website logo

rapdonghe/donchap10.html

Donghe 92 Sommaire

Chapitre 10 : Les sols et les remplissages des poljés montagnards (Enregistreurs de l'environnement holocène et historique)

Simon POMEL

Résumé - Abstract - Zusammenfassung : Les remplissages des poljés montagnards du Hubei sont de remarquables enregistreurs du fonctionnement quaternaire, holocène et historique de l'environnement. Plusieurs exemples de petits poljés du comté de Hefeng sont étudiés : secteur de Yanziping (Datangmi), poljé de Shuishanping (Datiankeng) et poljé de Baishuiba (Xianfeng). Dans le poljé de Datangmi (alt. 1 150 m), le remplissage visible atteint 10 à 25 m de puissance. On observe une série principale de varves beige-marron (parfois à charbons de bois) qui recouvre directement une basse terrasse fluviatile à galets. Au-dessus de Hefeng, le poljé de Datiankeng (alt. 900 m) présente un remplissage du même type. Dans le secteur de Xianfeng, le poljé de Baishuiba montre une remarquable séquence alternée de varves et de terrasses qui jalonnent des périodes d'inondation ou de vidanges en relation avec la mise en valeur récente des versants. Dans les trois cas, la séquence sédimentaire a enregistré en continu le fonctionnement lacustre pendant une période où le poljé s'inondait régulièrement chaque été.
Les séquences des poljés sont mises en relations avec les trois séquences principales étudiées dans les réseaux endokarstiques. Les microséquences laminées ont enregistré de fortes variations saisonnières et dans les taux de sédimentation. Ces ruptures sont pratiquement en phase avec les remplissages souterrains et l'étude micropétrographique permet de préciser les conditions locales de sédimentation et pour la période récente l'impact de l'homme sur les bassins-versants des poljés. On mesure ainsi l'intérêt de l'analyse séquentielle de ces remplissages pour évaluer le rôle respectif du climat et de l'homme dans le fonctionnement hydrologique, l'érosion des sols et la déforestation (présence de charbons de bois). L'étude complémentaire des sols, dans les poljés, les dépressions et sur les flancs des cônes, permet d'apprécier le rôle des remaniements historiques dus aux pratiques agricoles.
Les paléosols sont directement nourris par les altérites des couvertures silicatées et marqués par une forte empreinte des oscillations climatiques quaternaires et l'apparition conjointe de revêtements de fer et de micro-organisations liées au gel. Les apports en limons quartzeux éoliens sont caractéristiques de certains horizons. Les décapages successifs des horizons humifères donnent des catena dans lesquelles dominent les sols jaunes et les sols rouges vers le bas des versants. Les sols plus récents sont surtout marqués par un très faible recyclage de la matière organique et un colluvionnement important. Horizons incendiés, nappes colluviales successives et horizons Ap enterrés caractérisent les profils et témoignent de l'histoire rurale depuis plus de 10 000 ans. Les grands poljés intra-montagnards et leurs bassins-versants sont ainsi de remarquables témoins du fonctionnement des zones refuges durant les périodes de déstabilisation climatique, mais également les nombreuses crises sociales.

Mots-clés : karst, poljé, remplissage, sols, érosion, déforestation, Holocène, histoire rurale, montagne, climat, crise sociale.


Introduction

Les poljés montagnards du Hubei, réceptacles à sédiments, sont des milieux enregistreurs fidèles du fonctionnement quaternaire, holocène et historique de l'environnement. Plusieurs exemples de petits poljés du comté de Hefeng sont ainsi étudiés : secteur de Yanziping (Datangmi), poljé de Shuishanping (Datiankeng) et poljé de Baishuiba (Xianfeng). Les séquences de remplissages des poljés sont mises en relation avec celles étudiées dans les réseaux souterrains.
L'analyse séquentielle de ces dépôts permet d'évaluer le rôle respectif du climat et de l'homme dans le fonctionnement hydrologique, l'érosion des sols et la déforestation. Les charbons de bois, datables par la méthode du carbone 14, constituent des indicateurs importants du rôle de l'homme et des jalons chronologiques. En outre, l'étude des sols permet d'apprécier le rôle des remaniements historiques dus aux pratiques agricoles, les poljés et leurs bassins-versants étant à la fois les témoins des changements climatiques et des crises sociales.

I. Les couvertures végétales et pédologiques récentes

Avant d'étudier des profils de sols et de remplissages de poljés, il est nécessaire de rappeler l'histoire des couvertures végétales et pédologiques de même que les conditions générales de l'évolution morpho-pédologique, en particulier les relations étroites existant entre l'exokarst et l'endokarst.
A. L'histoire des couvertures végétales et pédologiques
- La végétation : Placé dans la zone de balancement actuel du Jet Stream d'hiver, le sud de la Chine centrale appartient à la fois au domaine tropical, au domaine subtropical et au domaine montagnard. Il existe ainsi une association végétale alpine, tempérée et tropicale et une grande mixité édaphique qui est illustrée par les plantes fossiles héritées du Tertiaire, voire du Secondaire (SHI GUANGFU et al., 1988). Dans le Hubei, 200 espèces rares sont encore présentes : Cathaya argyrophylla, Metasquoia, Ginkgo (souvent planté près des temples sous la dynastie Jin (265-420), Cercidiphyllum japonicum var. sinense, Tetracentron, Falsepistache var. sinense, tulipiers, etc.
On observe deux associations végétales de base : les formations à feuillus mixtes, à feuilles caduques et persistantes sur podzols et sols bruns forestiers et les associations à feuilles persistantes sur rendzines et sols violets (GENTELLE, 1974).
- Les types de sols : Dans le sud de la Chine centrale toute la gamme des sols tropicaux et subtropicaux sont présents : sols rouges, sols latéritiques rubéfiés et sols bruns et jaunes. Une catégorie particulière est formée par les sols podzoliques : sols alcalins (korichnevie) jaune sur les anciens lambeaux de forêts caducifoliées et sols podzoliques jaunes et rouges latéritisés sur les lambeaux de forêts de feuillus sempervirents. Ainsi, toute la gamme des sols hérités des périodes plus froides (podzols froids, loess jaunes) ou plus chaudes (podzols tropicaux, ferrallites ou sols ferrugineux) sont interconnectés dans les catena et superposés dans les profils.
Les sols violets typiques du Sichuan sont présents au Hunan et dans les petits bassins montagnards du Hubei. Ils se développent sur les faciès schisteux du Trias dans le coeur évidé des anticlinaux. Ces sols sont neutres et la présence de carbonates a évité leur allitisation. Ils ont souvent été enrichis en phosphates par des amendements et représentent les reliquats des altérites des bassins rouges (chap. 9).
Les sols bruns passent vers le sud à des mosaïques de sols jaunes et rouges normalement très épais, mais très décapés par la pratique ancestrale des brûlis et une érosion et latéritisation galopante. Dans les montagnes karstiques, les sols bruns représentent souvent des restes de sols forestiers, les sols jaunes, soit des podzols tropicaux à goethite, soit des couvertures enrichies par des apports de loess. Les sols rouges sont des paléosols décapés et colluvionnés dans des poches karstiques ou des couvertures rubéfiées in situ.
Les conditions hivernales, donc plus froides, s'accentuent dans les zones montagnardes et les associations végétales à feuilles caduques voisinent avec celles sempervirentes de la zone méridionale (PEZEU-MASSABUAU, 1972). Une différenciation s'opère donc avec l'étagement. La catena type d'altitude en Chine centrale est la suivante :
- entre 400 et 700 m : sols des rizières et sols jaunes sous reliques de forêts de feuillus sempervirents ;
- entre 700 et 1 100 m : sols jaunes podzolisés sous reliques de forêts sempervirentes et caducifoliées ;
- entre 1 100 et 1 900 m : sols jaunes et bruns sous forêts décidues et conifères ;
- entre 1 900 et 3 100 m : sols gris-brun et sols podzoliques sous forêts de conifères.
- au-dessus de 3 100 m : sols de prairie et bambousaie d'altitude. Il ne demeure cependant plus grand chose des forêts originelles, sinon les traces dans l'extension des sols bruns ou des podzols jaunes, respectivement sous forêts de feuillus et sous forêts d'espèces persistantes.
Dans la gamme des 64 grandes catégories de sols étudiés par KOVDA (1960), 16 % sont des sols peu utilisables de montagne, sols tropicaux et subtropicaux et 24,2 % sont des sols de haute montagne. Seuls 5,5% de l'ensemble des sols sont des sols tropicaux très fertiles.
- Le rôle de la pression anthropique : La déforestation active a engendré toute une panoplie de lithosols et d'anthroposols colluvionnés ou amendés, en particulier la classe complexe des luvisols et des sols hydromorphes des rizières. Du fait des décapages permanents des couvertures, l'alluvionnement a toujours été dans la plupart des provinces de Chine un fait majeur et il ne faut pas s'étonner de la complexité des sols d'apports alluviaux et pas seulement dans les plaines (XU JIONGXIN, 1991). On a pu ainsi parler de “couche culturelle” pour certains horizons d'amendements bien connus au Sichuan ou pour les colluvio-anthroposols, sols retenus par des terrasses millénaires.
Dans un pays qui a pris très tôt conscience de l'importance des conditions édaphiques (le Huai Nan Zi date de la dynastie Han), il n'est pas étonnant que le sol soit défini par ses valeurs agronomiques. Dans un ouvrage un peu postérieur, le Xiao Jing Yuan Sheng Qi, les sols sont définis par leur couleur : “les sols jaunes et blancs conviennent aux millets, les sols noirs aux millets glutineux et au blé, les sols rouges aux légumineuses et les sols détrempés au riz” (SHIH SHENG-HAN cité par BUCHANAN, 1973). Au XIVème siècle, un auteur chinois était en mesure d'esquisser une classification des sols : sols noirs (chernozems), blancs (siérozems et sols désertiques), bleus (sols hydromorphes), rouges (sols podzoliques tropicaux) et jaunes (sols des loess). Chaque catégorie était divisée en trois groupes selon la fertilité et chaque groupe comprenait trois types : au total 45 classes de sols (cité par KOVDA, 1960).
L'histoire de la formation des profils se confond ainsi en Chine avec l'histoire culturelle et avant tout, avec l'histoire de la colonisation Han. En raison de la conception que ce peuplement a eu sur la gestion des forêts et leur destruction systématique, le type de sols le plus courant en Chine est, sans jeu de mot, “un Hanthroposol” ! L'abondante poésie et les peintures chinoises sont pleines de mentions et de descriptions fidèles des actions anthropogènes sur les espaces végétaux durant le Moyen-Age chinois.
Durant les dynasties Han et Wei et les Six Dynasties (Ed. Panda Books, 1986), il est fait mention, outre la description des montagnes, des attaques forestières en 62 (sous les Han orientaux), mais aussi des zones sauvegardées et lieux de chasse entre 317 et 420 (sous les Jin orientaux). Au cours de son voyage entre 376 et 396, le poète TAO YUANMING signale des incendies systématiques en 408, la déforestation pour les plantations de riz précoce en 410 (sous les Jin orientaux) et la description du Hunan avec ses espaces forestiers en mosaïques.
Sous les Tang et les Song (Ed. Panda Books, 1990), la Province du Hunan est décrite par le poète LIU ZONGYUAN (773-819) et surtout la région des Monts de pierres. “Nulle part de sols et seuls de minces troncs et des bambous coupés et fermement enracinés (sans doute pour la rétention des sols)”. Les bambous ont en effet peu à peu colonisé les espaces de basse altitude et le poète WANG YUCHENG (945-1001) signale leur exceptionnelle luxuriance et leur utilisation comme chevrons et tuiles de bardeau. Sous le poète OUYANG XIU (1007-1072), dans les provinces de Chu, toujours au Hunan, les hautes chaînes conservent encore des lambeaux forestiers majestueux avec leur ombre, leur fraîcheur et leur parfum. Sous les Song, le poète FAN CHENGDA (1126-1193) rapporte que les montagnes du Guizhou sont déjà coplantées de nombreux arbres fruitiers comme les abricotiers et les arbres à loquats.
Sous les Ming et le début des Qing, POU SONG LI (1622-1715), dans ses descriptions du studio des loisirs et les aventures de Chou (Ed. Sand, 1990), mentionne la province du Hunan et ses espaces totalement colonisés durant la grande conquête démographique du XVIIIème siècle. L'exploitation des terroirs est devenu de plus en plus intense et suivons le poète HAN SHAOGONG (1991) qui reconstitue une époque où : “Avoir du fromage de soja revenait à posséder les merveilles du monde”. “Dans un paysage de montagnes généreuses, il y avait une antique rivière, bleu-vert, ainsi que d'antiques galets de toutes les couleurs. La rivière, disait-on, avait été bordée de forêts opaques autrefois... A une date obscure, l'administration locale avait envoyé des hommes déboiser le long de la rivière, ce qui avait permis de tracer une route domaniale discrète et dérobée...". “Les feux que le dieu du ciel a autrefois allumés, et qui se consument depuis l'Antiquité ; leur flammes ont effrité, desséché les sommets montagneux..."
Les sols surexploités sont devenus très fragiles et sujets aux calamités naturelles : sécheresses et inondations. Par exemple, l'inondation de 1931 a touché 29 % des superficies cultivées du Hubei et 25 % de celles du Hunan, la sécheresse de 1934 touchant respectivement 32 et 53 % des terres. Depuis 1949, l'érosion des sols affecte au total 1,5 millions de km2. 15 000 km2 de forêts sont détruits chaque année et la couverture forestière de la Chine est inférieure à la moyenne mondiale (13 % contre 22 %). Malgré la réhabilitation de 25,1 millions d'hectares de friches entre 1949 et 1986 (LARIVIERE et SIGWALT, 1991), les terres cultivées se sont réduites à 40,7 millions d'hectares avec une diminution de 15,6 millions d'hectares. Le Hubei, “province aux mille lacs”, n'en compte plus que 309 en 1981 ; or les érosions qui découlent de cette déforestation menacent de remplir les lacs qui restent et la déforestation entretient le cycle infernal des calamités naturelles. Les occurrences des calamités ont été respectivement de 124 et de 146 dans le Hubei et le Hunan depuis le XVIème siècle (COCHING CHU cité par GENTELLE, 1974). Pour l'ensemble de la Chine, 275 millions d'hectares ont été touchés par les sécheresses ou les inondations entre 1949 et 1961, les années 1959, 1969 et 1961 étant les plus touchées.
L'abondance des dégâts causés aux sols durant ces périodes ne fait-elle pas penser à une fragilité nouvelle des terres cultivées intensivement et avec peu de précaution à partir du “Grand Bond en Avant” ? (GENTELLE, 1974).
B. Les échanges sols / plantes et les relations entre l'exokarst et l'endokarst
Les sols actuels du Hubei et du Hunan sont surtout soumis à un intense colluvionnement qui caractérise les horizons supérieurs et de très faibles teneurs en matière organique et en particulier l'absence ou la rareté de litière et de pédofaune. La faiblesse du recyclage de la matière organique est le fait d'une modeste couverture végétale : la plupart des espaces mêmes boisés sont exploités et il n'y pas de restitution végétale au sol. De plus, une exploitation de plus de 10 000 ans de ces sols par des systèmes de cultures sur brûlis intensifs a épuisé les potentiels organo-minéraux de nombreux profils.
1. Le fonctionnement pédologique dans l'épikarst
La pCO2 dans l'atmosphère des grottes est très faible pendant la saison froide: vers 0,04-0,05 % et parfois 0,06-0,07 %. Il est certain que les mesures d'été donneraient des chiffres plus conséquents. Cependant il faut noter la faible en teneur en matière organique dans les sols et la faible couverture végétale et pédologique. Les teneurs mesurés dans les horizons supérieurs de Dadong donnent 1,4 % à 25 cm et seulement 0,5 % à 50 cm. De ce fait, le calcaire actif dans les profils est toujours extrêmement faible, respectivement 0,2 et 0,3 % à ces mêmes profondeurs. Dans les remplissages souterrains, on peut faire les mêmes observations.
Le système complexe sols / plantes / hydrosphère / atmosphère régit le fonctionnement du karst. Le fonctionnement du sol est largement dépendant de la capacité de filtration ou du potentiel du karst. Lorsque l'épikarst est très fissuré, il est peu filtrant ; le milieu est oxydant et les sols bien drainés ont souvent des profils rubéfiés avec des néogenèses d'argiles à oxydes métalliques. Au contraire, lorsque l'épikarst est colmaté, il est très filtrant, le milieu se bouche, les particules fines ne migrent pas dans les profils et les sols deviennent hydromorphes : se développent alors quelquefois des horizons vertiques. Toutes les ruptures peuvent à la fois provoquer des soutirages (avec perte en fines) et des remontées oxydantes ou au contraire des bouchages (avec apports en fines) et des remontées de l'hydromorphie dans les profils. Ce dernier cas peut être provoqué par un important colluvionnement. C'est ce jeu complexe qu'il convient de décrypter dans les profils, car il contient l'une des clés de fonctionnement du karst souterrain.
2. Le fonctionnement pédologique exokarst / endokarst
Le fonctionnement du karst est lui-même sous la dépendance du fonctionnement pédologique et des relations sols / plantes. Trois exemples actuels ont été étudiés dans le Hubei-Hunan.
1) Dans le cas d'un couvert végétal forestier mixte à Pinus, Cypressus, Cedrus, Cuninghamia et Cryptomeria et diverses espèces de feuillus, les sols sont caractérisés par une litière, un horizon humifère, un horizon Ae poreux et drainant, avec quelquefois une tendance au lessivage du fait de la circulation des complexes organo-minéraux et des acides organiques (fulviques et humiques). La maturation de la matière organique est relativement rapide et les polysaccharides racinaires sont stables et contribuent à la coagulation des argiles. Dans l'endokarst, on observe une bonne activité du CO2 et une forte condensation. Les eaux à pH acide favorisent un concrétionnement important à faible contamination turbide.
2) Sous couvert végétal de friches à robiniers, épineux, fougères et rudérales, les profils ne montrent pas de litière conséquente, un horizon humifère mince, d'anciens horizons Ap cultivés et des horizons colluvionnés, avec en profondeur des horizons tronqués. Les sols sont peu drainants, la maturation de la matière organique est lente, mais les sucres racinaires sont véhiculés en profondeur avec certaines argiles encore labiles. Dans le karst souterrain l'activité du CO2 est modeste, la condensation faible et du fait d'un pH neutre, le concrétionnement est faible avec une charge solide notable et un développement bactérien consommateur de particules organiques.
3) En zone cultivée, les profils sont très perturbés et caractérisés par l'absence d'horizon humifère, un horizon Ap compacté, des horizons colluvionnés et des altérites tronquées en profondeur et directement en contact avec un crypto-karst en voie d'exhumation. Dans le karst souterrain, l'absence de complexes organo-minéraux stables, la très faible activité du CO2 et la très faible condensation, le pH souvent basique, contribuent à un concrétionnement très faible à absent à très forte charge turbide et surtout à des dépôts limniques.
On voit donc tout l'intérêt d'une étude comparée dans le karst, des profils pédologiques amont et des remplissages aval pour reconstruire l'histoire de l'environnement.

