Résumé - Abstract - Zusammenfassung -La karstification actuelle est sous le contrôle d'un climat subtropical humide de mousson à saisons contrastées. La couverture forestière très dégradée ne joue plus le rôle de filtre ; les sols, souvent tronqués, sont soumis au soutirage karstique. La dissolution spécifique, avec 40 m3/km2/an, est trois à quatre fois inférieure à celle des karsts équatoriaux hyperhumides (Bornéo, Nouvelle-Guinée). Selon la terminologie chinoise, on distingue deux grands types de reliefs karstiques à pitons et cônes en fonction de la nature des dépressions :
- le karst à fenglin-poljé est caractérisé par une karstification latérale dominante ; il se situe principalement au sud (Guangdong, Guangxi) et correspond à la plateforme carbonatée peu plissée de la "Zone géosynclinale de Chine méridionale" (alt. max. 700-800 m) ;
- Le karst à fenglin-ouvala est caractérisé par une karstification verticale dominante en raison d'une surrection plus importante ; il se situe plus au nord (Yunnan, Guizhou, Hubei...) et appartient à la "Paraplateforme du Yangtse". Celle-ci a été plissée au Jurassique-Crétacé (tectogenèse de Yanshan) et fortement soulevée lors de l'orogenèse himalayenne au Tertiaire. Les plateaux et sommets culminent entre 1200-1500 et 2000-2300 m.
Moins répandu, le karst à qiufeng (buttes arrondies) correspond au "Kuppenkarst". Les karsts à pitons et cônes (fenglin) dépendent de la dissolution en continu sous compresse pédologique acide, de la morphotectonique et des relations avec le niveau de base (rôle de la surrection). Ces reliefs se développent tous dans des calcaires et des calcaires dolomitiques du Paléozoïque supérieur et du Trias où la calcite prédomine sur la dolomite. Les dolomies donnent peu de fenglin.
Les formations rouges du Crétacé-Eocène sont des dépôts détritiques (conglomérats, grès et silts) provenant de l'érosion des sols rouges et des reliefs pendant l'orogenèse de Yanshan. On distingue des formations rouges de bassins intramontagnards et de piémont. La série peut dépasser plusieurs hectomètres à plusieurs milliers de mètres d'épaisseur. Ces anciennes altérites, décapées et sédimentées en aval des géosystèmes, se sont formées notamment à la fin Crétacé ou au début de l'Eocène sur des reliefs peu accusés. L'érosion quaternaire de cette couverture a permis le décapage d'un crypto-karst dont la mise à jour est responsable des "forêts de pierre" (shilin). La morphologie en lapiés de parois acérés est due uniquement à une dissolution météorique postérieure. Le décapage récent des sols, à cause de la déforestation, découvre des lapiés enterrés de plusieurs mètres de profondeur représentant le stade de mise à jour de la "forêt de pierre". Formations rouges et crypto-karsts décapés suggèrent que toute la période crétacée a été caractérisée par une puissante altération des reliefs accompagnée d'une crypto-karstification variable selon la disposition des couches calcaires.
Les reliefs à fenglin sont percés à différents niveaux par des grottes fossiles tronçonnées par l'érosion. Ces cavités étagées correspondent à d'anciennes grottes-tunnels abandonnées par les cours d'eau lors de la surrection tertiaire et quaternaire (tectonique himalayenne). Cette épirogenèse se poursuit aujourd'hui. Dans la zone de la Gebihe (Ziyun/Guizhou), on distingue quatre à cinq niveaux étagés sur 400 m de dénivellation au-dessus de la rivière souterraine actuelle. Des niveaux supérieurs ont disparu par érosion karstique. La superposition de ces tronçons de grottes-tunnels est également attestée par les anciens dépôts fluviatiles perchés (ex : Daxiaocaokou, Zhijin/Guizhou) (chap. 9).
Mots-clés : géomorphologie, karstogenèse, spéléogenèse, dissolution, tectonique, karst à pitons, karst conique, altérite, bassin rouge, crypto-karst, grotte-tunnel, réseau étagé, Chine du Sud.
Les paysages karstiques spectaculaires à pitons et cônes du Sud de la Chine représentent le résultat d'une évolution polygénique qui a commencé lors de l'émersion de la paraplateforme du Yangtse au Jurassique, c'est-à-dire il y a 190 millions d'années environ. Cette karstogenèse complexe ne peut être appréhendée qu'à la lumière de l'étude des processus fonctionnels (ex : dissolution sous couverture d'altérites), de la morphologie régionale (types de modelé, dépôts de piémont) et de la spéléologie (niveaux de galeries, remplissages).
Les données en notre possession permettent d'avoir une idée de l'évolution tertiaire du karst depuis la surrection himalayenne. En revanche, la période jurassico-crétacée, malgré son importance morphogénique considérable, reste très floue.
Hormis les facteurs géologiques, la karstification actuelle est sous le contrôle étroit d'un climat subtropical humide de mousson à saisons contrastées. A cela s'ajoute une couverture forestière très dégradée ne jouant plus le rôle de filtre ; la couverture pédologique, souvent tronquée, est soumise au soutirage karstique. Mais il n'en n'a pas toujours été ainsi, car une bonne partie de la karstification tertiaire s'est effectuée sous couverture pédologique.
La dissolution différentielle entre calcaire et dolomie est bien connue dans les régions froides et tempérées, la cinétique de la dissolution de la dolomite Ca Mg (CO3)2 étant plus lente que celle de la calcite CaCO3. Elle s'exerce de la même façon dans les karsts subtropicaux et tropicaux de Chine du Sud comme l'a montré WENG JINTAO (1984) dans la région de Guilin (Guangxi). Lorsque calcite et dolomite sont mélangées, la dissolution est plus rapide que celle de la dolomite seule. De même, une dolmicrite est beaucoup plus résistante qu'une dolsparite qui est sensible à la désagrégation granulaire (sables dolomitiques).
Dans le Sud du Guizhou, NIE YAOPING (1984) a fait une étude préliminaire sur la solubilité différentielle des différentes roches carbonatées. Il confirme l'importance de la dolomite dans la variation de la vitesse de dissolution. En revanche, la porosité interstitielle ou vacuolaire joue un rôle négligeable dans la circulation des eaux.
On distingue deux types d'altération de la roche : la dissolution directe par l'eau, la dissolution pédogénétique. Cette dernière correspond à l'altération sous couverture de sédiments et d'altérites qui, lorsqu'elle est siliceuse, contribue à une forte crypto-karstification.
Plusieurs échantillons de dolomie cambrienne altérée ont été étudiés sur lame-mince. Les roches ont été prélevées sur la bordure nord-ouest du bassin de Yichang (Hubei) vers 400 m d'altitude au niveau de la paléosurface karstifiée fini-crétacée ; elles montrent au microscope optique des phénomènes d'imprégnation et de recristallisation qui fragilisent la dolomie.
* Yi 489/a : cet échantillon de Cambrien provient de la paroi altérée d'une dépression fossilisée par un remplissage de conglomérat rouge du Crétacé-Eocène. Cette dolsparite/microsparite présente deux types d'altération :
- une infiltration d'hydroxydes de fer dans la masse (grains et solution) ;
- une recristallisation de la dolomie en grands cristaux engrenés de 0,5 à 2 mm de diamètre (photo 52).
* Yi 489/b : cet élément altéré de conglomérat (dolomie), prélevé dans le remplissage de la même dépression, présente une forte imprégnation en hydroxydes de fer. Des silts rouges avec micrograins de quartz sont également en placage.
* Yi 488/a : ce fragment de dolmicrite, prélevé dans la même dépression, est caractérisé par une forte infiltration en hydroxydes (ferranes, grains, jus d'hydroxydes) par les silts rouges siliceux. Le front d'altération a provoqué une recristallisation partielle de la dolmicrite en dolsparite visible en lumière polarisée (photo 51 ).
Le processus d'allitisation des roches schisteuses, riches en alumine et silicates, est largement développé dans le domaine tropical et subtropical humide de Chine du Sud où les précipitations sont supérieures à 1200-1500 mm/an (FELIX-HENNINGSEN et al., 1989). Il est caractérisé par le rapport molaire entre SiO2 et Al2O3 dans la fraction argileuse. Cette allitisation est à l'origine de la plupart des grands profils d'altération avec production d'hydroxydes qui teintent en rouge sols et altérites. C'est le cas de l'altération des schistes ordoviciens de Wufeng (Hubei) (fig. 108, p. 176) ou des schistes siluriens du comté de Wuxi (Sichuan oriental), l'agriculture en terrasses s'effectuant essentiellement sur ces sols rouges et jaunes.
