Donghe 92 Sommaire

Chapitre 1 : Les cavités du comté de Wufeng

L'équipe


Introduction

C'est à la fin de l'expédition de 1989 que nous avions repéré la superbe résurgence de Donghe depuis la route Wufeng-Yichang et qui allait donner le nom à la prochaine expédition. Trois ans plus tard, nous sommes de nouveau là pour continuer le travail entrepris sur le vaste anticlinal de Changleping. En 1989, nous avions exploré 12 cavités représentant 27 km de galeries topographiées. Cette année, notre objectif principal est d'essayer de résoudre l'énigme hydrogéologique de ce gigantesque système : 15 cavités sont explorées ou poursuivies représentant 16 km de topographie. De bons résultats et de très belles cavités de style alpin, mais les points d'interrogation se multiplient ! Nous quittons la zone avec des regrets et un sentiment de frustration : 13 petits jours d'exploration à 8 spéléos, c'est beaucoup trop court. Nous n'avons même pas eu le temps de travailler sur la fabuleuse zone de Wantan reconnue en 1989 et qui reste un objectif majeur, ou d'aller traîner nos bottes sur le synclinal perché de Baiyiping, enfin quoi du travail pour des dizaines d'expédition ! C'est cela la spéléo en Chine.
- Présentation géographique : Le comté de Wufeng se situe au SW du Hubei, à proximité du Hunan, soit à 80 km de la ville de Yichang localisée au débouché des gorges du Yangtse. Cette zone calcaire très montagneuse fait partie des chaînes occidentales de la province du Hubei, à la limite orientale entre les régions montagneuses du cours moyen du Yangtse (secteur des Trois Gorges au N) et les basses terres (bassin de Yichang au NE). Les chaînes plissées de la région de Wufeng culminent à 2320 m et se placent sur la ligne de partage des eaux des rivières Qingjiang et Lishuihe, toutes deux tributaires de rive droite du Changjiang (Yangtse). Les massifs karstiques sont séparés par de vertigineuses vallées dont la profondeur varie de plusieurs centaines de mètres à 1 000 m. Le climat est de type subtropical humide, mais avec une nuance montagnarde et continentale accentuée. Le régime de mousson est classique avec une saison des pluies d'avril à septembre. A la station de Wufeng (alt. 600 m), les précipitations moyennes sont de 1 500 mm/an pour une température moyenne de 13,1°C. Il neige de novembre à mars au-dessus de 900 m, mais celle-ci fond après chaque chute. L'amplitude thermique est importante : 1,7°C en janvier, 24°C en juillet.
- Présentation géologique et karstologique : Les séries de roches carbonatées, puissantes de 2000 m, vont du Cambrien au Trias. La direction des axes de plissement est généralement E-W. Les anticlinaux sont larges et coffrés, et leur armature est constituée par les formations carbonatées du Paléozoïque. Les synclinaux sont longs et principalement formés par les terrains du Paléozoïque supérieur et du Trias. Les paysages karstiques sont caractérisés par des morphologies moins évolués que dans le Guizhou ; il s'agit d'un karst à qiufeng-poljé et qiufeng-ouvala qui s'est installé sur les plis, souvent après le décapage d'une couverture imperméable de flysch ou de schistes argileux appartenant au Silurien et à l'Ordovicien. Ainsi, quelques km à l'est de Wufeng, sur la route qui va au Puits Est, on observe les différents stades de genèse du karst à partir de l'érosion des flyschs : système d'érosion linéaire dans les flyschs imperméables, fluvio-karst quand les vallons atteignent le calcaire sous-jacent, fluvio-karst et karst à cônes et ouvalas quand la couverture a disparu. Ce modèle d'évolution est explicité plus en détail dans les chapitres 8 et 9.- ^ -