II. Les sols des montagnes du Hubei et du Hunan

Des profils pédologiques et des catena sont étudiés dans les différents comtés. Dans le Hunan, les sols de Sangzhi, en basse montagne, soulignent le rôle des terrasses de cultures et des aménagements bocagers. Dans les comtés du Hubei (Wufeng, Hefeng), beaucoup plus montagneux, de grandes catena montrent le rôle global de la domestication des versants et des poljés, avec une démultiplication des aménagements en mosaïques liés au caractère du karst conique : multiplicité des replats, des vallées sèches, des dolines, des ouvalas et des poljés.
A. Les sols du comté de Sangzhi (Hunan) : une longue histoire des terrasses de cultures et des aménagements bocagers
Au sud de Sangzhi, la région de Jiutiandong est étudié pour l'intérêt des coupes de sols dans l'histoire des paysages agraires et la mise en évidence des périodes de rupture dans l'évolution des profils. En effet, cette zone représente un secteur clé pour la compréhension de l'évolution des sols cultivés, en particulier celui des système de terrasses de culture.
- Deux coupes permettent de préciser les évolutions pédologiques et l'histoire des paysages traitée dans le chapitre 11.
1) A l'entrée de la grotte de Jiutiandong, sur des calcaires à plaquettes du Permien inférieur, la base des profil est nourrie par du matériel argileux rouge d'altération des schistes et de phyllades. Quatre nappes colluviales limoneuses ocres, riches en clastes, marquent des étapes de déforestation des versants. Le profil de 2 à 3 m s'achève par un sol brun-jaune attestant une reconquête forestière.
2) A la sortie du restaurant, la coupe de 3-4 m montre que les nappes colluviales ocres fossilisent les crypto-lapiés et donc qu'elles ne représentent pas les premières étapes de déforestation. Il pourrait s'agir des premières mises en valeur sous les dynasties des Han, avec les conquêtes entre 200 av. J.-C et 200 ap.J.-C. ou lors de la période des Royaumes Combattants. Les terrasses de cultures sont plus récentes dans ce secteur et marquent l'explosion démographique après Mao.
- L'histoire du colluvionnement, résumée sur la coupe schématique levée sur l'ensemble du secteur, montre les relations qui existent entre les sols et leur nourrissage par la vidange des poches karstiques ou le dégagement des altérites des crypto-lapiés. Cette coupe précise les grandes périodes d'évolution des profils en relation avec l'histoire de l'occupation des terroirs.
1) A la base des profils, on observe presque toujours des argiles rouges soutirées et des profils tronqués. Une première nappe de colluvions marrons limoneux et clastiques, avec des évolutions vertiques, représente la première mise en valeur des terroirs qui s'accompagne d'un décapage des lapiés (dégagement des versants) et un ennoyage corrélatif dans les catena aval. Il est difficile de caler cette première mise en valeur, mais elle correspond presque toujours à des formations limoneuses ocres ou marrons de période froide, à une mise en culture de type "ray" avec une pratique des incendies, mais aussi une déforestation avec dessouchage et une certaine intensification des systèmes et donc du peuplement. A titre indicatif, nous la corrélons pour l'instant à la coupe des varves marrons de Dadong, au Tardiglaciaire ou au début de l'Holocène. Ces nappes manquent quelquefois dans les profils du fait du ravinement holocène et les lapiez sont directement en contact avec des nappes limoneuses ocres plus récentes (début de l'ère).
2) La période d'incision suivante est jalonnée par une terrasse grossière qui réentaille toutes les formations et que nous pouvons corréler aux ravinements et au concrétionnement souterrain holocène. Un âge sur stalagmite, dans la cavité de Shuangdong, a donné 14 100 ans (+ 700, - 600), mais elle est probablement holocène en raison d'une contamination en thorium détritique.
3) Un premier aménagement en terrasse, construit en grand appareil, serait en relation avec les grands aménagements durant l'expansion coloniale des populations Han sous la dynastie des Song du sud au XI-XIIIème siècle, période de croissance démographique importante (cf. chap. 11).
4) Il est probable que les aménagements rizicoles et les terrasses pérennes datent du XVIIIème siècle et de l'explosion démographique qui suit la domestication de nouvelles plantes cultivées.
5) Le recrû forestier sur les terroirs en pente, c'est-à-dire sur d'anciennes friches de la grande mise en valeur maoïste, marque depuis 20 ans une tendance à la reconstitution des horizons humifères. Actuellement les sols sont de nouveau menacés par des cultures maraîchères ou de rente sans terrassement (tabac et maïs). Figure 1
B. Les sols de comté de Wufeng (Hubei)
... Une catena géante de 1 000 m et une lente domestication des versants et des poljés
Le comté de Wufeng, très montagneux, est riches en exemples de sols. La catena s'étage sur plus de 1 000 m de dénivellation, depuis la zone de Donghe vers 400 m jusqu'au karst conique d'altitude (alt. 1 200 - 1 500 m), en passant par le grand poljé de vallée de Changleping situé vers 900 m.
1. Morphopédologie à basse altitude et en altitude
- Les catena d'altitude, entre Yuyuan et Wufeng, montrent des sols qui sont largement dépendants de leur position par rapport aux surfaces karstiques et de leur approvisionnement par le décapage des crypto-lapiés lors des épisodes de déstabilisation anthropique. La morphopédologie du secteur est dépendante d'une haute surface de type "bubonique" vers 2 400 m et développée dans les calcaires du Trias. Le contact entre les schistes siluriens et les calcaires dévoniens est observable entre 1 560 et 1 600 m. Les replats, vers 2 000 - 2 200 m, portent des altérites rouges non calcaires (à séricite, chlorite, oxydes de fer et biotite) avec des racines R/C à horizon Bt tronqué de sols ferrallitiques. Lorsque ce crypto-karst est décapé, il donne de spectaculaires champs de lapiés et à l'aval alimente des couvertures pédologiques de sols brun-rouge ou ocre. Après Wantan, à 40 km de Hefeng, on observe des surfaces de crypto-lapiés assez développées vers 1 410 m. Les horizons superficiels sont composés de 1 à 2 m de limons soutirés depuis les poches.
Vers 1 550 m, au changement de comté, dans un secteur de cultures abandonnées avec de nombreux endiguements des radiers colonisés par la végétation, une coupe pédologique de 5 m montre en surface des limons jaunes à horizons incendiés sur des altérites de flyschs. La catena typique dans les flyschs indique à 1 000 m, de l'amont vers l'aval, une association de sols rouges sur altérites, de sols jaunes loessiques et de sols bruns.
- La catena de basse altitude (440-400 m), dans la région de Donghe, est sous la dépendance du soutirage à proximité des canyons et des remblaiements qui se manifestent surtout dans les poljés ou les dolines. Dans la région de Donghe, les sols jaunes occupent les versants, les sols rouges alimentés par les poches karstiques occupent les replats. La rubéfaction dépend étroitement du soutirage. Les coupes montrent vers 440 m, des sols loessiques brun-jaune foncé (10 YR 4/4) ; vers 420 m, des sols jaune-rouge (5 YR 6/6) à horizons vertiques ; vers 400 m, des sols rouge-jaune (5 YR 5/8) colluvionnés avec soutirage.
2. Les sols des karsts coniques de la région de Zisuling entre 1 400 et 1 100 m
- Description des profils : Les profils ont enregistré une gamme de paléopédologies et de ruptures récentes. Vers 1 200 m, la distribution des horizons montre à la base des altérites soutirées dans une poche et fossilisées par une terrasse fluviatile, puis un paléosol brun-rouge. Les trois nappes de limons (brun vif à brun-rouge) sont séparées par des horizons incendiés et enterrés sous des colluvions limoneuses à clastes. Les profils récents sont précisés par une grande catena levée entre 1 400 et 1 200 m sur des calcaires à bancs schisteux de l'Ordovicien. A l'amont, des sols limoneux à nappes colluviales, séparées par plusieurs horizons incendiés, tronquent en profondeur des argiles plastiques rutilantes. A l'aval, on observe des nappes de vertisols avec un ancien horizon violine en profondeur et des sols colluviaux sur les terrasses fluviatiles aménagées.
Trois coupes étudiées entre 1 250 et 1 100 m permettent de préciser l'évolution pédologique :
1) La première coupe, épaisse de 2 m, se situe vers 1 250 m et présente à la base des argiles versicolores qui emballent des blocs de grès rouge, de dolomies altérées, de grès blanc, de Trias et de schistes. On observe les racines d'un paléosol à plinthite avec un horizon Bt tronqué, puis des horizons colluvionnés et l'horizon cultural de 0 à 50 cm.
2) La seconde coupe, placé vers 1 200 m sur la route du village de Zisuling, est constitué par un profil de 2,20 m comparable. A la base, entre 1 m et 1,30 m de profondeur, on distingue des nappes colluviales à vertisol qui tronquent l'horizon à plinthite. Entre 50 cm et 1 m, un paléosol brun à horizon Bt et fentes de dessiccation est enterré sous l'horizon A1 limoneux.
3) La troisième coupe, située sur un aplanissement inter-cônes vers 1 200 m, présente une grande poche karstique qui a piégé un ensemble complet de formations pédologiques. Le profil, épais de 2,10 m, montre :
- de 0 à 10 cm, des mousses et une litière Ao/Ah à horizon racinaire ;
- de 10 à 18 cm, un horizon A1 colluvial brun pâle (10 YR 6/3) ;
- de 18 à 40-50 cm, un horizon limoneux Ae brun-jaune clair (10 YR 6/4) ;
- de 40-50 à 80-90 cm, un paléosol à horizon Ah tronqué brun vif (7,5 YR 5/6) à jaune ;
- de 90-100 à 130 cm, des racines d'altérites rouge (2,5 YR 5/8) à versicolores à la base ;
- de 130 à 200 cm, 2 nappes colluviales intercalées dans les altérites ;
- de 200 à 210-220 cm, des formes de soutirage.
- Interprétation : Le profil de la coupe 3, le plus complet, met en évidence le fonctionnement de soutirage dans la poche karstique pendant une importante période de déstabilisation et de décapage des lapiés. Il atteste ensuite une reconquête végétale forestière avant des apports limoneux. Le colluvionnement supérieur représente la dernière période, sous Mao, avant la friche récente datant de moins de 20 ans. Le premier épisode de soutirage est ancien et contemporain d'une période froide si l'on admet qu'il est partiellement fossilisé par des loess dans la coupe 2. Les loess enrichis en cendres attestent une pratique systématique des incendies sur un espace très défriché. Cet épisode serait corrélable à la coupe des varves marrons de Dadong. La reconquête végétale attestée par le paléosol brun vif pourrait être holocène. Il est délicat de préciser l'âge des nappes colluviales supérieures, sans doute sont-elles contemporaines de l'aménagement des terrasses cyclopéennes (?). Figure 2
3. Les sols du poljé de Changleping entre 900 et 920 m : paléosols, histoire du remblaiement et des terrasses de culture
- Description des coupes : Dans la partie ouest du poljé de Changleping, la catena dans les terrasses aménagées permet d'observer des terrasses cyclopéennes sur les versants du poljé, avec des terrasses fluviatiles grossières perchées qui leur sont antérieures et des terrasses limoneuses qui sont plus ou moins contemporaines.
1) La coupe située vers 910 m, dans ces niveaux anciens, montre sur 6 m le profil suivant : trois horizons culturaux Ap (0-40 cm) ; un horizon Ah enterré (40-80 cm) ; un horizon A loessique (80-100 cm) ; un horizon ferrugineux brun-rouge limoneux (100-200 cm) ; un horizon argileux Bt rouge (200-240 cm) ; un horizon à plinthite (240-300 cm) ; une terrasse fluviatile (300-450 cm) ; les racines d'un paléosol rouge ferrallitique (450-500 cm) et les calcaires cambriens (500-600 cm).
2) Un deuxième niveau de terrasses limoneuses est aménagé en rideaux et levés de terres et porte des sols limoneux sur des paléosols rouges tronqués à la base. Le profil sur 3 m, montre à la base un sol rouge sur replat karstique, puis un paléosol jaune-ocre sur terrasse fluviatile limoneuse, un horizon Ah enterré sur les limons récents.
3) Un troisième niveau d'aménagement, occupé par des rizières, montre au moins trois horizons Ap compactés avec un épandage de boues.
- La domestication des sols du poljé : Ces observations permettent d'établir deux grands épisodes de remblaiement du poljé, dont le premier, très grossier, est bien antérieur à l'Holocène en raison des paléosols. Le second remblaiement, composé de limons marrons et riche en niveaux incendiés, correspond à une importante mobilisation sur des versants déforestés durant une période froide, sans doute le début de l'Holocène ou un peu avant (corrélation avec la coupe des varves marrons de Dadong). Trois grandes périodes dans la domestication des sols du poljé sont enregistrées.
1) La première est très proche de l'important remblaiement limoneux du poljé, puisque certaines terrasses cyclopéennes aménagées dans le remblaiement limoneux principal butent contre des lambeaux du remplissage. Elle est antérieure à certains niveaux de remblaiements plus récents et grossiers s'inscrivant dans une grande incision qui la fossilise et qui a démoli une partie d'entre-eux. Elle pourrait être holocène.
2) Les aménagements suivants sont historiques, mais l'histoire chinoise est longue. Ils représentent des aménagements post-holocènes et s'inscrivent après une incision importante qui a érodé la terrasse limoneuse principale.
3) Les derniers aménagements sont récents (XVIIIème siècle ?).