L'oxydation du sulfure de fer (pyrite, FeS2) est un phénomène bien connu puisqu'il produit du gypse (CaSO4, 2H2O). Cette altération a été observée dans les calcaires ordoviciens de la grotte de Longdong dans le Hubei occidental (Wufeng) où elle est l'origine de la désagrégation de la roche et de la genèse de concrétions de gypse : aiguilles, croûtes et stalactites (p. 99). Deux échantillons de roches présentant deux stades d'altération ont été étudiés sur lame-mince :
* LD 510/b (photo 53) : le calcaire ordovicien, à structure microcristalline, est de teinte sombre (inclusions sombres). L'altération du sulfure de fer et la production de gypse produit un gonflement et un éclatement de la roche qui se traduit par des fissures et des filonnets.
* LD 510/c (photo 54) : cet échantillon présente un stade d'altération plus avancé ; la roche est complètement éclatée avec de nombreuses fissures remplies de gypse.
La dissolution spécifique moyenne dans le Guizhou, avec 40 m3/km2/an, est trois à quatre fois inférieure à celle des karsts équatoriaux hyperhumides (Bornéo, Nouvelle-Guinée). JINBIAO et al. (1985) indique une valeur de 48 mm/1000 ans pour le karst du comté de Puding (Guizhou). Ces taux de dissolution semblent typiques pour l'ensemble des karsts subtropicaux de Chine méridionale. (cf. chap. 8).
Dans la dépression du karst à pitons de Guilin (Guangxi), ZHOU SHIYING et al. (1988) ont calculé la dissolution spécifique à partir des paramètres physico-chimiques et climatiques de deux bassins-versants (33 et 7,5 km2 environ). Celle-ci est de 89,68 mm/1000 ans, soit le double des valeurs connues dans le Guizhou.
L'étude géomorphologique traditionnelle, par l'étude des formes du modelé, permet de distinguer les grands types de morphologies (karsts à pitons, à cônes) et les variations régionales induites par différents facteurs. Cette analyse spatiale est à la base de la compréhension de la genèse des karsts subtropicaux et tropicaux de Chine du Sud.
Les karstologues chinois n'ont pas les mêmes critères que les géomorphologues occidentaux car ils associent formes positives et négatives dans leur classification qui est, rappelons-le, descriptive et non génétique ; il n'est donc pas possible de donner des correspondances exactes.
* Quelques définitions succintes :
- Feng : mont (terme général).
- Gufeng : mont karstique isolé en zone tropicale.
- Fengcong : groupe de monts karstiques en zone tropicale.
- Fenglin : paysage de gufeng et fengcong correspondant aux karsts tropicaux à tours, pitons et cônes.
- Qiufeng : karst à buttes arrondies dont le diamètre est plusieurs fois supérieur à la hauteur.
* les types morphologiques :
On peut distinguer d'après SONG LINHUA (1986) et ZHANG DACHANG (in ZHANG SHOUYUE et BARBARY, 1988, p. 16) plusieurs grands types morphologiques de karsts tropicaux ; les mots composés reprennent les termes chinois définis ci-dessus associés à d'autres termes de la terminologie karstique internationale.
Le karst à pitons (Turmkarst ou tower-karst) et cônes (Kegelkarst ou cone-karst) sont donc regroupés sous le vocable général de fenglin.
* Les fenglin-plaine et fenglin-poljé : ils se situent principalement au sud, dans les provinces de Guangdong et du Guangxi, et au sud du Guizhou ; ils correspondent à la plateforme carbonatée peu plissée de la "Zone géosynclinale de Chine méridionale". Cette région ne dépasse guère 700 à 800 m d'altitude. Ce type de karst, le plus représentatif de Chine du Sud, est symbolisé par celui de la région de Guilin qui est l'objet des travaux assidus de l'Institut du Karst de Guilin. La morphologie est caractérisée par des pitons isolés (gufeng) ou des groupes de pitons (fengcong) séparés par des poljés et/ou des plaines fluvio-karstiques. Les pitons peuvent atteindre plusieurs centaines de mètres de dénivellation. Les versants sont très inclinés (70-80°) ou verticaux et recoupent fréquemment d'anciens tronçons de grottes-tunnels. Ce type de paysage est également connu au Vietnam du Nord avec la célèbre baie d'Along (zone en subsidence du delta du Fleuve Rouge).
* Les fenglin-ouvala : Ces paysages sont caractérisés par des groupes de pitons (fengcong), à versants généralement raides, séparés par des dépressions profondes et des vallées sèches. Cette morphologie constitue un stade moins évolué que les fenglin-poljé et fenglin-plaine ; on les rencontre surtout dans le Guizhou comme dans le comté de Ziyun (chap. 1).
Le karst à buttes arrondies (qiufeng), sorte de "Kuppenkarst", est moins répandu ; il se situe plus au nord (Yunnan, Guizhou, Hubei...) et appartient à la "Paraplateforme du Yangtse". Celle-ci a été fortement plissée au Jurassique-Crétacé (tectogenèse de Yanshan) et fortement soulevée lors de l'orogenèse himalayenne. Les plateaux et sommets culminent entre 1200-1500 et 2000-2300 m, d'où l'importance du facteur altitudinal.
Dans les secteurs qui ont été vigoureusement plissés et soulevés au cours du Tertiaire (ex : Hubei occidental, Sichuan oriental), la karstification se traduit par des karsts coniques étagés sur le flanc des anticlinaux. L'observation de terrain comme celle des images satellites (fig. 112) montrent clairement une morphologie de départ en chevron ?creusement fluvio-karstique induit par la pente ?qui s'est transformée en buttes et cônes dissymétriques par l'action de la karstification verticale. Cette évolution récente, essentiellement néogène à quaternaire, a respecté la structure d'ensemble comme nous avons pu le constater dans les comtés de Wuxi (Sichuan, chap. 4) et de Wufeng (Hubei, chap. 5). Ce type de morphologie n'a pu se réaliser que dans un contexte pédologique favorable avec dissolution sous couverture de sols forestiers.
Il existe des reliefs résiduels karstiques ( = mogotes) aussi bien en zone tempérée qu'en zone tropicale. Toutefois, la spécificité morphologique des karsts tropicaux humides est une réalité compte tenu de la fréquence et de l'ampleur des morphologies polygonales à cônes, pitons, tours. La lithologie ne joue pas un rôle discriminant important dans la mesure où ces différents reliefs se développent tous dans des calcaires purs ou dans des calcaires dolomitiques du Paléozoïque supérieur et du Trias où la calcite prédomine sur la dolomite.
* Le rôle du temps : Compte tenu de la longue période de temps ?presque 200 millions d'années ?l'étude géomorphologique permet d'envisager la succession de cycles complets allant du stade de jeunesse au stade de sénilité du karst. Aussi, la genèse du karst chinois est-elle éminemment polygénique, chaque cycle durant plusieurs dizaines de millions d'années. Or ce type d'évolution n'est pas connu dans la plupart des karsts, notamment en Europe et dans le "Karst" dinarique, en raison de la tectonique alpine vigoureuse, de l'âge plus récent des calcaires et des ruptures climatiques. Voilà pourquoi le karst tropical chinois peut être considéré comme un des grands modèles d'évolution karstique comme le soulignait déjà SWEETING (1978, p. 204).
Dans un secteur donné, le passage d'un karst à dolines à un karst à pitons résiduels et plaine d'érosion karstique (fenglin-plaine) nécessite beaucoup de temps (des dizaines de Ma au minimum) et un calme tectonique relatif (lente épirogenèse). A partir d'un potentiel hydraulique donné (dénivellation de l'écoulement en fonction du niveau de base régional), la karstification va s'effectuer d'abord verticalement, puis latéralement.
En l'absence de terrains imperméables, c'est la karstification pure qui domine. Mais il est fréquent que ces régions karstiques soient traversées par de grands cours d'eau allochtones. La plupart du temps, les tronçons de grottes-tunnels perchés au flanc des pitons ont été creusés par des rivières secondaires issues soit des poljés et des reliefs calcaires eux-mêmes, soit de zones imperméables situées au sein des régions karstiques.
* Le rôle majeur de la végétation et des sols : La trame polygonale, déjà soulignée par WILLIAMS (1972) pour les karsts de Nouvelle-Guinée, ne vient pas seulement de la fracturation, mais de la dissolution in situ à cause des précipitations abondantes et d'une couverture pédologique et végétale qui produit des acides humiques et fulviques, et de l'acide carbonique en abondance. Cette action sous "compresse humide acide" joue un rôle majeur en zone tropicale humide comme l'ont souligné NICOD et SALOMON (1990). Elle est à la base du processus de crypto-karstification sous couverture d'altérites, aspect qui sera repris ultérieurement (infra). Cette action importante des composés organiques sur la dissolution des carbonates, complémentaire à celle du CO2, a été démontrée expérimentalement par les pédologues (ROBERT, VENEAU et BERRIER, 1980).