- Présentation spéléologique : Nous explorons la superbe résurgence de Donghe (4 828 m, - 270 m) qui draine la partie orientale de l'anticlinal. Avec Longdong-Yanzidong (5 692 m, + 147 m) (cf. Gebihe 89), elles constituent les deux exsurgences majeures de l'anticlinal, la première à l'est, la seconde à l'ouest, mais entre les deux que de points d'interrogations ! Dans la partie ouest de l'anticlinal, la zone de Changbuxi garde son secret malgré la découverte de deux nouvelles cavités et la suite des explos dans quatre cavités commencées en 1989. Au Puits Est (Dongxitiankeng), 840 m de topo supplémentaire portent le développement à 5,8 km ; la profondeur reste inchangée à - 382 m. Mais où va donc cette rivière ? Quant à la jonction rêvée avec la grotte du Général (Jiangjundong) et bien ce sera peut être pour une autre fois : 300 m supplémentaires, arrêt sur étroiture à courant d'air et sur siphon... Dommage ! A 1 km de là, nous explorons le gouffre de Tiankengcao (3 748 m, ± 216 m) dans lequel nous mettons beaucoup d'espoir pour une jonction avec le Puits Est, malheureusement celui-ci semble appartenir à un autre système. Tout près aussi le gouffre-perte de Dongwan ; cette superbe cavité est arrêtée à - 256 m sur rien ! Similaire au Puits-Est, elle semble drainer un bassin encore plus important ! Avec l'exploration de la galerie de l'Oubli et de la diffluence à Bozzo, la perte énorme de Dadong passe maintenant les 10 km et ça continue, mais les espoirs de retrouver la galerie principale s'amenuisent un peu, bien entendu pour une cavité qui se trouve à 10 000 km de chez nous ! Dans la partie centrale de l'anticlinal, les deux pertes principales du superbe poljé de Changleping sont explorées, mais nous sommes encore très loin d'une jonction avec la résurgence de Donghe ! - ^ -

LE COMTÉ DE WUFENG EN QUELQUES CHIFFRES
Superficie = 2375 km2
Population = 200 000 hab.
Densité = 84 hab./km2
Taux de natalité = 1,9 %
Taux de croissance = 1,1 %
Capitale = Wufeng (alt. 600 m, lat. 30°12' N, long. 110°40' E)
Nationalité dominante = Tujia (58 %)
Forêt = 70 % de la superficie
Cultures = 10 % de la superficie
Agriculture = Tabac, thé, bois, maïs, blé, patate, riz, plantes médicinales

I. La zone occidentale de l'anticlinal de Changleping

C'est sur ce secteur proche de la ville de Wufeng que nous avions beaucoup travaillé lors de l'expédition "Gebihe 89". Aussi avons-nous continué les explorations.

A. DADONG
"Grande grotte" (Wf89/1)
Long. 110° 42,5' E   Lat. 30° 11,5' N   Alt. 780 m
Dév. 10 922 m  Dén. 314 m (- 214, + 100)
L'exploration principale a été faite en 1989. Cette grotte remarquable débute par un porche colossal de 100 m de haut sur 80 m de large : il s'agit tout simplement de la perte d'un canyon aveugle, à sec l'hiver, mais débitant plusieurs dizaines de m3/s en saison des pluies. En 1992, nous décidons d'aller revoir le fond, en particulier une escalade située au-dessus d'un puits de 50 m, pour tenter une jonction avec la grotte-émergence de Longdong-Yanzidong située quelques km au NW. (cf. Karstologia Mémoires, n° 4, p. 86).
- L'escalade du P50 : Ce puits de 50 m est situé à l'extrémité NW du réseau dans une branche fossile où circule un fort courant d'air. Le puits, en forme d'entonnoir, mesure 15 m de large et reçoit un actif provenant du NE. En face, donc au nord, il est surmonté par une haute paroi où nous sommes censés trouver la suite du trou, mais le courant d'air tourbillonne et a plutôt tendance à descendre le puits. Mais par la "foi", nous croyons discerner une galerie au sommet de ce mur peu engageant. Le premier jour, nous équipons une traversée de 40 m sur le bord ouest du puits, d'abord au profit d'une vire qui se rétrécit, puis en plein vide. On rejoint ainsi la base du mur nord sur un plan incliné boueux. Au-dessus, la paroi devient presque verticale, mais anfractueuse, avec des plaquages d'argile. Il faut une deuxième sortie pour venir à bout de ce mur de 40 m que Cyriaque grimpe sans coup férir. Au sommet, une galerie de 12 m de large sur 6 m de haut file plein nord sur une cinquantaine de mètres, mais elle se termine sans espoir sur un remplissage argileux. Au total, 130 m de premières chèrement gagnés ! (Richard et Cyriaque)