Trois paléosols sont enterrés. Le premier argileux de type ferrallitique est fossilisé par une terrasse fluviatile ancienne. Le second Bt rouge à plinthite pourrait dater de l'Eemien (?). Le troisième, limoneux et jaune-rouge, est souvent associé à des loess et pourrait caler une période froide au tout début de l'Holocène ou à la fin du Würm. Deux âges U/Th, obtenus sur des concrétions de Dadong, encadrent cette chronologie : 16 300 ans (± 1 100) et 12 600 ans (+ 400, - 300). Les horizons Ah enterrés sont tous postérieurs aux loess. Ils représentent une période probable de déprise du poljé et de développement d'une végétation de ripysylve et de pédogenèse, avec concrétionnement dans les réseaux. Pour mémoire, un âge peu fiable U/Th de 3 700 ans (± 300) a été obtenu sur la stalagmite du Puits de 50 m de Dadong. Cette période serait antérieure aux premiers aménagements rizicoles du poljé. Figure 3
C. Les sols du comté de Hefeng (Hubei)
une mosaïque élaborée sur les versants de vallée, de dolines et de poljés
La région est caractérisée par une mosaïque de sols qui sont sous la dépendance des aménagements de versants des vallées, les rebords de canyons ou des dépressions, dolines ou poljés. Trois secteurs sont étudiés : vallée à l'amont de Donghe (Huohu), bordures du canyon de Donghe et versants du poljé de Shuishanping.
1. Les sols de versants de vallée à l'amont de Donghe
Ce secteur (ou région de Huholu) se situe entre 1 100 et 1 200 m dans la vallée qui alimente la perte géante de Donghe.
- Description des profils : Une coupe en travers de la vallée montre des cônes surbaissés avec culture du thé et du maïs et une mosaïque de friches. Un replat, situé 150 m au-dessus du talweg, et son talus sont aménagés en terrasses de cultures. Les villages sont situés en contrebas, au-dessus du système de terrasses alluviales plus récentes cultivées en riz et légumes. Le radier actuel, à 1 100 m, est endigué.
1) Le profil le plus complet du secteur se situe sur un replat cultivé vers 1 120 m. La coupe, épaisse de 12 m, montre de la base au sommet : un crypto-karst (de 12 à 10 m), des altérites rouge (10 à 8,50 m), une terrasse fluviatile (8,50 à 6 m), un paléosol brun-rouge (6 à 5,50 m), des colluvions limoneuses ocre-marron (4 à 2 m), des limons jaunes (2 à 1 m) et une nappe actuelle (1 à 0 m). On retrouve un profil comparable mais moins épais (4 m) et moins complet, sur le versant opposé dans une zone de friches. La différence est la présence d'un sol brun en surface.
2) A l'amont, on observe une gamme de sols colluviaux cultivés sur poches karstiques ou lapiés couverts. Les profils montrent une nappe colluviale ou un horizon Ap1, intercalé entre le sol fonctionnel et des limons jaunes. Vers 1 200 m, les lapiés sont couverts de 1 à 2 m de sols avec un profil à horizons Ao/Ah et un ancien horizon Ap1 cultural, sur les limons jaunes. Vers 1 115 m, sous une plantation de jeunes théiers et maïs, la partie supérieure du profil est composée de limons jaunes colluvionnés entre 50 et 100-120 cm , surmontés d'une nappe colluviale entre 10 et 50 cm, sous le sol actuel (0-10 cm).
3) Sous des friches boisées, vers 1 115 m, un profil permet de préciser la nature des horizons : horizon Ao/Ah de 0 à 15 cm, brun forestier ; horizon Ap1 jaune enterré (ancien horizon meuble cultivé) de 15 à 20 cm ; horizon Ap2 loessique avec clastes et éléments rubéfiés (ancienne terrasse cultivée) entre 20 et 50 cm ; sol jaune à loess entre 50 cm et 2 m ; des crypto-lapiés entre 2 et 2,50 m de profondeur.
- Interprétation : Les profils étudiés ci-dessus suggèrent l'évolution suivante :
1) une première pédogenèse ferrallitique affecte des altérites sous la haute terrasse quaternaire ;
2) une pédogenèse fersiallitique marque une reconquête végétale sur la terrasse, elle pourrait être antérieure à l'Holocène ;
3) les premières nappes colluviales sont limoneuses et la pédogenèse est fortement influencée par des conditions froides avec des sols loessiques jaunes ; cette période pourrait correspondre au remplissage principal des poljés et aux varves marrons de Dadong ;
4) les traces d'anciennes terrasses cultivées enterrées se retrouvent dans la partie supérieure des profils, ce qui correspond à des aménagements plus récents (Moyen-Age ou XVIIIème siècle) et aux colluvions supérieures à clastes rubéfiées par le feu ;
5) les horizons Ap enterrés représentent la dernière période d'expansion des cultures de pentes (période Mao). L'abandon récent est marqué par des friches et une reconstitution des horizons humifères dans les friches boisées. Actuellement, du fait de la remise en culture de secteur de pentes, heureusement limitée, on observe une reprise de l'incision dans les talweg et des colluvions localisés à l'aval des secteurs cultivés.
2. Les sols des bordures de canyon, région de Donghe II (résurgence et perte)
- A l'amont de la résurgence, entre 990 et 1 100 m, la catena (I) est complexe et sous la dépendance des systèmes de cultures : tabac en alternance avec des parcelles de blé d'hiver sur les ubacs, légumes ou thé sur les adrets, champs de pommes de terre sur les grandes terrasses et radis-raves sur les talus de terre des grandes terrasses ou des radiers aménagés. Le profil d'adret (II), vers 1 000 m, se développe sous des cultures de thé. Il montre sur 80 cm, des colluvions limoneuses plus ou moins clastiques, des limons jaunes et des argiles ocre-rouge. Le profil d'ubac (III), vers 990 m sous culture de maïs, est caractérisé sur 50 cm par un horizon Ah, un horizon A1 clastique, des limons jaunes, une transition avec un sol jaune, un paléosol tronqué à horizon Bt et une cavité recoupée à silts indurés et croûte ferrugineuse sur des crypto-lapiés.
- A l'amont de la perte , entre 1 165 et 1 170 m, les sols sont surtout présents à l'aval des cônes et des chicots sur des replats à altérites et dans les secteurs où les lapiés ne sont pas dégagés. Les champs sont localisés sur des lapiés aménagés. La catena des aménagements (VII) sur les lapiés plus ou moins couverts dans des brèches du Trias, est caractérisée à l'amont par des friches utilisées pour le bois de chauffe (fagots), avec des fougères, des pins, des épineux dont de l'aubépine, des pruniers, des ronciers et différents feuillus (recrû de 10 ans). On observe des pentes cultivées (petits pois), des vallons aménagés avec des cultures de légumes et de pommes de terre, enfin des lapiés aménagés avec différentes cultures de légumes, de maïs, de tabac ou de thé.
Les profils sous friches récentes (20 ans environ) sont différents dans la partie supérieure des sols remis en culture depuis la même époque.
- Sous friches (profil V), vers 1 160 m, on observe sur 3 m, un horizon Ah limoneux, un horizon Ae à limons et colluvions, un horizon Bt à argiles tachetées ocre-rouge sur des brèches du Trias. Un autre profil sur des brèches du Trias, sous friches vers 1 180 m (VIII) montre un horizon Ah plus ou moins humifère, un niveau horizon charbonneux enterré entre 10 et 11 cm, un horizon Ae limoneux ocre colluvial (entre 11 et 40-45 cm), enfin un horizon Bt argileux tacheté ocre-rouge, sur des lapiés couverts de 100 à 150 cm de sol au maximum.
- Sous des cultures de petits pois en bordure des friches, vers 1 160 m (profil VI), les 50 cm supérieurs montrent un horizon Ah/Ap cultivé limoneux et charbonneux, un horizon Ae colluvial limoneux à éléments rouges rubéfiés, un niveau cultivé enterré, enfin des limons et un paléosol jaune enterré avec horizon Ah2 (entre 20 et 40 cm suivant les coupes), trace d'une friche de 20 ans.
Dans un grand lapiaz couvert d'une vallée adjacente, situé vers 1 180 m, il est possible de faire des observations comparables sur la dynamique fentre riches et cultures (maïs et légumes). Les versants en friches montrent les murets d'anciennes terrasses de culture dans une zone alimentée par des éboulements. Sous les friches (profil IX-B) un peu plus récentes (environ 15 ans), l'horizon Ah est compris entre 5 et 8 cm et le profil montre deux horizons Ae1 et Ae2 à colluvions (entre 8 et 50 cm), une terrasse alluviale (50-100 cm) sur des limons (100-150 cm) et des argiles rouges sur crypto-karst (150 à 200-300 cm). Dans un champ de maïs (profil IX A), l'horizon Ah est squelettique sur un horizon Ae jaune (0-100 cm) et un horizon Bt rouge sur crypto-karst (100-200 cm).
- Interprétation : L'ensemble de ces profils permet de répondre à certaines questions et d'esquisser une évolution. Les coupes donnent des indications sur la vitesse de reconstitution de la matière organique et l'efficacité du colluvionnement agricole. Il est compris entre 20 et 40 cm en 20 ans, soit entre 1 et 2 cm par an (profil VI). L'importance du colluvionnement dépend de la pente, du type d'aménagement avec ou sans terrasses, mais aussi de la proximité des poches karstiques qui sont un des fournisseurs de matériaux fins. Ainsi, dans certaines coupes, le colluvionnement en limons des poches peut dépasser 80 cm en 15 ans, soit plus de 5 cm/an (profil IX-A). La vitesse de reconstitution des horizons organiques est voisine de 10 cm en une vingtaine d'année, soit 0,5 cm/an (profil VIII) ou entre 5 et 8 cm en 15 ans, soit entre 0,3 et 0,5 cm/an (profil IX-B). Les profils indiquent une chronologie :
1) Un premier épisode de pédogenèse, brun-rouge à rouge, est antérieur à des nappes épaisses de loess jaune, caractéristiques de climat froid.
2) Les nappes de loess correspondent à un premier grand décapage des lapiés et à la vidange de poches. Cet épisode pourrait dater du début de l'Holocène (corrélation avec la coupe des varves marrons de Dadong ?). Durant cette période la pédogenèse permet le développement des sols jaunes assez frustes et le couvert végétal devait être très dégradé (effet de la déforestation ou du climat ?).
3) Une terrasse alluviale grossière est postérieure au loess et aux colluvions clastiques ou les limons colluvionnés, contemporains de la mise en valeur de la période Mao et du décapage des versants et des lapiez. Comme ce niveau est suspendu de plus d'une dizaine de mètres au-dessus du thalweg actuel, cela suppose ou bien un incision importante du vallon depuis, ou bien un remblaiement plus ou moins contemporain. Ces observations accréditeraient un âge holocène (?) pour cette terrasse fluviatile après le fonctionnement du remblaiement principal.
- Les premiers aménagements de lapiez sont antérieurs à la période Mao et certains pourraient dater du XVIIIème siècle (?).
Figure 4
3. Les sols de versants exposés du poljé de Shuishanping
Sur les bordures du poljé de Shuishanping, deux catena de versants ont été étudiées afin de préciser la part des apports pédologiques dans les remplissages du poljé et de mettre en évidence les ruptures enregistrées dans les profils.
- La catena des versants exposés au nord entre 950 et 750 m : A proximité du rebord du poljé, les sols présentent des profils tronqués sur des poches, avec des nappes colluviales enterrées et des traces d'anciennes terrasses cultivées. Vers 950 m sur le rebord de poljé, sous culture récente, le profil montre à la base des lapiés, puis des argiles rouges à ocre ferrugineuses, un horizon humifère colluvionné qui se termine par un horizon Ap. Le profil vers 1 000 m est comparable, mais plus complet (4 m), avec à la base des lapiés dans le calcaire à plaquettes, un horizon Bt tronqué ocre-rouge argileux (entre 150 et 300 cm), deux nappes colluviales (50-80 à 150 cm), un horizon humifère A2h enterré vers 50-80 cm, un horizon A1 colluvial et un horizon Ao-Ah en surface. Le profil vers 1 040 m avant le col, sous friches et sur lapiés, permet de préciser les horizons supérieurs sur 80 cm : à la base un horizon Ae ocre sur un horizon Bt de paléosol tronqué, puis un horizon A2h (ancien paléosol humifère forestier plus ou moins incendié), un horizon A1 d'une ancienne terrasse de culture avec des éléments rubéfiés, enfin un horizon Ah et un horizon Ao à litière.
Ces profils indiquent que les sols ont d'abord fonctionné sur des altérites qui couvrent des crypto-lapiés. Cette pédogenèse était de type ferrallitique ou fersiallitique. Une première troncature affecte les profils, contemporaine d'apports limoneux ocre-rouge ou de nappes colluviales (2 unités). Succède une pédogenèse brun humifère donnant un horizon A2h enterré sous une troisième nappe colluviale qui représente la terrasse cultivée récente (Mao). La période initiale de troncature des profils pourrait être ancienne (holocène s.l. ?). Il est difficile de donner un âge au paléosol brun humifère enterré. Il s'agit d'une période d'abandon des terroirs et de reconquête végétale historique.
Sur les versants opposés au poljés, les profils présentent une grande catena de 980 à 750 m, avec des profils qui s'épaississent à l'aval de 60 cm à 160 cm et montrent plusieurs nappes colluviales ou d'horizons humifères enterrés :
- Le profil vers 980-970 m, après le col sous friches, montre sur 50 cm : un horizon Ao-Ah1 en surface (0-5 cm), un horizon Ah2 (5-15 cm), un horizon A2(p) polyhédrique dans des limons d'une ancienne terrasse de culture (15-40 cm), enfin un horizon ocre Ae et Bt tronqué en profondeur (40 à 50-60 cm).
- Le profil vers 800 m, sous culture, comprend sur 1 m : un horizon Ap en surface, des colluvions A1 (5-35 cm) et A2 avec Ah enterré (35-55 cm), un horizon Ae limoneux (55-80 cm), enfin un horizon rouge Bt tronqué sur calcaires du Trias.
- Le profil vers 750 m, sous friches, est épais de 160 cm, avec un horizon Ao et une litière, un horizon Ah humifère, un horizon A1 h enterré (20-40 cm), deux horizons Ae1 et Ae2 colluviaux (40-60 cm), un horizon Ae limoneux (60-100 cm), enfin un horizon rouge Bt tronqué (100-140 cm) sur des calcaires à plaquettes (140-160 cm).