La dissolution sur place favorise donc le creusement des dolines et l'individualisation de reliefs résiduels entre les dépressions. Le creusement fluvio-karstique est donc limité et ne se développe que sur le flanc des plis ou à la faveur d'affleurements de roches imperméables. Tant que le niveau phréatique n'est pas atteint par les dépressions, le stade karstique pur prédomine sur le stade fluvio-karstique comme nous allons le voir.
* Le rôle fondamental de la surrection tertiaire et du niveau de base : Le problème morphologique le plus important posé par les karsts de Chine du Sud est en relation avec l'altitude, c'est-à-dire avec le niveau de base général et régional, et par conséquent avec l'ampleur de la surrection tertiaire. Voilà pourquoi des stades d'évolution aussi différents que les karsts à fenglin-poljé de Guilin et à fenglin-ouvala du Guizhou central peuvent être contemporains.
En effet, plus une région a été portée en altitude, plus la karstification verticale (enfoncement des dépressions) met du temps avant que ne l'emporte la karstification horizontale. Cette dernière se traduit par une forte dissolution latérale au niveau des poljés et des plaines d'érosion, phénomène confirmé par NICOD et SALOMON (1990). Les karsts du Guizhou étant plus hauts en altitude que ceux du Guangxi, il est logique qu'ils présentent un stade morphologique moins évolué. Le creusement vertical est toujours présent comme le prouve les canyons, les grottes-tunnels à rivières turbulentes (rapides, cascades), les ouvalas étagés...
Le "case hardening" (encroûtement travertineux) sur le flanc des pitons et des cônes, quand il existe, pourrait expliquer, selon certains auteurs, la raideur des versants des mogotes. Cette hypothèse fragile ne peut être généralisée, car le recul des pitons et leur verticalité sont dus principalement à la corrosion latérale au niveau de la nappe phréatique dans des calcaires massifs, puis à l'effondrement de pans de parois. Cet aspect est souligné par PHAM KHANG (1991) pour les karsts à pitons qui bordent le delta du Fleuve Rouge au Vietnam du Nord.
Le niveau de base contrôle donc en permanence l'évolution de la karstification. Tant que le fond des dépressions n'atteint pas le niveau de base (nappe phréatique), la karstification verticale domine. Lorsque la karstification latérale l'emporte, il suffit qu'une nouvelle phase de surrection intervienne pour que le relief soit rajeuni. C'est ce qu'a bien montré SONG LINHUA (1986, p. 53) pour le karst de Dushan situé dans le sud du Guizhou où la nouvelle phase de surrection quaternaire ou plio-quaternaire a provoqué un rajeunissement du relief. Dans la genèse du karst à pitons, on peut reconnaître les phases suivantes (fig. 103) :
- Phase 1 : karst à dolines. (A)
- Phase 2 : karst à pitons ou cônes (fenglin-ouvala ) ; les formes positives l'emporte sur les formes négatives. (B)
- Phase 3 : karst à pitons ou groupes de pitons isolés (fenglin-poljé et fenglin-plaine d'érosion) ; la karstification latérale l'emporte. (C)
- Phase 3 bis : karst à pitons rajeuni par une phase de surrection (surcreusement des dépressions et des vallées). (C')
- Phase 4 : karst à plaine d'érosion correspondant à un aplanissement chimique total. (C'')
- Phase 5 : surrection entraînant un nouveau karst à dolines (cf. phase 1). (D)
Ce modèle d'évolution a dû fonctionner plusieurs fois depuis le Jurassique, parfois incomplètement à cause des phases tectoniques de Yanshan (du Jurassique à l'Eocène) et himalayenne (de l'Oligocène au Quaternaire).
* Etat de la surface karstique à la fin du Crétacé : l'explication simple fondée sur l'ampleur de la surrection, valable pour le cycle karstique cénozoïque, n'élude cependant pas la question de départ : quel était l'état de la surface d'aplanissement karstique à la fin du Crétacé et au début du Tertiaire dans les différentes régions de Chine du Sud ? Comme nous le verrons ultérieurement (infra : § III, IV et V), le cycle karstique crétacé s'est terminé par une intense phase d'érosion liée à une crise tectonique (phase Yanshan 3 ? ) responsable du dépôt des grandes formations rouges de bassins.
Les formations rouges des karsts chinois, déposées dans les bassins et sur les piémonts, sont indispensables à envisager car elles constituent un indice important de l'altération au cours du Crétacé, longue période de karstification encore méconnue. Ces séries détritiques et lacustres, bien que très importantes en Chine du Sud, n'ont pas fait l'objet d'études en dehors des sondages effectués pour des travaux appliqués.
Prenons une série de quatre exemples de "bassins rouges" situés dans le Guizhou, le Hubei et le Hunan. Les deux premiers (Huishui/Guizhou et Laifeng/Hubei) sont de petits bassins rouges intramontagnards typiques de quelques dizaines de km2 chacun. Les deux derniers (Yichang/Hubei et Hengyang/Hunan) constituent de grands bassins rouges, de plusieurs centaines à plusieurs milliers de km2, localisés en aval de grandes régions karstiques.
* Le bassin de Huishui (Guizhou) : D'une superficie de 22 km2, le bassin de Huishui se situe à 60 km au sud de Guiyang (comté de Huishui, Guizhou). Il constitue un bon exemple de petit bassin rouge intramontagnard localisé au sein d'un karst à fenglin-ouvala. Plusieurs sondages indiquent une épaisseur supérieure à 100 m (fig. 104).
On distingue au sommet une couche de marnes rouge-pourpre dont l'épaisseur peut atteindre 115 m. Elle renferme un peu de craie et une dizaine de passées gypseuses de 10 à 20 mm d'épaisseur chacune. La granulométrie diminue de la base au sommet. Ces dépôts renferment également des graviers et galets de quartz vers le sommet. La couche inférieure, de nature conglomératique, affleure sur les bordures. Sa puissance peut atteindre 140 m. Les éléments calcaires et dolomitiques (+ quelques silex) mesurent 2 à 20 cm de diamètre. Le ciment est carbonaté. Le classement est variable et la granulométrie diminue de la base au sommet.
D'après la faune, les marnes rouge-pourpre appartiennent au début du Crétacé supérieur (Talicypridea SP., T. Latiovata, Cypria SP., Tangxiell SP.) (d'après SONG SHIXIONG).
* Le bassin de Laifeng (Hubei) : Situé dans le Hubei occidental, le bassin rouge synclinal de Laifeng s'étend sur plusieurs dizaines de km2 vers 400 m d'altitude. Les affleurements montrent, de la base au sommet, des conglomérats, des silts indurés et stratifiés, et des argiles rouges peu consolidées. L'ensemble détritique dépasse 100 m d'épaisseur. La masse des silts rouges lie de vin présente une succession de bancs de 10-15 à 50 cm d'épaisseur et un pendage de l'ordre de 20° sur les bordures.
Au microscope (échantillon LAIF 495) (photo 58), on constate que ces silts sont composés par un entassement de micrograins de quartz, anguleux et blancs, dont la taille varie de 10-30 à 100-200 µm (limons fins et moyens). La matrice argilo-ferrugineuse rouge, inégalement répartie, représente moins de 40 % de la surface de la lame mince d'où une organisation des grains passant d'une distribution monique (entassement) à une distribution porphyrique (fragments noyés dans la matrice). On observe également des grains ferrugineux noirs (50-150 µm) et des éléments de quartz engrenés (microquartzite).
Le premier exemple est le fameux "Bassin Rouge" du Sichuan, d'une superficie de 200 000 km2. Les paléokarsts du Paléozoïque, qui ont joué le rôle de réservoirs à pétrole et gaz naturel, ont été recouverts par des milliers de mètres de sédiments jurassico-crétacés, en particulier des grès, des conglomérats, des "couches rouges" ("Red Beds") et des évaporites. Ces formations continentales et lacustres se sont déposées dans un bassin en subsidence à la suite des différents épisodes liés à la tectonique de Yanshan.
* Le bassin de Yichang (Hubei) : Situé au débouché du grand canyon du Yangtse ("Trois Gorges") vers 100 m d'altitude, le bassin de subsidence de Yichang constitue le piémont proximal du bassin-versant du Yangtse (fig. 113). D'une superficie de plusieurs milliers de km2, celui-ci renferme des conglomérats et des silts rouges sur plusieurs centaines de mètres d'épaisseur. Ces dépôts reposent en discordance sur une surface karstifiée dans les calcaires et dolomies du Paléozoïque vers 400-450 m d'altitude. Ce contact est bien visible au nord de Yichang et à l'ouest de Zhicheng (en allant vers Wufeng) sur les dolomies cambriennes (fig. 106).