- La galerie de l'Oubli (explorée en 1992) : Toutefois, en revenant de l'escalade, nous découvrons fortuitement une superbe galerie fossile qui se situe 300 m au sud du P50, dans le "pointillé" de la topo. En 1989, le bord ouest de la galerie, large de 25 m et surmonté de puissantes terrasses, n'avait pas été longé. Juste au-dessus d'un talus de blocailles, une galerie large de 30 m s'enfonce vers l'inconnu. Ce jour là, en revenant de l'escalade du P50, nous faisons une courte reconnaissance. Le lendemain, muni du topofil et de nombreuses bobines, nous avançons religieusement dans un fossile superbe, de 15 à 20 m de large et de 15 à 20 m de haut. D'importants remplissages argilo-limoneux bouchent pratiquement la galerie au bout de 350 m. Le plafond s'abaisse à moins de 1 m, puis à 500 m de la bifurcation, la galerie remonte dans une trémie de gros blocs inclinée à 30°. Nous débouchons dans une salle supérieure de 100 m de long sur 60 m de large dont l'extrémité nord est creusée par un vaste entonnoir (suçoir) de 25 m de diamètre et autant de profondeur. Il n'a pas été descendu, mais il paraît bouché ! (Richard)
- La diffluence du Bozzo Continental : Au retour de notre pointe dans la galerie de l'Oubli, nous décidons d'aller voir une galerie non terminée en 1989. Il s'agit d'un petit conduit, large de 2 m, qui démarre dans l'angle nord de la première grande salle appelée salle des varves marrons à cause de son remplissage fabuleux (chap. 6). Il s'agit, en fait, d'une diffluence de trop-plein qui fonctionne en période de hautes eaux lorsque le niveau de l'eau remonte de plusieurs mètres dans la salle. Cette galerie, à courant d'air aspirant, a été explorée sur 200 m jusqu'à une bifurcation : au nord, un petit conduit au tracé méandriforme et au plancher argileux est topographié sur 120 m. La galerie continue, mais se rétrécit ; un autre départ étroit, en rive droite, n'a pas été exploré. En revenant à la bifurcation, nous fonçons à la branche de droite, la plus intéressante, mais nous sommes arrêtés au bout de 30 m sur un profond bassin ! La suite du trou semble là, dans une galerie de 5 m x 5 m, mais nous n'aurons pas le temps cette année. Pas le temps, toujours le même leitmotiv ! (Richard) - ^ -

B. JIANGJUNDONG
"Grotte du général" (Wf89/9)
Dév. 2 282 m   Dén. -  83 m, + 56 m
Cette grotte-tunnel, explorée en 1989 sur 1 950 m, présente plusieurs points d'interrogation. Au bout d'une large galerie fossile située non loin de l'entrée inférieure (galerie des baïonnettes), à un étage supérieur, s'ouvre un petit puits ouvert par un déblaiement du remplissage sur environ 9 m. Lors de la précédente exploration datant de trois ans, sur un palier du remplissage, nous avions trouvé une décharge d'armes et d'explosifs, d'autant plus dangereuse que posée sur des parois meubles où il était nécessaire de prendre pied afin de fractionner la descente. Cette fois ci et comme nous nous en doutions un peu, plus aucune trace de relique militaire : les trois ans écoulés et les baïonnettes remontées en surface et offertes au comté y sont pour quelque chose. Après avoir fractionné, nous descendons dans un beau puits de 15 m s'ouvrant dans une roche plus compacte. En bas, une courte galerie large de 2 m nous mène à une petite salle de 4 m de diamètre dominée par un puits remontant. La seule suite vers une hypothétique jonction avec le système du Puits Est, est un méandre légèrement ventilé où s'infiltrent les écoulements. Celui-ci devient très étroit au bout de 7 m et la poursuite de l'exploration nécessiterait une désobstruction.
L'autre suite que nous avions laissée en 1989 se situe dans la partie la plus orientale au niveau d'un puits-faille que nous n'avions pas descendu faute de corde et de temps. Orienté NNE-SSW, ce puits mesure 15 m de profondeur ; en bas, nous partons au SSW en suivant l'écoulement des eaux tandis que l'extrémité opposée de la fracture se pince au bout de 20 m. Après un petit ressaut, nous progressons en opposition jusqu'à un élargissement recouvert de choux-fleurs de calcite qui donne sur un puits de 38 m. Au fond nous trouvons une petite salle d'où partent deux galeries, l'une avec un violent courant d'air aspirant, l'autre empruntée par l'eau. Nous suivons d'abord l'eau dans une belle galerie de 2 m x 4 m qui débouche sur une deuxième fracture orientée N-S plus large que la première. Nous descendons par un puits de 18 m après avoir franchi une vasque suspendue. Cette fracture se pince à ses deux extrémités et présente un petit siphon non plongeable sans sa branche nord.