Les profils suggèrent une évolution comparable à celle des profils précédents, avec cependant des précisions. Un horizon loessique Ae tronque directement le paléosol inférieur et il indique des conditions froides : c'est une période importante de déstabilisation des versants sous couvert végétal réduit. Le paléosol brun humifère est enterré sous au moins deux nappes colluviales, mais il est quelquefois absent. On observe un horizon polyhédrique A2(p) cultivé, enterré vers 30 cm de profondeur, qui correspond quelquefois aux nappes de colluvions. Les nappes de colluvions sont donc liées à une mise en culture qui démarre ici bien avant la période Mao, sans doute le XVIIIème siècle (?). La vitesse du colluvionnement depuis cette période atteint 40 à 60 cm dans les zones cultivées. La reconstitution des horizons humifères pour la même période est voisine de 40 cm.
- La catena du versants est entre 1 080 et 1 040 m : Sur le versant est du poljé, on observe de l'amont vers l'aval 6 profils :
1) Le profil I sous friches, entre 1040 et 1050 m indique sur 60 cm une succession Ao-Ah, Ap enterré, limons jaunes et Bt enterré sur calcaires.
2) Le profil II vers 1 050 m est plus épais (140 cm). Il montre Ao, Ah1, Ae limoneux, Ah2 et Bt jaune sur calcaires.
3) Le profil III vers 1 040 m a été étudiée sur 130 cm. On observe : un horizon Ah humifère subactuel (0-4 cm) ; une première terrasse cultivée grise fine à charbons de bois (4-32 cm) ; une deuxième terrasse cultivée ocre grossière à charbons de bois (32-58 cm) ; un horizon Bt à argiles limoneuses ocres (58-125 cm).
4) Le profil IV sous friches, vers 1 050 m, présente sur 3 m, Ao, Ah très mince, Ap d'une ancienne terrasse cultivée, Ae limoneux, horizon polyhédrique argilo-limoneux et Bt ocre-jaune sur lapiés.
5) Le profil V sur replat, vers 1 080 m, montre la succession d'un horizon Ao/Ah1 à clastes (0-10 cm), un horizon Ah2 ocre-gris (10-30 cm), un horizon Ap1 enterré ocre-jaune avec des charbons de bois et des particules de sols rubéfiés d'un ancien niveau cultivé (30-35 cm), un horizon Ah3 brun-gris (35-70 cm), un horizon Ap2 ocre-jaune fortement bioturbé avec des éléments rubéfiés rouge d'un ancien niveau cultivé (70-75 à 100 cm) et un horizon Bt ocre-jaune épais (100 à 300 cm) sur crypto-lapiés.
6) Le profil VI, épais de 2 m, vers 2 000 m sur le plateau présente Ah1, Ap1, A2-Ap2 limoneux d'une ancienne terrasse cultivée, Ah2, Ap3 et Bt ocre rouge sur calcaire.
Ces profils mettent en évidence de l'amont à l'aval l'érosion très importante des versants. Le profil I n'a que 50 à 60 cm d'épaisseur totale, alors qu'à l'amont sur le plateau (profils IV et VI) ou dans les dépressions (profil V), les sols sont nettement plus épais. Les rebords du poljé montrent un contrôle ancien des versants avec un aménagement de terrasses enregistré dans le profil III. C'est le cas aussi d'une petite doline très évasée (profil V).
Tous les profils montrent une pédogenèse ancienne avec des horizons Bt tronqués en profondeur, pédogenèse développée sur des limons ocre-jaune épais et qui est attribuable à une période froide et humide (début holocène ?) responsable d'une importante vidange des poches et un décapage des lapiés. Au moins deux terrasses colluviales ou charbonneuses sont enterrées, avec redémarrage de la pédogenèse. La dernière est contemporaine de la période Mao. La première est délicate à corréler (XVIIIème siècle ou plus ancienne ?). Sur les versants exposés, ces premiers aménagements sont tronqués. Le paléosol de la coupe V, développé sur un premier niveau de terrasse cultivée entre 35 et 70 cm, indique une déprise importante qui est antérieure au dernier siècle et dont l'âge n'est pas précisé. L'histoire agraire de la Chine centrale nous réserve encore bien des surprises !
4. Les sols des bordures du poljé de Yanziping (1 220 m)
- Description des profils : Les sols des bordures de poljés aménagés sont très importants pour reconstituer l'histoire des couvertures, surtout s'il s'agit de poljés d'altitude, cas de Yanziping. Deux profils ont été étudiés sur la bordure sud-est du poljé. Les coupes d'un radier aménagé vers 1 220 m permettent d'étudier des coupes naturelles que les paysans ont aidé à rafraîchir.
La première coupe vers 1 220 m, sous culture de pommes de terre en butte associée au maïs, montre un horizon Ah/Ap1 (0-15 cm), un horizon Ae de limons plus ou moins colluvionnés (15-30 cm), des horizons Bv1-2 vertiques (30-50 cm), un horizon ocre-rouge de transition (50-60 cm), un horizon rouge-jaune (60-70 cm), un horizon brun Bv3 foncé vertique (70-80 cm), enfin un horizon Bt rouge (80-90 cm).
La deuxième coupe vers 1 224 m, 4 m au-dessus du radier aménagé, montre sur une épaisseur de 180 cm la présence de 6 horizons : 1) de 0 à 10 cm, un horizon Ap brun foncé (7,5 YR 4/4) ; 2) de 10 à 40 cm, un horizon Ap2, terrasses de cultures et colluvions ravinant des limons inférieurs ; 3) de 40 à 70 cm, un horizon Ae limons colluviaux brun-jaune (10 YR 5/6) ; 4) de 70 à 100 cm, un horizon Bv1 argileux vertique brun foncé (10 YR 4/3) à brun (10 YR 5/3) ; 5) de 100 à 150 cm, un horizon Bv2 argileux vertique brun à jaune-rouge (5 YR 6/6), ancienne terrasse de culture (?) ; 6) de 160 à 180 cm, un horizon Bt à argiles plastiques ocre-rouge à rouge-jaune (5 YR 5/8).
- Interprétation : Les deux coupes permettent de retracer l'évolution suivante de la base au sommet :
1) le développement d'un paléosol fersiallitique sur des altérites de décapage de lapiés est contemporain d'un premier décapage des versants avant la pédogenèse holocène, cette période étant contemporaine d'un concrétionnement dans le réseau de Chushuidong daté U/Th de 6 400 ans (+ 300, - 200) ;
2) les trois terrasses de culture, avec développement de sols bruns vertiques, correspondent à trois périodes historiques de contrôle des versants et de construction de terrasses ;
3) les limons intercalés posent un problème ; s'agit-il de limons colluvionnés et qui attestent un nouveau décapage amont des versants (défrichements du XVIIIème siècle ?) ou bien d'apports turbides liés à l'ennoyage du radier pendant une déprise dans la gestion du système de terrasses aménagées ? Dans les deux cas, il s'agit d'une période importante de fonctionnement antérieure à la période Mao.
4) la terrasse de culture récente sous le sol actuel pourrait représenter la période Mao. Ce niveau est bien représenté par d'épaisses varves à porcelaines et petits charbons de bois datés C14 de moins d'un siècle et antérieur à 1950.
D. Les sols du comté de Xianfeng (Hubei)
une mosaïque sol-végétation et l'influence du pâturage
1. La catena à l'amont de la grotte de Laoxiaodong et le systèmes de culture
Dans le secteur de l'entrée de la grotte de Laoxiaodong, vers 1 140 m, le radier d'alimentation est situé à 705 m avec une incision récente de 1,50 m. Le paysage est actuellement utilisé en mosaïques avec un système de friches en rotation (cultures, friches, bûchage pour les fagots et pâturage sous couvert) de 20 à 30 ans au maximum. Il existe un système de pâtures franche sur pelouse et des cultures de pente (tabac, pomme de terre et surtout maïs) ou de bas de pente dans les surfaces inter-cônes, les ouvalas ou les poljés. Entre les cônes situés en altitude, des zones sont souvent utilisés en rizières pour du riz de pluies ou quelquefois en cultures maraîchères, chose encore assez rare.
Les sols sur calcaires permiens présentent une gamme de colluvions clastiques sous taillis à végétation mixte avec de nombreux feuillus. La catena schématique vers 1 300-1 200 m, montre : à l'amont, sous couvert forestier de feuillus, un sol brun forestier jaune ; sur les versants, un sol brun à colluvions limoneux (profil III) sous friches avec une mosaïque d'exploitation bûchage / pâturage / lapiés ; des lapiés couverts à sol brun-rouge et colluvions clastiques (profil II) ; un vallon remblayé à sol brun et convois clastiques (profil I) ; un ravinement récent (2 à 3 m à l'aval et 1 à 1,50 m à l'amont - profil I) ; des mégalapiés et des poches karstiques (profil IV).
2.Les profils
Quatre profils précisent les relations sol-végétation. Sous pelouse rase pâturée à l'entrée de la grotte, on observe la séquence (I) suivante épaisse de 50 cm : horizon compacté, horizon Ah1 à colluvions clastiques de roches permiennes, horizons Ae/Ah2, horizons moins clastiques, peu humifères et limoneux. Au niveau du radier supérieur de l'entrée de la grotte, une coupe naturelle (II) de 285 cm présente :
. 0-20 cm, un horizon Ah1 humifère superficiel et mousses, brun-gris très foncé (2,5 Y 3/2) ;
. 20-40 cm, un horizon Ah2 brun foncé (7,5 YR 4/4), transition avec des colluvions Ah1 et Ah2 ;
. 40-50 cm, un horizon argileux ± humifère brun foncé (10 YR 4/3) ;
. 50- 250 cm, des argiles ocres à blocaux et clastes, horizon très argileux dans la partie inférieure, avec une transition plus humifère entre 250 et 255 cm ;
. 255-280 cm, une nappe argileuse moyenne ± ocre ;
. 280-285 cm, une nappe argileuse inférieure au contact avec les calcaires du Permien.
Le profil III, épais de 1 m, est situé entre 1 160 et 1 200 m, sous couvert forestier (Pinus, Castanus, ronciers, aubépine, sapins, Cryptomeria, rares Cuninghamia et pelouse, zone de pâturage de bovins et d'ébranchage). On observe une litière Ao avec aiguilles de Pinus, un horizon Ah-A1 humifère plus ou moins clastique, brun-gris très foncé (2,5 Y 3/2), des limons argileux jaune à clastes et une transition avec un horizon ocre argilo-limoneux et quelquefois clastique (éléments de roche permienne), des argiles limoneuses ocre à brun vif (7,5 YR 5/6), des argiles ocre-rouge issue d'une poche dans des calcaires de la base du Permien inférieur (contact entre Permien calcaire et Permien détritique).
Situé sous une forêt de recrû de 20 ans à résineux (ancienne zone de bûchage et de pâture), près des lapiés à l'amont de la grotte (abandon de l'exploitation des nitrates), le profil IV sur 40 cm montre une succession d'horizons Ao (litière et mousses), Ah charbonneux, A1 colluvial, A2 brun limoneux, A3 brun vif argilo-limoneux et Bt rouge tronqué sur calcaire détritique altéré.
3. Interprétation
Les horizons pédologiques, sur 80 cm à 1 m, indiquent une succession complexe d'horizons : Ah1 incendié, brun-gris très foncé (2,5 Y 3/2), Ah2 brun foncé (7,5 YR 4/4), A2 colluvial brun foncé (10 YR 4/3), A3 colluvial, Ae limoneux plus ou moins clastique jaune à brun vif (7,5 YR 5/6), Bt argileux brun-rouge sur niveaux argileux des poches. Les nappes argileuses de la base des profils marquent le fonctionnement de plusieurs étapes de soutirage des poches.
Une première phase de décapage des lapiés et un nettoyage sur les versants est marquée par des apports en clastes gris-noir du Permien. Il s'agit sans doute d'une période de déforestation, peut-être au début de l'Holocène en raison de l'incorporation des loess dans les horizons. Il est probable qu'au début de la phase initiale de décapage des sols à l'amont des versants, les altérites aient été mobilisées et incorporées aux profils. Cependant les profils observées sont très limoneux et souvent assez humifères, preuve d'une reconquête végétale plus récente. Une reconquête végétale sur ces colluvions clastiques a permis le développement de nouveaux profils avant une incision récente. Les trois nappes colluviales supérieures sont autant de période de crises des versants antérieures à la déstabilisation de la période maoïste.
III . Les remplissages de poljés : enregistreur des crises sociales et climatiques
Les grands poljés d'altitude, caractéristiques des karsts de Chine centrale, est une zone clé pour l'étude des paléoclimats et la naissance de l'agriculture. Remarquables pièges à sédiments, ils ont enregistré les périodes d'érosion des sols, avec bouchage des réseaux, inondation et décantation et les périodes d'incision et de vidange. Ils renseignent sur la dynamique des versants et sur le fonctionnement du karst souterrain : ce sont en effet les relais de stockage des matériaux entre les sols et les remplissages endokarstiques. Ces différentes périodes sont enregistrés par des cycles de varves d'inondation-décantation ou des terrasses d'érosion.
Comme les poljés fonctionnent en régime fluvio-karstique, avec des bassins-versants bien délimités, il est possible d'évaluer des volumes et des taux de sédimentation. Ils représentent ainsi des sédimentomètres et des impluviomètres en relation avec les crises climatiques et sociales. Quatre poljés ont été bien étudiés, dont deux du comté de Hefeng sont retenus ici :
1) Datangmi pour sa connexion avec le grand réseau souterrain de Yanziping, sa morphologie bien délimitée qui a permis le calculs de volumes de remplissages, l'épaisseur de ses dépôts (plus de 30 m) et l'intérêt des lamines saisonnières d'inondation ;
2) Shuishanping, connecté au réseau de Datiankeng, pour les emboîtements de dépôts caractéristiques de belles coupes naturelles (24 m).
A. L'exemple du poljé de Datangmi (Hefeng, Hubei)
Le poljé de Datangmi appartient à un grand chapelet de dépressions karstiques et de poljés (Qinghu, Zhongmi, Datangmi, Yanziping, etc.) axés sur le synclinal de Yanziping-Hefeng. Le poljé est traversé par la rivière de Datanghe depuis la résurgence de Chushuidong jusqu'à la perte de Mishuidong.
1. Description des coupes
Le poljé est entaillé dans les calcaires bréchoïdes du Trias altéré en sidérite (lame 39/B). Sa morphologie montre une forme lobée de 1 230 m environ dans son grand axe et une surface d'environ 49 ha. Un levé topographique a permis de préciser quelques cotes d'altitude et l'étude des coupes naturelles. Le poljé est drainé par la rivière de Datanghe et un petit affluent à écoulement intermittent dans sa partie sud-est.