Cette série continentale, appelée localement "formation de Donghu", est habituellement datée de la fin du Crétacé et du début de l'Eocène. On distingue sur les bordures des conglomérats et au centre une épaisse formation de silts rouges. Les affleurements de conglomérats les plus hauts ont été observés au nord de Yichang, sur la route menant à la grotte de Jinshidong. Etudions deux coupes typiques et quelques lames minces.
- La coupe 1 (alt. 420 m) (fig. 105) : Elle représente une dépression de 10 m de large et de 3 m de profondeur fossilisée par des poudingues en partie altérés. On observe des galets (0,5 à 20 cm) de pétrographie variée (dolmicrite, calcaires oolithiques, calcaires biodétritiques...) et des sables anguleux. Le ciment pourpre est formé par un plasma d'argiles rouges noyant des micrograins de quartz (30-60 µm) généralement anguleux (photo 59). Quelques pores de dissolution sont remplis par de la calcite sparitique (échantillon Yi 488/a et b). Certains éléments de dolomie sont altérés et infiltrés par les argiles rouges induisant une recristallisation de type sparitique visible en lumière polarisée (échantillon Yi 488/a).
- La coupe 2 (alt. 300 m) : Elle montre une alternance de couches conglomératiques et de silts rouges correspondant à une succession de cyclothèmes épais de 2 m montrant une granulométrie décroissante de la base au sommet : poudingue grossier (galets pugilaires), micropoudingue (graviers, sables), limons rouges. Le passage aux limons rouges est brutal.
Sur l'échantillon Yi 483, le micropoudingue est formé par des graviers (0,5-1 cm) et des sables grossiers (1-2 mm) de pétrographie variée (dolomie, calcaire oolithique, grès, grains de quartz...). Le ciment, peu abondant, est constitué par des argiles rouges et des micrograins de quartz non corrodés, l'ensemble étant consolidé par un plasma ferrugineux carbonaté.
La couche de limons rouges montre une texture microgréseuse : grains de quartz de 50 à 100 µm et grains de limons grossiers/sables fins (calcaire ou dolomie) noyés dans un plasma d'argile rouge (argilanes et hydroxydes noyés dans une boue de calcite microcristalline). On distingue aussi des baguettes fibreuses jaune-vert assez abondantes (amphiboles probables), quelques micas noirs plus ou moins chloritisés et des grains rouge-noir d'origine pédologique.
* Le bassin de Hengyang (Hunan) : Drainé par le Xiang Jiang et le Lei Shui, le bassin de Hengyang, large de 80 km, est formé par un relief de collines façonnées dans des couches de brèches, de marnes et d'argiles pourpres de 2 à 4 km de puissance totale attribuées au Crétacé et au début de l'Eocène. Ces dépôts stratifiés, discordants sur le Paléozoïque, ont été légèrement tectonisés (failles, flexures, plis). Près de Chiutupu, YOUNG, BIEN et LEE (1938) ont observé de la base au sommet (fig. 107) :
- des brèches discordantes sur le Paléozoïque ;
- des argilites pourpres et verdâtres en bancs décimétriques à Ostracodes et Gastéropodes ;
- des brèches intermédiaires ;
- des argilites pourpres à niveaux sableux.
YOUNG et al. (1938, p. 267) ont observé localement des lits carbonatés renfermant des fossiles de vertébrés (crocodiles). Au sud de Chungchiangpu, les mêmes auteurs ont découvert des roches andésitiques gris-vert, à structure en amygdales (cavités remplies de calcite), à l'intérieur des argilites pourpres. La présence de fragments d'argilites dans l'andésite indique qu'il s'agit d'une lave intraformationnelle sans doute en relation avec la dernière (Y3) ou avant-dernière (Y2) phase tectonique de Yanshan.
Les conditions de sédimentation sont typiques de cônes-deltas et de zones lacustres. S'il ne fait pas de doute que la surface karstifiée crétacée à fini-crétacée a été fossilisée sur ses bordures par les formations rouges, on ne peut pas exclure l'action de la crypto-karstification qui a pu modifier cette paléosurface par dissolution et soutirage. C'est le cas de la coupe 1 de Yichang (fig. 105) qui montre une dépression remplie par un poudingue très altéré.
La pétrographie des éléments des poudingues indique à la fois une origine locale et lointaine des matériaux. La présence de graviers de quartz porphyrique ?les seuls affleurements se situent à l'ouest du Sichuan ?prouverait que la vallée du Changjiang (Yangtse) et la zone des gorges ont commencé à se former au Jurassique-Crétacé lors de l'orogenèse polyphasée de Yanshan (WANG NAILANG, 1984, p. 18). Les gorges du Changjiang sont donc des gorges antécédentes typiques qui ont été fortement approfondies au cours de la surrection tertiaire (tectonique himalayenne) entraînant l'épirogenèse de la paraplateforme du Yangtse (fig. 113).
Ces formations rouges, attribuées soit au Crétacé/Crétacé supérieur, soit au début de l'Eocène (ou au deux), sont des dépôts détritiques (conglomérats, grès et silts) provenant de l'érosion des reliefs et du décapage des altérites rouges (sols riches en fer) pendant la dernière grande phase tectonique de Yanshan. Ces anciennes altérites, décapées et sédimentées en aval des géosystèmes, se seraient formées sur des reliefs peu accusés.
Dans le cas du bassin rouge de Yichang, le schéma de l'évolution générale est le suivant :
- au Jurassique-Crétacé : lente et puissante altération-karstification des reliefs karstiques et non karstiques (paraplateforme du Yangtse) sous climat chaud et humide pendant les périodes de quiescence tectonique ;
- au Crétacé : troisième phase tectonique de Yanshan indiquant un décapage des altérites rouges (sols ferralitiques ou ferrugineux), érosion générale des reliefs et sédimentation détritique dans les bassins et sur les piémonts ;
- au Tertiaire (depuis l'Oligo-Miocène) : surrection de la paraplateforme du Yangtse (orogenèse himalayenne), subsidence du bassin de Yichang et alluvionnement ;
- au Quaternaire : poursuite du soulèvement et de l'alluvionnement. Cinq terrasses étagées ont été dénombrées à la sortie des gorges du Yangtse (plusieurs sont également visibles dans les gorges) (WANG NAILANG, 1984 et observations de terrain).
Les sols et dépôts rouges provenant de l'altération des roches non carbonatées (grès, schistes, basaltes) ont une teneur plus ou moins importante en silice qui contribue fortement à la crypto-karstification. Dans l'Eocène rouge du bassin de Lunan (Yunnan), la teneur en silice varie de 14 à 32 %, pour une concentration de 27 à 51 % de Fe2O3 + Al2O3 (ZHANG SHOUYUE, 1984, p. 84). Dans les marnes rouges du bassin de Yichang et de Laifeng (Hubei), les micrograins de quartz visibles sur lame mince représentent un pourcentage de 20 à 35 %, le reste étant constitué de calcite (ciment), d'argile et d'hydroxyde de fer et d'aluminium.
La "forêt de pierre" du comté de Lunan se situe à 2000 m d'altitude et se développe sur 270 km2 dans les calcaires massifs du Permien inférieur (étage Maokou).
La genèse des shilin ou "forêts de pierres" de Lunan est un modèle de genèse crypto-karstique. L'altération des basaltes du Permien supérieur du Yunnan oriental et leur érosion sont à l'origine des dépôts éocènes du large bassin du comté de Lunan. L'érosion quaternaire de cette couverture a permis le décapage d'un karst enterré puisque la dissolution s'est exercée au contact calcaire-altérite. La morphologie en lapiés de parois aux crêtes aigües est due uniquement à une dissolution météorique postérieure.
Si la partie supérieure (jusqu'à 30 m de haut) présente des formes très acérées, il n'en va pas de même pour la base des pinacles qui est généralement affectée de formes douces. Sur les bordures, la "forêt de pierre" s'amenuise et disparaît sous les dépôts rouges éocènes (photo 60).
Le modelé basal arrondi des pinacles, à proximité des altérites, correspond à des poches de dissolution témoignant de la crypto-corrosion ; leur coalescence donne lieu à de pseudo-grottes. Certaines poches sont séparées par quelques centimètres de calcaire altéré ; d'autres sont percées d'une petite lucarne à l'endroit le plus mince. Ces formes sont dégagées par le ravinement qui demeure virulent pendant la saison humide malgré quelques aménagements. La couverture pédologique finit par disparaître sous terre par de petits ponors situés dans les cuvettes. Rongées à leur base, certaines de ces "dents de pierre" ou shiya (= lapiaz) sont mises en porte à faux et finissent par se coucher.