Revenus à la salle située au bas du puits de 38 m, nous empruntons maintenant la galerie au courant d'air dont le sol est tapissé d'argile sèche et qui part à l'opposé de la galerie précédente ; elle nous conduit à une troisième fracture orientée NE-SW. En descendant une dizaine de mètres, on aperçoit l'extrémité NE qui se pince. A l'opposé part un petit ruisseau qui se resserre progressivement, mais reste pénétrable. Juste avant de descendre, deux départs se présentent : l'un à l'E est bouché par des remplissages, l'autre donne accès à une quatrième fracture parallèle à la précédente, mais bouchée à ses deux extrémités. C'est dans cette partie du réseau que se trouve le point bas de la cavité. (Cyriaque, José) - ^ -

C. DONGXITIANKENG
"Puits Est-Ouest" (Wf89/10)
Long. 110° 48,6' E   Lat. 30° 14,8' N   Alt. 1 080 m
Dév. 5 807 m   Dén. - 382 m
Ce gouffre-perte exceptionnel, exploré en 1989, s'ouvre par deux puits jumeaux (P40 et P80) dans lesquels se précipitent, en saison des pluies, des torrents impétueux chargés de galets. Le fond se termine sur siphon, mais 841 m de galeries nouvelles sont topographiées au nord. (cf. Karstologia Mémoires, n° 4, p. 96).
Le nouveau réseau se situe au nord du complexe Puits Est / Puits Ouest et démarre à la cote - 156 m, là où nous nous étions arrêtés en 1989 sur une vasque d'eau profonde. La galerie est agrémentée par une série de bassins profonds, avec de belles formes d'érosion et de corrosion : marmites, coups de gouge, lames aux bords arrondis. Comme cette galerie des Marmites fonctionne en trop-plein, il y a très peu de sédiments fins car le courant est trop rapide pour permettre leur dépôt ; en effet, le débit passe rapidement de quelques m3/s à 0, dès que toute l'eau peut être évacuée par la galerie de basses eaux située plus au nord. La violence des crues est soulignée par les bois flottés coincés un peu partout, mais en hiver le débit est insignifiant fort heureusement !
N'oublions pas que cette perte est perchée plus de 400 m au-dessus de la zone noyée, les conduits ne devenant fonctionnels qu'après de fortes pluies. Ils drainent alors un bassin-versant très vaste de sorte que les crues sont très violentes : plus de 5 m3/s, voire plus, d'après la taille et la pente des talwegs, et le niveau des hautes eaux indiqué par les paysans. En novembre, nous n'avons vu que quelques suintements de moins de 1 l/s. Ils suffisent à garder en eau la plupart des marmites et des lacs qui constituent alors de sérieux obstacles à cause de l'eau froide. On progresse soit en opposition au-dessus de l'eau (la galerie fait souvent moins de 1,5 m de large), soit en nageant dans les bassins.
Un très fort courant d'air aspirant est sensible tout au long de la galerie des Marmites et les parois sont donc très sèches. Il y a une faune assez diversifiée : crabes, criquets blancs, gros têtards blancs que nous surnommons "steambread à queue" ; celle-ci est alimentée par les débris organiques apportés par la rivière. De nombreuses banquettes perchées marquent l'ancien niveau de la rivière. De multiples petits conduits recoupent la galerie principale : ce sont de petits affluents ou des recoupements de méandre, et il faudrait les explorer méthodiquement. Cette progression aquatique se termine brutalement en arrivant au plafond d'une salle de 30 m de haut, 20 m de long et 6 m de large.
A partir de cette salle démarre une grande galerie de 40 m de haut sur 8 m de large appelée galerie des Autobus. Elle est vraisemblablement alignée sur une faille car son tracé rectiligne recoupe brutalement la galerie des Marmites. Elle est encombrée de bois flottés et d'énormes blocs tombés du plafond de format "autobus", polis par les crues. En rive droite, un ruisseau de 1 l/s tombe d'une galerie très inclinée (6 m x 30 m), à 200 m de la galerie des Marmites. Pour l'atteindre, il faudrait réaliser une escalade de 6 m. La galerie des Autobus siphonne au bout de 450 m dans un petit lac encombré de nombreux troncs d'arbres. Le courant d'air est perceptible jusqu'à ce lac, puis se perd dans de nombreuses cheminées encombrées de branches instables.