Les coupes étudiées dans le poljé permettent de préciser la nature et la morphologie du remplissage. Le poljé est rempli de sédiments jusqu'à une altitude de 1 221 m à l'amont et de 1 205 m à l'aval, sur les bordures. Le fond du poljé est situé entre 1 217 et 1 168,4 m dans le talweg, altitudes respectives de la résurgence et de la perte. Les cotes d'altitude maximale du remplissage au-dessus du talweg sont variables entre 48 et 36 m. L'épaisseur moyenne du remplissage est de 36 m, ce qui représenterait pour le remplissage principal argileux environ 17 millions de m3 de sédiments fins (9 millions de m3 sur la base d'une épaisseur minimale de 20 m), en supposant la morphologie du fond de poljé plane. On ne connaît pas l'épaisseur des terrasses alluviales à la base des formations fines. Les remplissages fins sont entaillés par la rivière sur une profondeur de 6 à 28 m et on observe au moins deux grands niveaux d'entailles supérieures, observables surtout dans la partie centrale et méridionale du poljé, replats utilisées en terrasse de culture.
Plusieurs coupes morphologiques naturelles permettent des observations de l'amont vers l'aval.
- Le profil CC' montre une incision du talweg de 12,50 m avec un premier replat vers + 15-16 m et un autre sommital vers + 35 m. La profil BB' montre un incision plus faible du talweg avec une incision de 4 m et des replats vers + 4-6m, + 8 m et + 20 m.. Le profil AA' montre une incision de 6 m et des replats vers + 12 m, + 18 m et + 30 m environ.
- La profil DD' ,dans la partie centrale, montre un grand remplissage de limons terrigènes marrons dans lesquels sont emboîtés des limons ocres épais de 10-15 m sur une largeur de 250 m. Un grand chenal de 100 m de large réentaille ces limons ocres et les talus sont aménagés en terrasses avec des pans glissés en bordure du talweg profond de 3 à 4 m.
- La profil FF' , situé dans la partie sud près de la perte, montre à la base une terrasse fluviatile ancienne à galets et blocs entaillée par le talweg (0 à 4 m) avec un niveau de terrasse alluviale emboîtée récente vers + 1-2 m ; un remplissage argileux principal marron aménagé en terrasses de culture avec de nombreux glissements de versants (4-22 m) ; un remplissage limoneux ocre (22-26 m).
- Le profil EE' permet de préciser la stratigraphie et les emboîtements des quatre formations observées : 1) terrasse alluviale grossière inférieure, 2) remblaiement principal argileux à varves marrons sapé par l'affluent de la rivière Datanghe, 3) remplissage limoneux ocre supérieur, (4) basse terrasse caillouteuse récente. Figure 5
2. Analyse micromorphologique et fonctionnement du remplissage principal
Une coupe du remplissage principal, à 100 m au nord-est du ponor de Mishuidong, a été échantillonnée au niveau du radier actuel de l'affluent rive gauche. De bas en haut, sur une épaisseur de 6 m, on observe plusieurs unités et séquences :
1) Entre 600 et 460 cm, une terrasse alluviale de base montre des galets plus ou moins altérés de calcaires du Trias et des fragments de schistes.
2) Entre 460 m et 440 cm, au contact avec la terrasse, se développe un horizon hydromorphe verdâtre, riche en niveaux à charbons de bois. Sur lame (éch. 41 C 4/2 - lame 24169, 457-460 cm), il montre des sédiments versicolores à granules d'argiles ferrugineuses. La masse de fond silto-argileuse est composée de quartz fins, d'éléments de sols argileux rouges et humo-ferrugineux abondants, de rares grains de bauxite, quelques graviers de Trias, des fragments de schistes ligniteux, des grands quartz et des microgrès. Le plasma est composé d'argiles noyant des éléments phylliteux altérés. Les particules charbonneuses sont abondantes et on observe des pigments bactériens et de véritables cocons de colonies bactériennes ferrugineuses. Dans certains cas, ces amas sont organisés en colonies circulaires autour de restes charbonneux ayant servi de nutriment. On n'observe pas de lamines visibles.
Une lame mince de grande dimension (lame 24 168 - éch. 41 C4/1 - 450-457 cm) montre une composition identique et confirme la part des altérites non calcaires dans le sédiment (schistes altérés, quarzites schisteuses, “shales”, microgrès, microquartzite). Le sédiment remanie de gros débris de remplissages plus anciens (varves silteuses contenant des tests algaires). Dans le plasma argileux et silteux fin, on observe un assemblage argileux en latte (motif de biréfringence) qui indique une décantation calme et rapide avec une orientation planaire des particules micacées fines. On note des granules de fer, de très petits cristaux de pyrite, des cristaux automorphes verts (chlorite ?) et des particules de matière organique mélanisée. Le sédiment montre une pigmentation ferrobactérienne, des colonies en amas avec un corona à hématite, des tests de dinoflagellées, des spores et quelques pollens. Les charbons millimétriques appartenant à des troncs sont abondants et ils ont servi de nids aux colonies bactériennes.
3) Entre 440 m et 380 cm, un horizon prismatique, très argileux dans une unité de varves rouges, montre au sommet un ancien vertisol et à la base une plinthite. L'horizon versicolore à granule de fer marque une transition vers 400-420 cm de profondeur. Il montre au sommet (éch. 41 C 3-4 - lame 24167 - 412-420 cm) de nombreux et gros charbons de bois (de troncs) et à la base de nombreuses traces d'hydromorphie avec du fer bactérien et un litage très fruste des silts fins. Le squelette est composé d'éléments variés : schistes cristallins, phyllades (?), grains de sols rouges, quartz, chlorite et de nombreuses particules fines de charbon de bois et de matière organique mélanisée. Les argiles ont des motifs de biréfringence en microlattes en château de cartes et seules les grandes paillettes de mica sont orientées, ce qui atteste une énergie (ou une thermocline) dans le milieu de dépôt. Le fer semble avoir migré dans le profil après le dépôt et une légère dissolution.
4) Entre 380 et 100 cm, une grande unité homogène de varves ocres limoneuses montre une porosité vésiculaire de dégazage dans la moitié supérieure vers 315 cm (éch. 41 C 2 - lame 24166 - 310-320 cm) avec des pollens, des spores, des éléments reproducteurs d'algues, des charbons de bois grands ou plus fins et des pigments bactériens. A la base, vers 317-318 cm, on observe une zonation liée à l'hydromorphie et de grandes fissures dans les 2/3 inférieurs (entre 313 et 320 cm). La partie supérieure entre 310 et 317 cm montre des lamines de silts avec particules charbonneuses et vers 315-317 cm un léger granoclassement (éch. 41 C 2 - lame 24166 bis). Les quartz sont très fins, ± homométriques et d'origine hydroéolienne. Ils sont granoclassés avec une orientation des particules charbonneuses et argileuses. On observe de nombreuses particules d'érosion des sols rouges souvent en nodules. Le captage de pollens assez fréquents (x 500) témoigne de l'extension du plan d'eau, comme l'assemblage argileux en lattes qui devient plus planaire. On observe également des invaginations ± horizontales de colloïdes ferrugineux qui attestent un fonctionnement hydromorphique, avec des auréoles de fer turbide et des corona ferrobactériens. On peut identifier deux types d'algues rouges et bleues (chlorphycées et cyanophycées) et des charophytes (?). Elles attestent un développement notable du plan d'eau durant cette période.
5) Dans la partie supérieure, entre 100 et 25/50 cm, une couche argilo-limoneuse, présente des passées ± colluvionnées, ocre à gris, et des varves discrètes ocres. Entre 80 et 100 cm, l'unité homogène à varves ocres (éch. 41 C 1 - lame 24165, 90-100 cm) montre des assemblages silto-squelettiques avec des lits de quartz fins et des grains d'argiles ferrugineuses et de nombreuses tâches brunes (matière organique)), ocres (fer avec des amas ferrobactériens) ou très sombres (manganèse). La porosité alvéolaire est liée au dégazage et la porosité fissurale à la dessiccation dans un plasma argileux encore plus orienté et planaire. Le fait marquant qui semble légèrement postérieur à la sédimentation est la présence de fentes en coin liées au gel. Elles sont remplies de coiffes microlités (squeletanes de quartz fins purs) qui sont intégrées au plasma général. On peut donc affirmer qu'à ce niveau terminal de la sédimentation, nous sommes en conditions très froides. On n'observe pas d'algues bleues, ce qui attesterait une diminution de la profondeur du plan d'eau.
6) La séquence s'achève, entre 25/50 cm et 0, par des terrasses cultivées à horizons Ap enterrés et loess colluviaux. L'ensemble de la séquence est raviné par des remplissages gris et des terrasses plus récents.
3. Le rôle de l'homme dans l'érosion des sols avant le Dryas récent
L'ensemble du remplissage étudié est antérieur à une période froide et très humide. Mais le système de lamines est peu clair et il est difficile de donner des indications sur la saisonnalité. Comme cet épisode est antérieur au concrétionnement du réseau de Chushuidong daté U/Th à 6 400 ans (+ 300, - 200), il pourrait caler la phase du Dryas récent pour la partie supérieure. Il atteste en tout cas les traces d'une couverture forestière arborée régulièrement exploitée et incendiée. Sa destruction précoce pour les besoins d'une agriculture sur brûlis déstabilise les versants et engendre une crise importante se traduisant par une sédimentation dans le poljé. Celui-ci fonctionner comme un impluvio-sédimentomètre durant une période sans doute assez courte : les rares lamines mesurables donnent des taux de 2 à 3 cm/an, ce qui représenterait moins de 8 000 ans d'enregistrement sur une moyenne de 20 m, mais sans doute moins. Les calculs effectués sur lamines donnent la fourchette de 9 000-9 500 à 16 000-17 000 ans pour l'ensemble principal.
Durant cette période, plusieurs oscillations du plan d'eau sont enregistrées, en particulier une remontée notable vers 315 cm et une diminution vers 90 cm. L'étude en continu d'une séquence de 20 m devrait permettre de préciser l'âge, le fonctionnement limnique (étude des caroténoïdes) et l'environnement végétal (macrorestes et pollens).
B. L'exemple du poljé de Shuishanping (Hefeng, Hubei)
Le poljé de Shuishanping est situé à 5 km au NNE de Hefeng, vers 900 m d'altitude, près du gouffre perte de Datiankeng. La coupe géologique NW-SE montre que le poljé est localisé sur le revers d'un grand synclinal redressé à plus de 50° dans des calcaires dolomitiques du Trias inférieur. Il s'agit de calcaires à plaquettes, micritiques gris avec des microfilons de sparites et de microsparites (lame 51/E).
Le poljé de Shuishanping est drainé dans la partie sud-ouest par un ruisseau dévié vers un canal d'irrigation depuis la résurgence de Shuishanping (915 m). Sa bordure orientale est drainée par une rivière venue du nord, jusqu'à la grande perte de Datiankeng (900 m). La morphologie schématique du poljé de Shuishanping, vue en direction de N 335°, depuis 1 000 m montre un karst conique dans le calcaire des bordures du poljé (1 250 m), un canyon à l'est avec une entaille de 20 à 22 m de profondeur, enfin un système de drainage de rizières et de champs cultivés dans la partie occidentale et centrale. Dans l'axe de l'incision principale de la partie est du poljé, on observe les systèmes de terrasses et de remplissages. Les terrasses de crues torrentielles annuelles en période de mousson dépassent + 2 m. Des terrasses de + 8 à + 10 m sont emboîtées dans un remplissage principal argileux (+ 18 m à + 24 m). Figure 6
1. Micromorphologie et fonctionnement
Une coupe du remplissage principal a été étudiée et échantillonnée au fond du talweg vers 900 m. Elle présente, de la base au sommet, une coupe naturelle épaisse de 24 m.
1) L'unité principale de base, de 10 m de puissance, montre des varves grises argileuses de décantation de crue, à lits de graviers de composition variée, des lits de clastes noirs et de charbon de bois liés à l'érosion d'horizons Ah de sols.
Vers - 22 m, les varves grises sous le premier niveau de graviers sont formées de quartz (certains de grande taille et corrodés), dans un plasma argilo-silteux squelettique (éch. 51 A - lame 24 170). Le squelette est composé de microquartzites, d'éléments de remplissages anciens remaniés, microlités et quartzeux, de roche schisto-ligniteuse, de calcaires micritiques altérés du Trias. La masse de fond est composée de quartz, d'éléments grisâtres (micro-shales) et de nombreux cristaux de chlorite (?). Le plasma argileux est composé d'argiles rouges orientées face/face ou d'argiles fibreuses orientées bord/face ou polyorientées. La masse argileuse claire a des pigments ocres ou noirs (x 500), bactériens ou organiques. On observe aussi des algues filamentaires noirs et rouges.
Vers - 20 m, des varves fines gris-marrons sont situées sous le deuxième niveau de graviers à clastes noirs (éch. 51 B - lame 24 171). Elle montrent une masse de fond argileuse, marron-rouge, à pigments organiques (x 500) et motifs de biréfringence plus ou moins orientés. Des fissures sont remplies de microquartzites et de silexites. Le squelette est formé de dolomicrite grise, de charbon ligniteux, de matière organique mélanisée, de petits fragments de Cambrien rouge, de cristaux verts (chlorite?) et de grains de quarzites altérés. La partie inférieure est microlitée avec des graviers, des quartz roulés et des petits charbons de bois. Le plasma argileux, microorienté, avec des fissures horizontales de dessiccation, contient des algues brunes et bleues, et à partir de - 5 cm des argiles rouges ferrobactériennes. Dans la partie moyenne, on observe des microcutanes d'argiles ferrugineuses. Dans les trois premiers centimètres, on note une concentration de cutanes d'argiles avec des pellicules charbonneuses, ce qui dénote une évolution à l'air libre et donc signale vers 19,97 m de profondeur un paléosol enterré dans le dépôt. Dans la partie terminale, les gros éléments charbonneux ou mélanisés et les pigments noirs sont notables. Un remplissage microlité dans les 4 cm supérieurs ravine la partie centrale. Il est typique de coiffes microstriées, typique des sols gelés, avec une alternance de quartz et de particules organiques (éch. 51 B - lame 24 171 bis).