Dans les quatre sites de "forêts de pierres" visités dans l'est du Yunnan et le sud du Guizhou, le pendage est toujours inférieur à 7°. La nature des formations carbonatées ne joue que dans le détail de la morphologie : les formes sont plus arrondies et irrégulières dans les calcaires dolomitiques (photo 61), plus découpées dans les calcaires purs.
La théorie qui suppose la préservation d'une morphologie du type "forêt de pierre" (shilin) par fossilisation par les basaltes permiens ou par les altérites éocènes n'est possible que si le processus de crypto-karstification est absent. Or, le caractère fonctionnel de la "forêt de pierre" de Lunan, avec ses poches de corrosion typiques, prouve qu'il s'agit d'un crypto-karst et non d'une ancienne "forêt de pierre" fossilisée, puis décapée.
Selon CHEN ZHIPING, SONG LINHUA et SWEETING (1986), cette karstification sous couverture aurait débuté à la fin du Tertiaire et se serait surtout développée au cours du Pléistocène.
Le processus de crypto-karstification est également visible à une échelle plus petite sur la bordure de nombreux reliefs (cônes, pitons), notamment en bordure des poljés et plaines d'érosion (ex : bassin de Zhijin/Guizhou) (photo 63). Il en est de même sur les flancs des plis du Sichuan oriental (Wuxi) où les résidus de l'altération des grès jurassiques empâtent les reliefs karstiques. Le décapage récent des sols, à cause de la déforestation, découvre de remarquables crypto-lapiés de plusieurs mètres de profondeur représentant le stade de mise à jour de la "forêt de pierre".
* Distribution : Les sols rouges quaternaires de Chine du Sud recouvrent une superficie de deux millions de km2 entre le cours du Yangtse et la mer de Chine. Sur les reliefs karstiques et non karstiques (substrats silicatés) et dans les secteurs non irrigués, ces sols sont soumis à une forte érosion qui concerne 20 % du territoire de Chine méridionale. Selon la zonalité climatique latitudinale, FELIX-HENNINGSEN et al. (1989) distinguent du sud au nord :
- des sols rouges subtropicaux de type fersiallitiques (P = 1000-1600 mm, T = 18-19°C) ;
- des sols ferrugineux à ferralitiques (P = 1500-2000 m, T = 19-21°C);
- des sols tropicaux ferralitiques typiques (P = 1200-2000 mm, T = 22-27°C).
Avec l'altitude intervient une autre zonalité des sols ; on observe :
- des sols rouges dominants entre 0 et 600 m ;
- des sols jaune-rouge entre 600 et 800 m ;
- des sols jaunes à horizon B goethitique au-dessus de 800 m.
Les sols jaunes et jaune-rougeâtre sont prédominants sur les karsts à fenglin et qiufeng (alt. 600-800 m à 1500 m) du Guizhou et du Hubei.
* Profil-type de sol jaune-rougeâtre du Hubei : Sur le karst de montagne de Wufeng, au-dessus du système souterrain de Dadong (chap. 5), on remarque d'épais profils d'altération sur l'Ordovicien calcaire et schisteux. Dans la coupe de la route, vers 820 m d'altitude, on distingue le profil-type suivant (fig. 108) :
- la roche-mère calcaire à plus de 5 ou 6 m de profondeur (crypto-karst non visible sur cette coupe) ;
- un horizon B inférieur, argileux, brun-rouge foncé (code de couleur Munsell : HUE 3/3 5YR) ;
- un horizon B principal, argileux, jaune-rougeâtre (HUE 5/6 5YR) entre - 4 et - 1 m, avec des éléments rouges de schistes ordoviciens altérés ;
- un horizon A/B de transition, brun-rougeâtre (HUE 5/4 5YR), à structure grumeleuse entre - 1 et - 0,6 m ;
- un horizon racinaire A1 grumeleux, brun, entre - 0,6 et - 0,1 mètre ;
- un horizon A0 organique de 10 cm (plantation de théiers).
La puissance de ce type de profil résulte de l'altération des schistes ordoviciens qui surmontent les calcaires ordoviciens. L'hydrolyse de la roche alumino-silicatée individualise le fer et l'aluminium (altération rouge), ces composés se retrouvant dans l'endokarst à la suite du soutirage de ces altérites (cf. chap. 9, fig. 101, matrice rouge dans la coupe souterraine de Dadong).
Dans les petits bassins intramontagnards, les sols rouges renferment des éléments remaniés de paléoaltérites. C'est le cas du bassin de Zhijin dans le Guizhou. En bordure des pitons, entre les têtes de crypto-lapiés en cours de décapage par l'érosion, on observe des éléments de cuirasse, des quartz bipyramidés, des grains noirs ferrugineux divers issus de l'altération d'anciennes roches gréso-schisteuses aujourd'hui disparues.
L'échantillon ZR 540/5 montre au microscope un exemple typique de cuirasse. On observe des cristaux altérés de sidérite (probable) avec des cloisons résiduelles ; de la silice néoformée apparaît sous deux formes : en plage amorphe ou en mosaïque dans des pores de dissolution.
Les crypto-karsts décapés ou en voie de décapage du Guizhou, du Hubei, du Yunnan, du Guangxi, etc, constituent d'intéressants modèles actuels du fonctionnement morphologique du karst sous couverture d'altérites. D'autres exemples ont été observés au nord du Yangtse comme dans le comté de Wuxi (Sichuan oriental) où les épais profils sont liés également à l'altération de niveaux schisteux. L'érosion des sols, suite à la déforestation et aux pluies violentes de mousson, met à nu des têtes arrondies de crypto-lapiés. Dans des coupes artificielles, tranchées de route notamment, on constate les effets de la corrosion sous altérites et l'infiltration progressive de celles-ci dans les fentes du karst qui s'agrandissent (phénomène classique de rétroaction positive).
Ces multiples observations suggèrent que les périodes jurassique et crétacée, qui ont duré pendant plus de 120 millions d'années, ont été caractérisées par une puissante altération des terrains calcaires et détritiques (grès, schistes) qui a dû s'accompagner d'une karstification importante sous couverture. Cette phase morpho-pédologique du Jurassique-Crétacé est sans doute responsable de la disparition par altération, dissolution et érosion d'une partie importante de la colonne sédimentaire. (infra, VI et chap. 12).
Les forages, les tunnels et les puits de mine ont apporté des indications précieuses sur les paléokarsts, en particulier ceux du Paléozoïque. Inversement, l'étude de ces paléokarsts a beaucoup apporté à la compréhension des gisements minéraux et métallifères du pays.
En Chine, on distingue plusieurs lacunes sédimentaires à l'intérieur du Sinien (850-570 Ma), et entre le Sinien et le Cambrien, phases d'émersion et d'orogenèse qui ont permis la karstification. Ainsi, dans le comté de Kaiyang (Guizhou), un sondage dans les pélites du Cambrien a atteint une surface d'érosion située sur le substratum carbonaté du Sinien. Ce dernier renferme une cavité qui a réclamé plusieurs tonnes de ciment pour la colmater.
En Chine du Nord, l'épaisseur du Sinien est réduit à cause d'une forte érosion au Précambrien. Dans le comté de Xushui (Hebai), les dolomies du Sinien moyen sont recouvertes en discordance par des dépôts ferrugineux du Sinien supérieur. Les formes karstiques fossilisées sont des dépressions de 10 à 20 m de profondeur et de 20 m de large (fig. 109).
Le Protérozoïque supérieur a été suffisamment long et les surfaces concernées suffisamment vastes pour permettre des types de karstification très différents, aussi bien dans des conditions tropicales (ex : ferralites de Xushui/Hebai) que glaciaires ou périglaciaires (ex : varves fluvio-glaciaires du Sinien, Yangtse). Les tillites du Sinien sont largement répandues dans les régions du Yangtse et du Tarim.
La glaciation du Sinien peut se subdiviser en trois périodes dans laquelle la tillite Nantuo est la plus importante. Cette formation se subdivise en trois parties (FAN DELIAN et al., 1989) :
- la tillite inférieure ;
- la formation Datangpo (schistes noirs interglaciaires) ;
- la tillite supérieure(surmontée par des schistes noirs et des niveaux de phosphorite de la formation Doushantuo).