Pour la galerie des Marmites, une néoprène et une bouée sont conseillées. Le parcours en bateau est possible, mais un peu délicat à cause de nombreux lacs étroits et d'embarquements parfois "héroïques". Quelques équipements sont à placer : une corde de 15 m dans la première marmite (AN), une main courante de 10 m dans la troisième (AN + piton). Pour la galerie des Autobus, il faut équiper les trois ressauts au début du réseau : 4 spits, 2 pitons, 60 m de corde en continu pour une série de puits décomposée en P18, P15 et P15. (Bernard) - ^ -

D. DONGWAN
"Gouffre de Dongwan" (Wf92/18)
Long. 110° 49,8' E   Lat. 30° 15,3' N
Dév. 974 m   Dén. - 256 m
Cette cavité s'ouvre sur le flanc d'un petit canyon, au fond d'une dépression de 30 m. On y accède par un bon sentier à travers champs (20 mn) qui démarre en contrebas et à l'est de la route, 2 km après le Puits Est. Le porche d'entrée est une voûte parfaite de 15 m de large. Au-delà, une galerie alignée sur une faille N60°E, avec deux petits ressauts (R2 et P6), conduit à une salle d'effondrement. En période de crue, la rivière poursuit son cours vers l'ouest en cascadant entre de gros blocs rocheux polis par l'érosion. En basses eaux, par contre, elle disparaît dans un petit méandre, au nord de la salle, dans lequel souffle un fort courant d'air tiède. Nous explorons ce méandre jusqu'à un petit ressaut ; en rive gauche, une galerie remontante bute sur un puits de 20 m non descendu.
Au-delà de la salle, la galerie principale se poursuit selon des joints de strates, avant de rejoindre un grand puits de 120 m (4 ressauts) aligné sur une faille N115°E. Le premier jet de 15 m aboutit dans une vasque profonde que l'on évite par la gauche. Idem pour le second de 30 m et le troisième de 17 m. Le dernier jet de 48 m, magnifique, aboutit dans une belle salle de 20 m x 40 m x 60 m dont la voûte et les parois sont sculptées en formes arrondies, presque féminines, par la chute de l'eau ! La progression vers l'aval se poursuit dans une galerie aux parois et au sol totalement lisses. Après un ressaut de 6 m et une marmite peu profonde, nous arrivons à une verticale de 15 m formée par le remplissage de la galerie précédente empruntant en fait une fracture. Après être descendus d'un étage, nous voici dans une grande salle en interstrate. L'écoulement de l'eau se fait toujours au contact du plancher légèrement incliné et d'une paroi. Un nouveau ressaut, puis une vasque franchie par une vire et nous voilà dans la salle où arrive l'affluent principal d'un débit équivalent à celui de la rivière (situation en novembre 92). La rivière poursuit son cours de marmite en marmite et nous tentons de faire de même, mais avec un canot percé, cela n'est pas brillant. Après quatre petits bassins et quelques ressauts, nous laissons l'eau continuer toute seule vers des profondeurs que l'on imagine importantes : le potentiel est de plus de 500 m.
Revenons à l'affluent laissé en rive gauche. Il se remonte par une rampe inclinée à 34°, sculptée par l'eau, pour atteindre le cours de l'eau défendu par une petite cascade glissante à cause de la pellicule noirâtre recouvrant la roche. Le cheminement se fait tout d'abord dans un méandre large de 2 m, puis la galerie s'élargit et le plancher est recouvert de galets et d'argile. On arrive à une salle où deux vasques sont alimentées par une cascade au-delà de laquelle la galerie est rectiligne jusqu'au terminus 92 (encore le manque de temps). Mais les derniers mètres ont été faits sur un remplissage sec et la suite semble nettement plus étroite. L'essentiel de l'eau de cet affluent provient de deux puits remontants, 10 m avant le terminus 92, et d'une arrivée située au même niveau sur la paroi opposée. Un autre départ sur la même paroi que l'arrivé d'eau, mais un peu en amont, semble jonctionner avec celle-ci.