Vers - 12 m, des varves grises sont localisées sous une terrasse grossière. On observe (éch. 51 C - lame 24 172) des varves grises à passées de quartz plus claires et des auréoles d'hydromorphie soulignant les passages quartzeux plus grossiers. Dans la partie inférieure, de grands tests d'algues rouges, avec de nombreux pigments bactériens noirs et de belles colonies ferrobactériennes. Les lamines sont organisées par les ferrobactéries. Le système de lamine vers - 4 cm montre à la base une lamine détritique de saison d'inondation, puis des lamines algo-bactériennes condensées, dans un milieu oxygénant où l'activité photosynthétique est possible. Le passage d'organisations ponctuées et des organisations filamentaires se situe vers - 3,5 cm. Le problème de la saisonnalité est posé par cette organisation : d'une part un changement dans la chimie et sans doute la profondeur du plan d'eau, d'autre part un probable réchauffement et une saisonnalité déjà organisée par la mousson d'été.
2) Entre - 12 et - 10,50 m, une unité intermédiaire est formée par une terrasse torrentielle grossière de 1 à 1,50 m de puissance.
3) Entre - 10,50 et - 0,50 m, une unité supérieure épaisse de 10 m est constituée de varves colluviales ocres limono-argileuses à limoneuses fines, avec des horizons loessiques intercalés. Les sols actuels à horizon Ap, épais de 50 cm, terminent la séquence. Enfin, la terrasse grossière subactuelle présente un emboîtement de 1 m.
2. Le rôle du climat et de l'homme dans l'érosion des sols
A - 22 m, la séquence démarre durant une période très froide qui pourrait correspondre chronologiquement à la base de la coupe des varves marrons de Dadong datée C14 de 19 000 ans environ. Cependant, comme elle enregistre très tôt une oscillation climatique froide, elles est sans doute plus récente. Sur la base d'une vitesse de sédimentation calculée sur les lamines, la séquence totale du remplissage principal serait comprise entre 9 000-9 500 et 15 000-16 000 ans. Vers - 20 m, un arrêt de l'inondation représente une évolution pédologique en condition froide plus sèche qui pourrait représenter le Dryas récent. Vers - 12 m, on observe un approfondissement du plan d'eau et un réchauffement. La terrasse supérieure représenterait le début de l'Holocène.
Il est plus délicat de caler les varves ocres supérieures : Holocène, Néolithique, âge du fer ou période antique ? Compte tenu d'une récurrence fraîche, mais non sèche, attestée par les limons hydroéoliens dus au décapage des couvertures fines des sols podzoliques jaunes, il pourrait s'agir d'une crise sociale majeure dans l'histoire de la mise en valeur régionale. Ensuite, le drainage du poljé et le système sédimentaire semblent contrôlés par les aménagements. L'impact de l'homme sur l'érosion des sols, par une intensification des pratiques de l'agriculture sur brûlis, est attesté dans ce remplissage ; avec à la base du profil, les indices d'une éventuelle coexistence d'un système de chasse avec un système agraire.
C. L'EXEMPLE DU POLJE DE BAISHUIBA (XIANFENG, HUBEI)
1. Coupes, description
Le poljé de Baishuiba est localisé vers 690 m près de la résurgence de Bailongdong dans des calcaires du Permien. Trois coupes ont été étudiées pour préciser la nature du remplissage du poljé, les apports des versants et les processus d'incision récente.
- La coupe à l'amont en rive gauche vers 715 m permet de préciser les formations de pentes sur 200 cm. On observe de la base au sommet :
+ des calcaires à plaquettes du Permien vers 200 cm ;
+ une nappe I de colluvions limono-argileuses ocres  entre 170 et 200 cm ;
+ un remplissage argileux gris avec des galets +/- roulés entre 150 et 170 cm ;
+ une nappe II de colluvions limoneuses ocre-jaune entre 120 et 150 cm ;
+ une nappe III de colluvions limono-sableux supérieurs ocre de versants entre 90 et 120  cm ;
+ un horizon Ah2 gris noir épais +/- colluvial d'un sol brun forestier enterré entre 60 et 90 cm ;
+ une ancienne terrasse cultivée ocre à éléments rubéfiés entre 30 et 60 cm ;
+ un horizon Ah1 +/- colluvial gris noir entre 10 et 30 cm ;
+ un horizon Ah / Ah entre 0 et 10 cm.
- La coupe de la terrasse récente emboîtée dans l'ensemble de la séquence indique qu'après un remplissage argileux principal complexe, une 1ère nappe ocre colluviale se dépose, puis une 2ème nappe colluviale avec un arrêt de la sédimentation et le développement d'un horizon Ah2 épais de sol brun. Des terrasses cultivées sont enterrées avant une reprise de l'érosion et le dépôt d'une terrasse alluviale grossière emboîtée, l'horizon Ah1 cultivé est actuel.
2. Micromorphologie et fonctionnement
La coupe la plus complète du remplissage est située dans le thalweg au niveau du lit de la rivière de la résurgence de Bailongdong juste à l'amont amont de la perte (vers 690m). La roche-mère est constituée d'une silexite calcaire  du Permien à filons de calcite à sparite dans un faciès fin de type shale microlité (lame 57/G).
De la base au sommet, sur 240 cm la stratigraphie permet de préciser le fonctionnement du remplissage principal.
(1) A la base entre 240 et 200 cm, une terrasse fluviatile à galets.
(2) Entre 190 et 200 cm, un niveau hydromorphe Bh dans un remplissage argileux gris.
Sur lame (Echantillon 57 A - lame 24 173) on observe à la base un niveau de gravier (microquartzites, calcaires du Cambrien) avec un ciment argilo-squelettique quartzeux fin et des revêtements argileux. De fins fragments de charbon de bois sont pris dans le ciment. Le squelette est constitué de calcaires micritiques altérés, de grès altérés. La base est treès riche en produits pédologiques issus de sols rouges (argiles ferrugineuses et schistes).
Vers - 193,5 et - 192,5 cm de gros fragments de charbons de bois, de petits fragments étant dispersés sur l'ensemble de la séquence.
Au sommet de la lame vers -190 cm des pores de dissolution et une fragmentation polyédrique affectent le ciment rouge et des tests d'algues brunes avec des amas de fructifications sont des indicateurs limniques, comme les nombreuses auréoles d'hydromorphie.
(3) Entre 190 et 150 cm, une terrasse grossière à graviers oxydés montre des horizons versicolores de battance de nappe.
(4) Entre 150 et 100 cm, un remplissage principal argilo-limoneux est formé de varves marrons, avec à la base, un niveau verdâtre à bleu argileux. Vers 136-156 cm on obsrve une transition d'argiles gris bleu à des argiles gris ocre, puis des argiles limoneuses grises ocres +/- humides, des limons argileux plus ocres avec passées rouges +/- rubéfiées.
- Sur lame (Echantillon 57 B - lame 24 174)  on observe des silts quartzeux un peu plus grossiers qu'au dessous, avec présence de quartz éolisés fins anfractueux ou ovoïdes, quelques sablons de quartz ronds, des particules charbonneuses, des éléments de roche-mère ferruginisée.
Dans la partie supérieure de nombreux filaments algaires arqués et des tests algaires complets : dinoflagellées type Euglenia vers - 149 cm et - 148,5 cm, type Closterium vers - 140 cm. De nombreuses chlorphycées sont présentent avec des chloroplastes formant un réseau de nombreux pyrénoïdes (type Cladophora) et sans doute des Charophytes (?). On observe également de nombreux stades de développement et de division des appareils reproducteurs d'algues rouges.(en particulier vers -147,5 cm et des spores
On observe six microséquences de la base au sommet :
- entre 156 et 153,5 cm, une unité à niveaux bactériens noir, brun ou rouge abondants, avec des tâches d'oxydation et des algues ;
- entre 153,5/151,5 cm, 151,5/150 cm et  150/149,5 cm trois séquences avec enrichissement saisonnier de matière organique ;
- entre 149,5 et  148,7 cm, une séquence plus organique et bien laminée ;
- enfin entre 148,7 et 146 cm, une séquenc très algaire.
Les lamines sont organisées en doublet saisonnier annuel avec :
(a) une lamine claire à quartz fins, attestant des eaux peu turbides (hiver ?), avec des tests d'algues brunes érodées et des spores (automne ?) et qui se terminent par une pellicule condensée avec des argiles grises (fin hiver ?) ;
(b) une lamine très turbide, avec charbon de bois, éléments de sols érodés, fer et argiles et surtout développement algaire (pluies et mousson d'été). On observe des écarts entre 20 lamines en 50 mm et 16 lamines en 12 mm dans la partie centrale.
Cette séquence dans l'ensemble plus argileuse que précédemment et très organogène, atteste des conditions hydroclimatiques et d'oxygénation favorables au développement algaire et à la végétation des berges et surtout une période importante de développement du plan d'eau.
(5) Entre 100 et 60 cm, un remplissage limoneux ocre montre une transition d'argiles limoneuses grises à des argiles ocres à charbons de bois entre 100 et 96 cm). Sur lame (Echantillon 57 C - lame 24 175), on note des graviers dans la partie inférieure avec un plsama plus silteux, la présence de gros charbon de bois, de microquartzite et des argiles contenant moins de fer réduit. Le plan d'eau semble toujours notable, et bien que les tissus algaires soient toujours abondants (nombreux corps centraux non identifiables) on n'observe moins de dinoflagellées (cependant Euglenia vers - 97 cm et un autre type en voie de division vers -93 cm). On observe des poches avec appareil reproducteur vers - 95 cm  et de rares diatomées vers - 92 cm. Présence également de spores. Il semblerait que le milieu soit devenu plus oxydant et que le plan d'eau diminue, avec une augmentation du taux de sédimentation et une diminution du taux de matière organique.
(6) Entre 60 et 15 cm, des limons gris cendreux à charbons de bois présentent une transition avec un niveau supérieur Ah et les argiles du remplissage vers - 15 cm.
La lame mince entre 15 et 7 cm (Echantillon 57 D - lame 24 177) montre des algues rouges avec des charbon,s de bois dans une masse de fond à quartz, schistes et Cambrien altéré. On observe de nombreux charbons de bois à la base. Les algues sont présentent avec leurs éléments reproducteurs, des masses cellulaires allongées (- 9 cm), de nombreuses dinoflagellées (- 8 cm) et surtout des Ciliées (type Vorticelles dans la partie supérieure). Durant cette période le taux de sédimentation augmente, entre 2,5 et 2,4 mm/an et les conditions hydrochimiques changent, d'autres colonies algaires prennent le relais.
(7) Entre 0 et 15 cm, un horizon Ah des terrasses de rizières. Dans la partie supérieure entre 0 et - 7 cm (Echantillon 57 D bis lame 24 176), on observe des graviers et des charbons de bois (vers - 3 cm et - 7,8/-8 cm) avec de nombreuses algues Ciliéees (type Vorticelles), de très grosses dinoflagellées vers -7 cm.  Les tests algaires filamenteux sont abondants : cils ou serpentins. A la base (-7,8 cm) les tests cyanobactériens sont présents. Dans la partie sommitale (-2 cm) sont présents de grands tests de Charophytes (?). Le taux annuel de sédimentation atteint 3,6 mm et le milieu est sans doute influencé par le fonctionnement d'inondations saisonnières régulières et la riziculture d'inondation (?).
3. Interprétation : les indicateurs limniques des crues et des décrues ; le rôle du climat et de l'homme dans l'érosion des sols durant l'optimum holocène et les vicissitudes du contrôle d'un grand poljé
La séquence de Baishuiba est intéressante car elle représente un enregistrement de l'optimim holocène (s.l.) pour le remplissage principal marron sur des terrasses alluviales. La fourchette calculée sur le comptage des lamines est comprise entre 6000-6500 et 8000-8500.
Ce remplissage est intéressant car il a enregistré par ses associations algaires (DANGEARD, 1933) les oscillations du plan d'eau. L'étude des caronténoïdes et des phéophytines devraient permettre de préciser l'histoire du système durant la période holocène. On sait, par exemple que les Cyanophytes sont riches en pigments bactériens de types Myxoxanthopyll, Echinon et Canthaxanthin, les Dinophycées en Peridinin, les Euglenaphylla en Diadinoxanthin etc... (d'après ZÜLLING, cité par SCHULTZE, 1994). Les algues et les bactéries jouent également un rôle fondamental dans le système géochimique et dans la genèse des carbonates (KRUMBEIN, 1979) et c'est là un champ d'études futures.
Le fait le plus notable concerne la faible épaisseur du dépôt principal, au total moins de 10 m malgré un taux de sédimentation annuel moyen non négligeable et qui augmente dans la partie supérieure de 1,2 à 2,5 mm/an. Cette faible sédimentation totale serait le fait du contrôle précoce des ponors pour éviter l'inondation des habitations, dans un poljé qui n'a pas manqué d'être habité et cultivé très tôt. Des recherches sont à poursuivre en ce sens.
 Les séquences sont aussi marquées par de nombreuses discordances et un système d'auto-vidange du poljé dans le karst profond pendant le fonctionnement du remplissage. Une étude prochaine des remplissages de la cavité de Bailondong devient donc nécessaire.