Les schistes noirs représentent une phase anoxique provoquée par la fusion des glaciers et la remontée du niveau marin (environnement océanique mondial anoxique ou OAE/Oceanic Anoxic Event). Anomalie en iridium et OAE sont en alternance et seraient en relation avec des retombées météoritiques et/ou volcaniques.
Le Paléozoïque a connu de très importantes phases de karstification à la suite des orogenèses calédonienne (Paléozoïque inférieur) et varisque (Paléozoïque supérieur).
* La karstification au Paléozoïque inférieur : Les formes paléokarstiques affectant les roches carbonatées de l'Ordovicien sont typiques de l'orogenèse calédonienne sur la paraplateforme de Chine-Corée. Ainsi, dans le Shanxi (gorge du Huanghe), la surface karstifiée de l'Ordovicien moyen est fossilisée par les roches clastiques du Carbonifère moyen (fig. 110). Ce paléokarst est caractérisé par des dépressions (ponors, dolines), des cavités, des altérites et dépôts métallifères (bauxite, argile réfractaire, poches de fer). L'une des plus grandes paléodépressions mesure 60 x 120 m de large et 20 m de profondeur ; elles sont remplies par de la bauxite et des sédiments clastiques. Les cavités proches de la surface ordovicienne sont fossilisées par des sédiments détritiques du Carbonifère.
Dans le Guizhou central, bauxite et fer se sont accumulés sur le sommet des terrains carbonatés du Cambrien et sont recouverts en discordance par les dolomies du Carbonifère moyen. En Chine occidentale, sur la marge nord de la plateforme Talimu, l'Ordovicien moyen carbonaté, épais de 200 m, présente une paléoplaine karstique de dénudation (paléotopographie ondulée) qui a été dégagée en divers points.
Dans le comté de Huanghua (Hebei), à 90 km au sud de Tianjin, un forage profond a recoupé une cavité dans l'Ordovicien calcaire situé à 1000 m sous le niveau marin actuel. L'eau rejetée par artésianisme contenait une grande quantité de fragments de stalactites (YUAN DAOXIAN, 1981, p. 16). Ce type de paléocavité karstique, situé très bas sous le niveau marin actuel, s'explique par les mouvements tectoniques de subsidence.
* La karstification au Paléozoïque supérieur : Les phases karstiques sont nombreuses pendant l'ensemble du cycle hercynien (= varisque). Des paléokarsts ont été découverts entre le Dévonien et le Carbonifère, à la fin du Carbonifère et du Permien. Mais la phase karstique la plus importante se situe entre le Permien inférieur et supérieur au cours de l'épisode tectonique Dongwu. Les indices paléokarstiques du Permien sont largement répandus dans les roches carbonatées de la fin du Permien inférieur du Sud de la Chine : dépôts de bauxite et d'argile réfractaire dans les paléodépressions, cavités jouant le rôle de réservoirs pour le gaz naturel.
D'après les statistiques minières, pour la partie sud du bassin du Sichuan, 25 % environ des forages dans le Permien inférieur (gaz naturel) ont recoupé des cavités (une quarantaine). Dans l'un des puits, à 2900 m de profondeur (soit 2400 m sous le niveau marin), une cavité non colmatée a été recoupée sur 4,5 m de haut. Le forage a ensuite fonctionné en puits artésien (YUAN DAOXIAN, 1981, p. 16). Ces réservoirs de gaz naturel du Sichuan méridional concernent la série Yangxin du Permien inférieur et sont du type cavité-fracture karstique. Ce paléokarst s'est formé à la fin du mouvement épirogénétique Dongwu. Mais ces réservoirs karstiques contiennent également des cavités formées au cours du Tertiaire lors de l'orogenèse himalayenne (HUANG HUALIANG, WU BAOQIN, 1985).
Au Yunnan, dans le secteur de la "forêt de pierre" de Lunan, la paléosurface karstique, dans les calcaires du Permien inférieur, est fossilisée par des basaltes du Permien supérieur. Les calcaires ont été érodés sur 230 m d'épaisseur sur une distance horizontale de 5 km, ce qui reflète la dénivellation du paléorelief. Dans le comté de Luoping (Yunnan), la dénivellation atteint 110 m sur une distance de 400 m.
Les phases de karstification au Mésozoïque se situent au Trias moyen, au Jurassique et au Crétacé. La phase de karstification jurassico-crétacée, de loin la plus longue (-190 à - 67 Ma), a joué un rôle considérable dans l'érosion de la série sédimentaire.
Au Trias moyen, les mouvements liés à la tectonique du cycle indochinois sont à l'origine d'une surface karstifiée qui a été préservée par les sédiments clastiques du Jurassique. Dans le bassin du Sichuan, des cavités fossilisées ont été recoupées par forage à 40 m sous la paléosurface triasique. Quand les terrains détritiques du Trias supérieur ne sont pas complètement érodés, les couches de gypse sont relativement bien conservées. Des brèches de dissolution se sont formées près de la paléosurface karstique quand le gypse a été dissout (ZHANG SHOUYUE, 1989).
Dans le Sud du Hunan, des paléokarsts sont liés à la phase tectonique indosinienne et au début de l'orogenèse de Yanshan. Les dépôts sont piégés dans des fractures, des conduits et des dépressions (uranium, cuivre, plomb, zinc...). Les concentrations d'uranium et de cuivre dans ces dépôts karstiques sont liées à un environnement hydrologique confiné et noyé (LIU LIJUN et al., 1985).
* Rôle de la tectonique de Yanshan : La karstification au Jurassique et au Crétacé est très mal connue. En revanche, on sait que cette partie de la Chine était alors émergée et faisait partie d'un ancien continent sino-australien. Cette très longue période a été caractérisée par le cycle orogénique de Yanshan qui se subdivise en trois phases tectoniques : deux au Jurassique (Y1 et Y2, entre 190 et 137 Ma) et une au Crétacé (Y3, entre 137 et 67 Ma) (LEE, 1989). La dernière a dû se poursuivre à l'Eocène. Ces puissants mouvements, liés à la fermeture de l'ancien océan thétysien, sont responsables en grande partie de la structure plissée que l'on peut observer aujourd'hui ; ils ont été accompagnés par des mouvements de subsidence dans les bassins dès le Jurassique. C'est le cas du bassin du Sichuan qui a servi de réceptacle aux épaisses séries détritiques et lacustres du Jurassique et du Crétacé (grès, couches rouges, évaporites), sur une épaisseur de plusieurs milliers de mètres.
Actuellement, le bassin du Sichuan représente la plus grande région karstique enterrée de Chine du Sud, avec des paléokarsts se développant dans les terrains carbonatés allant du Sinien au Trias. Ceux-ci servent de roches-réservoirs (pétrole, gaz, saumure). Dans le Sud du Hunan, on a vu que des paléokarsts importants du Trias-Jurassique sont liés notamment au début de la tectonique de Yanshan (LIU LIJUN et al., 1985).
Pendant les phases de quiescence tectonique, sans doute fort longues, les terrains carbonatés et non carbonatés de la paraplateforme du Yangtse ont été profondément altérés. Chaque phase tectonique a permis le nettoyage de la couverture d'altérites et l'accumulation des sédiments sur les piémonts. Le processus de crypto-karstification a dû se développer largement pendant des dizaines de millions d'années entre chaque crise tectonique.
Actuellement, les arguments géomorphologiques et géochimiques permettent de penser que cette longue période de 120 millions d'années est responsable de la disparition d'une colonne sédimentaire de 1000 à 2000 m d'épaisseur. Ce qui est logique si l'on considère les phénomènes diagénétiques qui ont conduit, par exemple, à la formation du charbon du Permien par enfouissement (cf. chap. 12). Les relations morphogénétiques entre tectonique et niveau de base sont difficiles à apprécier ; toutefois, compte tenu de la succession des phases tectoniques de Yanshan, on peut supposer que des paysages karstiques à fenglin, qiufeng et shilin du même type qu'aujourd'hui, se sont développés, puis ont totalement disparu par dissolution et érosion. Seule la morphologie karstique fini-crétacée/éocène, fossilisée en bordure des bassins par les conglomérats et formations rouges, constitue un témoignage de la fin de cette période (ex : bordure du bassin de Yichang, fig.106).
* Complexité des cycles d'évolution : Cette succession de cycles morphogénétiques présente, dans le détail, de multiples possibilités d'évolution. Signalons que la problématique du schéma davisien (phases de jeunesse, maturité, sénilité), longtemps rejetée en bloc, reprend une partie de sa pertinence dans la compréhension de l'évolution des karsts chinois depuis 190 millions d'années. Bien entendu, les cas d'espèces doivent être nombreux en fonction des disparités régionales litho-stratigraphiques et structurales, et des conditions de l'altération en fonction du niveau de base, donc de la tectonique.