- Hydrogéologie : Ce gouffre est la perte d'un canyon qui draine un bassin-versant de quelques km2 seulement. D'après la morphologie du lit, les débits de pointe semblent très forts, de l'ordre de 10 m3/s, sans doute en raison de la forte pente de la partie amont du bassin. L'eau s'enfonce alors rapidement sous terre (- 256 m pour un cheminement de moins de 1 km), pour rejoindre un niveau de base qui doit être situé entre 400 et 500 m sous l'entrée. Il n'y a aucune trace de mise en charge dans la partie que nous avons explorée, ce qui indique que le gouffre se poursuit encore en profondeur, avec de larges sections sur plusieurs centaines de mètres. Sa résurgence n'est donc vraisemblablement pas Longdong, la source vauclusienne située vers 800 m d'altitude dans le canyon de la Chaibuxi qui traverse la montagne 1 km plus à l'est. La résurgence des eaux de Dongwan doit se situer à une altitude beaucoup plus basse. Une incertitude subsiste : l'eau se dirige-t-elle vers l'ouest ou vers l'est ? Encore un trou qu'il faudra continuer. (Bernard et Cyriaque) - ^ -
E. GOUFFRE DE LA FILLE DE LUMIÈRE
(Wf92/16)   Dév. 40 m   Dén. - 40 m
C'est une après-midi ensoleillée et comme nous avons malheureusement fini l'exploration de la grotte du Général, nous décidons de faire quelque chose dont j'avais envie : partir en prospection dans la campagne, hors des sentiers battus par nos équipes. Un orifice de puits est découvert, dissimulé sous des broussailles. Un jet de pierre nous remplit de joie et nous installons rapidement la corde sur un arbre voisin. La descente commence par une fracture de 80 cm de large sur 4 m de long. Pendant 40 m, nous espérons la jonction avec le système du Puits Est. Arrivé en bout de corde, je descends encore 4 m en désescalade pour m'arrêter sur un colmatage argileux complètement hermétique. Nous topographions en remontant. (Cyriaque) - ^ -
F. TIANKENGCAO
"Gouffre du vallon" (Wf92/15)
Long. 110° 48,62' E   Lat. 30° 14,59' N   Alt. 1 250 m
Dév. 3 748 m   Dén. 226 m (- 216, + 10)
Ce gouffre remarquable commence par une ancienne perte, perchée plus de 170 m au-dessus du puits Est (25 mn de marche). L'entonnoir d'accès, occupé par des bambous, se situe au bord d'un ouvala cultivé. Il donne rapidement sur une bouche noire inclinée de 8 m de large sur 2 m de haut. La galerie, en forte pente, est encombrée de blocs instables. Au bout de 50 m, on rejoint une petite salle de 20 m de large, basse de plafond car envahie par la blocaille. Dans le coin gauche, nous retrouvons le départ de la galerie à Bozzo explorée rapidement en solo en 1989 et non topographiée. A droite et en hauteur, le courant d'air emprunte un autre passage fossile.
- Galerie à Bozzo : Depuis la salle du début, nous empruntons une courte et étroite galerie jusqu'au sommet d'un puits de 5 m de diamètre et de 15 m de profondeur ; il se court-circuite par un petit puits parallèle donnant dans le P15. Ici comme ailleurs, le sieur La Rouille nous gratifie d'un équipement à la "bulgare", histoire d'utiliser ses câbles plastifiés ! En bas, nous observons un petit actif tombant en pluie d'une cheminée. A l'opposé, une jolie conduite forcée s'enfonce dans un joint de strate incliné à 35° (pendage de direction N330 à N350°). Au bout de 200 m, nous aboutissons dans une micro salle bouchée par un siphon de graviers que Bozzo avait cru passable il y a trois ans ! Un petit actif arrive de l'est par une voûte basse infranchissable. En remontant, nous allons faire la galerie fossile située en amont du puits de 15 m. Ce vaste conduit, de 15 à 20 m de large, grimpe dans le pendage, puis atteint un palier. Plusieurs affluents (cheminées, méandres étroits) arrivent en rive droite, c'est-à-dire de l'est. On observe un remplissage généralisé de limons argileux et des bouchons détritiques. Les concrétionnements anciens sont corrodés.