III . Intérêt des sols et des remplissages des poljés et corrélation avec les remplissages de l'endokarst

La complexité des profils pédologiques ne doit pas masquer leur intérêt, car il représentent les amonts du système hydrosédimentaire des remplissages. Les périodes de développement de la pédogenèse associée à la recolonisation végétale sont des moments favorables au filtrage karstique et au concrétionnement. Les périodes de décapage et de crises climatiques et sociales sont au contraire des moments de décapage, de soutirage et de piégeage des particules fines. Il est évident que pour la période récente plusieurs crises historiques sont enregistrées. Du fait du décapage ancien des profils, les capacité de rétention, de filtrage et reconstitution des stocks fins et organiques sont réduits, si bien que les profils réagissent assez rapidement et en connexion plus ou moins synchrone sols-poljés-cavités.
Les remplissages de poljés ont enregistré l'histoire récente de l'environnement, en gros depuis 20 000 ans, en servant de réceptacle pour les sédiments résultant de l'érosion des sols. L'analyse séquentielle permet donc d'établir une corrélation avec les dépôts souterrains comme la coupe des varves marrons de Dadong qui a l'avantage d'être datée entre 19 000 et 13 000 ans environ. Une chronologie relative des crues, des surcreusements et des aménagements agraires est donc possible.
A. L'analyse séquentielle des remplissages de poljés
- L'étude hydroclimatique comparée avec l'endokarst : Les remplissages des poljés de montagne ont permis de préciser l'histoire de l'environnement récent en Chine centrale. L'étude des séquences et des microséquences comparées à celles des remplissages de l'endokarst montre que la sédimentation initiale est sous le contrôle des paramètres climatiques généraux :
1) augmentation du taux de sédimentation durant les périodes d'amélioration climatique, de fortes interactions de la mousson et d'humidité croissante (comme entre 18 000-20 000 ans et 15 000-16 000 ans) ou vers 7 000-7 500 et 8 000-8 500 ans ;
2) diminution du taux annuel, au contraire durant les périodes de péjoration climatique, sans doute de faibles interactions, entre 15 000-16 000 et 10 000 ans, avec quelquefois de fortes récurrences froides et sèches vers 20 000 et vers 10 000 ans, toujours marquées par de faibles taux de sédimentation.
Les remplissages réagissent aux données hydroclimatiques générales telles qu'elles sont enregistrées dans les séquences plus anciennes au cours d'autres cycles climatiques quaternaires (varves rouges de Dadong). On observe que les améliorations climatiques sont plus rapides, fait déjà constaté dans les enregistrements océaniques. Le résultat le plus important est qu'ensuite les remplissages réagissent à des données locales liées aux couvertures végétales et pédologiques et aux impacts anthropiques. C'est le cas en particulier avec une augmentation du taux de sédimentation annuelle. Celui-ci contrarie la tendance évolutive générale entre 16-17 000 et 12-13 000 à Dadong, entre 11-12 000 et 9 000-9 500 à Datangmi et entre 10-10 500 et 9 000-9 500 à Shuishanping. Il amplifie la tendance générale durant la période holocène (s.s.) entre 7 000-7 500 et 6 000-6 500 à Baishuiba. Ces données préliminaires soulignent que poljés et cavités fonctionnent comme des impluviométres et sont aussi des interfaces remarquables pour jauger les impacts anthropiques. Figure 8
- Les enregistrements des surcreusements, des crues et les aménagements agraires : Les enregistrements des poljés et des sols ne sont malheureusement pas continus, car le soutirage karstique commande aussi le surcreusement et les inondations. Le niveau de base local est rarement un fond de poljé, c'est le réseau sous-jacent. La nappe phréatique qui commande l'altération est rarement celle du profil. Enfin les aménagements de longue période sont autant de modifications apportées au taux de sédimentation des poljés ou des cavités, aux variations de l'hydromorphie, quand ce n'est pas un effet directe sur la découverture des profils avec la déforestation, les feux et l'agriculture. En Chine centrale, dans des montagnes au contact avec les peuplements Thaï et Han, les aménagements ont très tôt combinés agriculture sur brûlis et culture d'irrigation, terrasses de pentes et rizières.
B. Essai de corrélation entre les remplissages des poljés, de l'endokarst et l'évolution pédologique et végétale
Plusieurs problèmes demeurent dans la corrélation des sols, des remplissages de poljés et des dépôts souterrains. Il y a abord un problème de lithostratigraphie : quelle est la signification des emboîtements et des étagements dont on observe l'imbrication dans l'ensemble des dépôts ? Les étagements sont-ils toujours synonymes de variations climatiques dans un paysage d'élaboration de terrasses par l'homme ? Les emboîtements sont-ils révélateurs d'une diminution globale du taux de sédimentation dans un paysage où l'homme retient les sédiments fins pour son usage ?
C'est en fait poser la question des prises et déprises rurales et du contrôle des remplissages. Il semble qu'à Baishuiba, comme à Yanziping, Longtanping et dans le poljé de Wantan, les aménagements soient très anciens. On peut aussi se poser la question de savoir si la crise holocène n'est pas une crise néolithique et si elle a été si négative pour l'environnement, dans la mesure où il y a eu contrôle précoce de la sédimentation. Les périodes de déprises n'ont pas manqué dans une histoire chinoise longue et chaotique (cf. chap. 11). Les explosions démographiques qui ont doublé quelquefois la population en moins d'un siècle ont profondément bouleversé les sols et la végétation et provoqué plusieurs crises d'érosion : remplissages marrons, ocres et gris. Certains demeurent encore à étudier et à caler.
Enfin les relations entre pédogenèse, fourniture en turbides et taux de sédimentation ne sont pas clairs. Il n'est pas possible de préciser actuellement ces relations pour la période récente, le seul profil exokarst-endokarst étudié en détail, celui de Dadong, étant trop ancien. Les jalons manquent et il est prématuré de préciser les corrélations entre pédogenèse, crises sociales, aménagements agraires et agriculture. (Tableau 1)