Par exemple, la présence de terrains imperméables au sein de la série sédimentaire a permis le développement d'un creusement linéaire, puis fluvio-karstique et karstique. A l'inverse, dans une série carbonatée très épaisse, le passage d'un stade de jeunesse et de maturité (karst à dolines et karst polygonal) à un stade de sénilité morphologique (karsts à inselbergs et plaines fluvio-karstiques) s'est sans doute produit plusieurs fois en fonction des phases tectoniques et de l'abaissement corrélatif du niveau de base. Certains de ces aspects sont envisagés notamment par WILLIAMS (1987), TRUDGILL (1985, p. 95) et SONG LINHUA (1986).
Il faut garder à l'esprit que cette évolution morphologique de la paraplateforme du Yangtse au cours du Mésozoïque s'est effectuée dans le cadre complexe de la résorption de l'océan thétysien, avec le rapprochement des domaines eurasien et gondwanien qui va donner naissance, au Tertiaire, au domaine himalayen.
A partir de l'Oligo-Miocène, l'orogenèse himalayenne s'est traduite par un soulèvement d'ensemble. Cette épirogenèse s'est accompagnée d'un abaissement relatif important du niveau de base responsable du creusement des vallées et des canyons, de la formation des cônes, pitons, ouvalas et poljés. La morphologie actuelle à fenglin-ouvala et fenglin-poljé est donc directement héritée de cette phase tertiaire.
Cette évolution cénozoïque du karst s'est effectuée à partir d'une surface karstique d'érosion et d'aplanissement chimique crétacé/éocène consécutive à la dernière phase tectonique de Yanshan. Cette surface s'est développée durant une période de temps inconnue (30 à 40 Ma ?). Elle est visible lorsque celle-ci est exhumée des sédiments détritiques éocènes en bordure des bassins rouges. Ailleurs, elle correspond à la surface passant "en pointillés" au-dessus des pitons. Compte tenu de la vitesse de dissolution actuelle, on peut admettre la disparition de plusieurs centaines de mètres de calcaires depuis l'Oligocène, c'est-à-dire depuis 35 Ma environ. Cette dissolution du calcaire s'est faite de manière très différente spatialement, d'où un paysage à fenglin qui présente des dénivellations de plusieurs centaines de mètres entre le fond des poljés et le sommet des pitons.
Cette dénivellation entre les formes positives et négatives confirme d'une part l'importance de la surrection himalayenne (sans doute plus de 1000 m dans le Guizhou comme le suppose SONG LINHUA, 1986) et d'autre part la valeur de la tranche de calcaire dissoute. Comme cela a été démontré expérimentalement dans d'autres karsts, l'abaissement des interfluves peut être plusieurs fois moins rapide que l'approfondissement des dépressions. La présence de grotte-tunnels perchées, voire démantelées, au sommet des pitons indique toutefois un abaissement important du sommet actuel de la surface résiduelle.
Les grottes-tunnels perchées de quelques dizaines de mètres à plusieurs centaines de mètres au-dessus des fonds de vallées et des poljés marquent les étapes du creusement du karst en fonction du soulèvement. Les grottes les plus hautes pourraient remonter, en première hypothèse, au Miocène. Prenons quelques exemples d'évolution dans le Guizhou avec les modelés et dépôts associés.
Dans le comté de Zhijin (Guizhou), le cours de la Yijiehe donne lieu, lors de la traversée des calcaires triasiques, à une succession de grottes-tunnels actives séparées par des tronçons de vallées aveugles en canyon qui proviennent de l'effondrement du plafond de la galerie (chap. 1, fig. 12). A terme, cette évolution devrait conduire à la formation d'un canyon, long de plusieurs km, dont la genèse sera exclusivement endokarstique.
Tout au long du tracé, des grottes perchées 100 à 200 m au-dessus de la rivière correspondent à l'ancien tracé du système qui devait comporter, lui-aussi, une succession de tronçons souterrains et externes. Dans la coupe de la route qui surplombe le système, des dépôts fluviatiles anciens ont été observés et prélevés. Il s'agit d'alluvions altérées et plus ou moins indurées piégées dans des fissures karstiques de plusieurs mètres de profondeur. Les galets centimétriques sont formés par des éléments permiens et triasiques (échantillon DAX 498/8). D'autres alluvions consolidées ont été observées sur le flanc de l'effondrement de Dacaokou plus de 100 m au-dessus de la rivière (échantillon 498/11a). Pour l'étude micromorphologique, se reporter au chapitre 9 (photo 40).
Dans le comté de Ziyun (Guizhou), le système karstique de la Gebihe traverse un petit massif à fenglin-ouvala . Au niveau de la perte de la rivière, quatre niveaux d'écoulement ont été reconnus :
- le porche actif actuel haut de 120 m ;
- le grand porche, en rive gauche, à + 226 m ;
- le porche de + 350 m ;
- le porche détruit de + 370 m (plancher de galets).
Ces différents conduits, étagés sur près de 400 m de dénivellation, retracent l'histoire de la perte de la Gebihe au cours du Néogène et du Pléistocène en fonction de l'épirogenèse himalayenne (fig. 111) :
* Le porche supérieur plus petit de + 350 m et le plancher alluvial de + 370 m correspondent à des paléoécoulements moins importants (affluents). Au-dessus, une tranche de calcaire de plusieurs centaines de mètres a disparu par dissolution et érosion depuis de début du Tertiaire.
* Le vaste porche de + 226 m correspond à l'ancienne perte de la Gebihe, sans doute au cours du Néogène. L'ancien conduit devait se diriger dans ce qui est aujourd'hui une sorte de canyon dont le plafond s'est effondré.
* Au cours de la surrection plio-quaternaire, l'immense porche d'entrée s'est formé simultanément vers le bas (incison) et vers le haut (effondrement) avant d'atteindre sa voûte d'équilibre actuel. Les voûtes les plus hautes atteignent 150 à 160 m (chap.10, photo 47).
* Un niveau vers + 100 m a été découvert dans la vallée sèche qui mène de la petite perte de Gebong à la grande perte de la Gebihe. Les remplissages fluviatiles consolidés prélevés dans l'une de ces cavités pourraient dater du début de la formation de la grande perte de la Gebihe. La nature pétrographique variée des sables et graviers (calcaire, grès, schiste, grains de cuirasse, éléments siliceux...) indique une alimentation par une rivière allochtone.
Ces différents conduits perchés renferment des dépôts détritiques consolidés (conglomérats fluviatiles, brèches) et des concrétionnements stalagmitiques anciens qui sont en cours d'étude du point de vue micromorphologique. Quelques indications sur la nature des remplissages bréchiques sont donnés dans le chapitre 9 (photo 39).
Les niveaux supérieurs de la Gebihe ont disparu à cause de l'abaissement de plusieurs centaines de mètres de la surface karstique par dissolution. Cette érosion karstique du massif a provoqué des liaisons verticales entre le fond de certaines dépressions et des galeries et salles souterraines, d'où des avens de grandes dimensions comme le puits en escalier de 370 m et l'aven central de 210 m (chap. 10 : fig. 102, photo 49).
Dans le karst à pitons de Chuan Shan (Guilin, Guangxi), des sédiments karstiques ont été étudiés dans quatre niveaux étagés de conduits (BULL, YUAN DAOXIAN, HU MENGYU, 1989). La nature des dépôts ?d'origine éolienne, fluviale et colluviale pour les deux niveaux supérieurs ?suggère un spéléogenèse en grande partie antérieure à la formation du piton selon les auteurs. Toutefois, on peut difficilement comparer l'évolution d'une tour qui ne fait ici que 60 m de haut avec les niveaux de la Gebihe qui s'étagent sur 400 m de dénivellation. Tout dépend de la vitesse de surrection.
Avec le refroidissement du climat et l'apparition de saisons plus contrastées, la végétation et les sols ont subi une alternance de ruptures climatiques. Ces phénomènes sont responsables d'un important soutirage des sols dans l'endokarst (coupe de Dadong, Wufeng/Hubei) (chap. 9, fig. 101). En montagne, au-dessus de 1000-1500 m, des phénomènes périglaciaires sont présents : éboulis, coulée de blocs, glace souterraine de regel (Baiyiping/Wufeng). Signalons que le point sur la géologie du Quaternaire chinois a été fait dans l'ouvrage édité par LIU TUNG-SHENG (1985).
