente (Guangxi, Yunnan, Guizhou, Sichuan) à cause d'un cadre socio-économique pauvre longtemps fondé sur une agriculture traditionnelle de montagne. La croissance économique est moyenne dans le Hunan. Seules les provinces de Guangdong (ouverture sur la mer de Chine) et du Hubei (à la sortie des gorges du Yangtse qui est un noeud de communications) connaissent un développement relativement rapide. Les grands karsts de Chine du Sud pourront se développer que si l'on investit dans les voies de communications et le riche potentiel touristique constitué par ses grottes et ses paysages exceptionnels.