Conclusions

Les étapes de l'évolution générale
Les sols et les remplissages des poljés sont des jalons des évolutions climatiques, surtout depuis les derniers 20 000 ans. Ils ont enregistré la crise climatique froide du Dryas récent et l'Holocène plus humide et plus chaud que l'actuel. La saisonnalité est bien enregistrée dans les microséquences de lamines des remplissages et des spéléothèmes (chap. 6) et les effets des périodes d'interactions avec la progradation vers le nord de la mousson humide. En terme de bilans hydrologiques, les remplissages donnent des indications fondamentales sur le fonctionnement du karst durant ces périodes clés. Très tôt les montagnes ont été soumises à la pression des agriculteurs de “ray” et à une intensification de leurs systèmes. La dégradation des couvertures a ses jalons dans les remplissages des poljés et des cavités.
Le rôle des crises sociales demeure encore à préciser, surtout pour la longue période historique pour laquelle on manque de jalons sûrs. Le dépouillement d'archives et des datations C14 seront nécessaires pour préciser certaines hypothèses, en particulier l'âge des remblaiements ocres et des colluvions enterrés dans les profils. Une étude socio-historique demeure également nécessaire dans le cadre de chaque poljé et de son bassin-versant, et surtout dans les grottes qui demeurent les archives terminales du géosystème et de l'écosystème.


Karstologia Mémoires N° 6 Année 1995 DONGHE 92 - ISBN : 2-7417-0162-8


Cet article provient de Grottes et karsts de Chine - 中国的洞穴与喀斯特 - Caves and karsts of China
https://www.grottes-et-karsts-de-chine.org/npds/static.php?op=rapdonghe/donchap10.html&npds=1