* Eboulis périglaciaires : Dans le Guizhou (comté de Ziyun), nous avons observé une nappe caillouteuse piégée dans le fond d'une vallée menant à la Gebihe vers 900 m d'altitude. Sur la tranchée de la route, on observe sur plusieurs mètres d'épaisseur un ensemble de clastes calcaires anguleux centimétriques (gélifracts) mélangés à une matrice terreuse. Il pourrait s'agir d'un ancien éboulis périglaciaire colonisé par la végétation, puis remanié par le colluvionnement (coulée, solifluxion). D'autres éboulis en place sont connus à la base de l'escarpement de faille de la Gebihe. Compte tenu de l'altitude, de la latitude (26° lat. N) et de l'effet de la continentalité, cette hypothèse est vraisemblable.
* Coulées de blocs : En 1933, LEE (1934) découvre une grande coulée de blocs à matrice argileuse près de Lushan, dans la basse vallée du Yangtse, qu'il confond avec une moraine. Rapidement, l'hypothèse glaciaire est abandonnée en raison de l'absence de morphologie glaciaire et de la basse altitude (BARBOUR, 1934). Il s'agit d'un phénomène de solifluxion dans une région humide (plus de 2000 mm/an).
* Moraines de névé du Hubei occidental : Dans les montagnes du Hubei occidental (comté de Wufeng), vers 30° de latitude nord, nous avons pu observer des phénomènes périglaciaires incontestables. Ainsi, dans la partie orientale du synclinal de Baiyiping (culmen : 2300 m), de la glace de regel était présente dans un amoncellement de blocs le 5/12/89, vers 1750 m, à la base de la grande paroi de calcaires triasiques. Le même jour des "pipkrakes" ont été observés dans les sols noirs humiques vers la même altitude. Remarquons qu'il avait neigé le 26/11/89. Entre les blocs, la température était de 4,6°C. (chap. 5).
Cette nuance climatique périglaciaire, aujourd'hui fonctionnelle en hiver, est à même d'expliquer les remarquables dépôts de blocs hérités et disposés en trois ou quatre arcs successifs entre 1300 et 1500 m d'altitude à la base de la paroi orientale du synclinal perché de Baiyiping. Le bourrelet le plus externe, haut de 100 m, présente une pente de 40° environ avec des brèches climatiques érodées. L'ensemble est en grande partie fixé par la végétation. A la base, une émergence sort à travers les blocs (100 l/s environ) ; l'exutoire vrai pourrait se situer au contact du Permien et du Trias. Si toute morphologie glaciaire véritable est exclue, en revanche l'hypothèse d'une succession de moraines de névé formées pendant les dernières périodes froides du Pléistocène est plausible. Malgré la ressemblance avec un petit glacier rocheux, il n'est pas possible de le prouver. (photo 65).
On serait donc en présence d'un modelé périglaciaire de transition avec le modelé glaciaire, sans doute l'un des plus méridionaux de Chine. L'altitude assez élevée des montagnes et le fort abaissement de la température en hiver expliquent ce phénomène.
Les karsts du Sud et du Centre de la Chine commencent à faire l'objet d'études par télédétection. Dans le NE du Sichuan, par exemple, le traitement des images Landsat-2 a été utilisé pour la prospection du gaz et du pétrole en complément des données géophysiques régionales (RU JINWEN et al., 1985). Ces images permettent de mettre en évidence des structures pièges favorables (fractures majeures, structures annulaires...), comme sur les bords de la grande faille Hechuan-Lichuan où sont localisés de nombreux gisements de gaz naturel.
Dans le Sichuan oriental et l'extrémité SW du Hubei (Lichuan), la simple observation d'une image satellite GEOPIC, en fausses couleurs, permet d'identifier de manière remarquable la morphologie générale du karst et la structure géologique (fig. 112). Les grands anticlinaux à armature calcaire et gréseuse apparaissent clairement par la distribution des chevrons, de forme triangulaire, sur le flanc des plis. Le karst à cônes et pitons de la zone de Lichuan, sur la bordure orientale, est caractérisé par un ensemble plus tabulaire (plis à grand rayon de courbure) dont la structure morphologique est polygonale, avec des variations latérales :
- structure polygonale à mailles lâches sur les zones les plus tabulaires (ex : à l'ouest du poljé de Lichuan) ;
- structure polygonale à mailles serrées sur les zones les plus élevées (culmination axiale) (ex : au nord de Lichuan).
L'analyse diachronique des images Spot (saison sèche/saison humide) devrait permettre d'étudier efficacement les relations entre le karst, la structure géologique, les sols et la végétation.
A Guilin et au laboratoire souterrain de Moulis, des modélisations et des analyses fractales ont été effectuées à partir de l'analyse numérique de la morphologie du karst à piton. Des hypothèses sont émises sur les relations entre la morphologie karstique, ses variations spatiales et la tectonique. (com. orale Alain Mangin).
La télédétection par infra-rouge a été utilisée pour étudier le karst à pitons de la région de Guilin (Guangxi). Cela a permis de mettre clairement en évidence les différences de litho-faciès du Dévonien supérieur. Les fractures et les failles apparaissent, comme d'habitude, par un figuré linéaire "froid" sur l'image infra-rouge nettement plus visible que sur les photos aériennes classiques (RU JINWEN et al., 1984).
Cependant, la photo-interprétation classique conserve toute son utilité. Ainsi, dans le bassin de Qingtang (Ningdu, Jiangxi), un karst couvert par les sédiments quaternaires a pu être "prospecté", dans un premier temps, de cette façon ; des zones de drainage étagées ont été détectées, puis confirmées par l'étude de terrain (FANG QIDONG, 1988).
Cette voie intéressante de la télédétection et des divers traitements associés constitue aujourd'hui un volet complémentaire indispensable à l'étude du karst tropical. On commence à la mettre en oeuvre à l'Institut de Géographie de Bordeaux III (LGPA) et au Centres d'Etudes de Géographie Tropicale du CNRS (traitement d'images Multiscope).
Par leur ampleur, la spécificité des morphologies polygonales à pitons (fenglin) et l'ancienneté de l'évolution, les karsts subtropicaux et tropicaux de Chine méridionale constituent un modèle de karstification tropicale. Rappelons le rôle conjugué des principaux groupe de facteurs :
- litho-dépendance ;
- surrection tectonique et niveau de base ;
- précipitations importantes, végétation et sols ;
- altération et dissolution sous couverture.
Enfin, le facteur temps, le plus important de tous, est le seul à même d'expliquer la succession des cycles de karstification et d'érosion en fonction de la tectonique depuis le Jurassique. Le paysage karstique de Chine du Sud est donc uniquement tertiaire et quaternaire, les modelés datant du Secondaire ayant disparu.
La spécificité de la morphologie karstique tropicale est une réalité que certains continuent pourtant à nier (MANGIN et BAKALOWICZ, 1990). Cette spécificité intervient au niveau de la fréquence des types morphologiques à pitons et cônes (fenglin). Bien visible sur photo aérienne et image satellite, la structure morphologique polygonale est le résultat d'une action continue de la dissolution sous couverture végétale et pédologique. Le débat consistant à quantifier le rôle respectif des processus karstiques pures (dissolution) et fluvio-karstiques (creusement linéaire) ne paraît pas prioritaire car ils sont intimement mêlés à un certain stade de l'évolution.
Si la morphologie polygonale est beaucoup moins répandue dans les zones tempérées, c'est à cause des ruptures climatiques quaternaires et de la succession des phases tectoniques au Cénozoïque. Les karsts à buttes arrondies (Kuppenkarst) des régions tempérées sont hérités du Tertiaire (ex : Basse Provence, Coulmes/Vercors, Périgord) et ont subi des actions périglaciaires au cours du Pléistocène (NICOD et SALOMON, 1990).
Si l'on veut étudier la phase incipiente de formation d'un karst tropical humide, il faut aller là où il se forme actuellement, par exemple dans les montagnes de Nouvelle-Guinée (photo 66). Or, on constate que la karstification est ici sous le contrôle direct, d'une part des facteurs géologiques (calcaires miocènes, surrection plio-quaternaire), d'autre part d'un climat hyperhumide et d'un couvert bio-pédologique remarquable. C'est cette dissolution in situ et en continu, sous compresse humide et acide, qui explique la mise en place du karst polygonal en fonction des diaclases et fractures inhérentes à tout massif calcaire.
La stade fluvio-karstique intervient surtout lorsque la karstification verticale a atteint le niveau phréatique qui peut varier en fonction des stades de surrection. A partir de ce moment, la dissolution latérale se développe ainsi que les cours d'eau générateurs de grottes-tunnels. A ce titre, le karst tropical chinois permet d'avoir une vue d'ensemble de son évolution à condition d'intégrer les karsts à cônes et qiufeng, plus récents, des montagnes du Hubei occidental ou du Sichuan oriental.