Après avoir accédé à une lucarne et parcouru une petite galerie, nous débouchons dans la partie basse d'une très belle salle qui forme le carrefour de plusieurs départs. Au SE un complexe de très belles galeries remontantes formant l'amont se terminent toutes sur des remplissages. Au NE un départ dans l'interstrate mène à un carrefour tandis qu'à gauche une galerie ventilée pourrait bien déboucher sur l'énorme doline située non loin de là. Nous nous sommes arrêtés dans un petit puits remontant. Tout droit une belle galerie serpentant mène à une salle dont le fond est crevé par un puits d'au moins 15 m non descendu. Au NE c'est la galerie du "Baobab de l'Ordovicien" qui mène au P15 donnant accès au fond du réseau par le "Méandre de la boite à sucre".
- Réseau du méandre de la boite à sucre : A la base du P15 on trouve à gauche un petit actif disparaissant dans une fracture étroite et peu engageante que nous n'avons pas exploré. A l'opposé démarre un méandre fossile entrecoupé de petits puits. Il se dédouble au départ sur une centaine de mètres. La roche saine du début cède rapidement sa place à une roche complètement délité par les fins bancs de gypse qui la font littéralement exploser, d'où le nom du méandre car on y trouve les boites, excellentes prises interchangeables, mais aussi le sucre en poudre (du gypse) qui reste toujours au fond des boites ! La fin se dédouble par une conduite forcée en plafond. Elle aboutit par une étroiture à un interstrate très vaste et très poussiéreux que l'on traverse pour trouver un passage descendant, puis remontant très ventilé. On arrive alors en balcon d'une grande galerie d'effondrement orienté NW-SE. Deux possibilités : descendre la galerie jusqu'à un point bas où une courte galerie donne sur un siphon, puis remonter de bloc en bloc jusqu'au bout de la galerie devenant très concrétionnée et donnant sur une série d'amont arrêtés sur puits remontant et un petit aval actif entrevu sous les blocs.
La deuxième possibilité débute au pied du balcon où il faut grimper le grand talus lui faisant face. On entre alors dans une salle descendante aux dimensions imposantes, 220 m par 120 m pour une surface d'environ 16 000 m2 : c'est la salle des Polis gônes. Elle présente des traces de mise en charge : blocs recouverts d'une peau d'argile et lac de décantation. Au nord elle bute sur une énorme trémie, à l'ouest une galerie mène à deux amonts. Au sud l'amont des Concasseurs, vaste fracture où les blocs s'empilent les uns sur les autres, pourrait correspondre à l'actif du P15. Au nord une nouvelle trémie arrête toute progression
Ce superbe gouffre de type alpin pourrait encore réserver de nombreuses surprises car il est vraisemblablement une des clés importantes pour la compréhension du système, dans cette partie de l'anticlinal. (Richard, Jean-Pierre et Sylvain) - ^ -
G. TIANKENGCAO 2
"Gouffre du vallon 2" (Wf92/14)
Dév. 148 m   Dén. - 12 m
Cette petite cavité se situe juste à 50 m de Tiankengcao et pourrait bien jonctionner par un petit puits en diaclase qui n a pas été descendu. - ^ -
H. XIAOLING KOU
(Wf92/17)   Dév. 300 m   Dén. - 53 m
Cette grotte se situe à proximité de la doline de Dongxitiankeng, à 1 km au SE de cette cavité. Il faut prendre la même piste d'accès depuis Wufeng et la poursuivre sur 500 m au-delà de Dongxitiankeng avant de s'engager sur un petit sentier remontant vers le sud qui serpente de doline en doline. Il conduit en moins de 1 km à la doline de la grotte de Xiaolingkou. Il s'agit de la perte active d'un petit poljé. L'entrée est étroite et souffle un violent courant d'air chaud. Elle est encombrée de "débris agricoles" : feuilles plastiques utilisées pour le paillage du tabac et débris organiques. Elle est suivie sur 200 m d'une belle galerie de 10 m2 de section en moyenne, descendant lentement en suivant rigoureusement le pendage vers le NW. Le conduit parcourt des méandres assez serrés et la roche est couverte de cupules et de lames rocheuses façonnées par la dissolution. Les strates résistantes forment des banquettes latérales. Quelques petits ressauts (R2, R3) agrémentent la descente jusqu'à un beau puits de 25 m, légèrement arrosé en ce mois de novembre 92. Le puits a été creusé à la faveur d'une faille subverticale de direction N55°E. La grotte se poursuit en suivant cette faille vers le SW, à angle droit de la direction qu'elle suivait jusqu'alors. Le conduit est assez haut, mais devient de plus en plus étroit vers le fond, alors qu'on atteint l'eau. Le siphon comme la partie haute de la galerie sont trop étroits pour être franchis. Plusieurs petits affluents restent à voir dans la galerie principale. Pour l'équipement du trou, une corde de 40 m et deux sangles sont nécessaires pour le puits terminal de 30 m. (Bernard et Cyriaque)
- Hydrogéologie : La grotte est creusée dans les bancs de calcaires massifs du Cambrien supérieur, dans le coeur de l'anticlinal de Changleping. Il s'agit d'une perte active temporaire. Selon les traces de mise en charge, le débit ne doit pas dépasser quelques centaines de litres par seconde. Un tel débit est bien en rapport avec la taille de la doline drainée par le trou, soit moins de 10 ha. - ^ -
II . La zone centrale de l'anticlinal de Changleping
La partie centrale du vaste anticlinal coffré de Changleping est occupé par le poljé du même nom. Celui-ci se développe sur 12 km de long et 200 à 800 m de large dans les calcaires cambriens : il s'agit de la partie centrale d'une ancienne vallée, aujourd'hui soulevée et déconnectée du canyon de la Chaibuxi au nord (chap. 9). Le poljé est dominé par des reliefs plus ou moins coniques de plusieurs centaines de mètres de haut. Situées à l'extrémité ouest, près du village de Yaopai, deux belles pertes sont explorées au cours de deux journées. - ^ -
A. XIAOSHUIDONG 1
"Perte 1" (Wf92/23)
Long. 110° 52,78' E   Lat. 30° 10,13' N   Alt. 960 m
Dév. 764 m   Dén. - 137 m
L'entrée est un ponor dont l'arrivée d'eau est canalisée entre deux murs. Elle donne accès à une belle galerie descendante finissant 300 m plus loin sur un remplissage d'argile. Un peu avant, un puits de 30 m perce le plancher sur la gauche et conduit à un second puits de 20 m ; en bas, une galerie encombrée d'immondices finit sur un siphon. Au départ du premier puits, une galerie démarre sur la gauche ; elle se développe sur une fracture et permet d'atteindre, juste avant son terminus sur étroiture, une petite conduite forcée descendante très ventilée. Celle-ci finit 20 m plus loin au sommet d'un petit puits : celui-ci se prolonge par une fissure relativement étroite dans laquelle nous progressons une centaine de mètres jusqu'à un nouveau puits. Là est peut-être la suite. Mais nous n'avons pu la découvrir, encore faute de temps ! De même, plusieurs départs n'ont pas été vus dans la galerie d'entrée. (Sylvain) - ^ -
B. XIAOSHUIDONG 2
"Grotte de la Perte 2" (Wf92/24)
Long. 110° 50,8' E   Lat. 30° 09,9' E   Alt. 960 m
Dév. 998 m   Dén. 131 m  (- 120, + 11)
Voilà encore une perte comme on les aime ! Située un peu en contrebas de l'extrémité ouest du poljé, la perte double est alimentée par deux vallées : la première vient du nord et se jette dans un porche de 10 m x 15 m, la seconde vient du sud et aboutit dans un puits de 20 m. Les énormes quantités d'eau absorbées pendant la mousson d'été - sans doute des pointes à plusieurs dizaines de m3/s - ont façonné des puits-marmites hors du commun par leur taille et leur esthétique, en particulier le puits en spirale du Bobsleigh profond de 40 m, suivi du Chaudron karstique, large de 40 m sur 30 m ! En bas, une galerie en canyon, haute de 40 m, se termine au bout de 150 m sur un conduit étroit englué d'argile. En hautes eaux, l'excédent d'eau emprunte vers le NE un réseau supérieur encombré de troncs d'arbres et de cagettes en plastique, et probablement un passage supérieur principal qui n'a pas été reconnu.
Le Chaudron karstique est alimenté également par une galerie, l'Amont de l'Extincteur, elle-même encombrée par un entrelacs de branches et moulte troncs ! Nous nous sommes arrêtés à la base d'un gros bloc coincé (escalade de 5 m) : la galerie continue. Dans cette perte typiquement chinoise, la puissance des crues est telle que des troncs de belles dimensions ont été propulsés perpendiculairement à l'axe des puits, par exemple dans la galerie de l'Interstrate Arborée (tout un programme !) située au beau milieu du puits du Bobsleigh. L'aspect blanc, satiné ou martelé des parois donne une idée de l'érosion mécanique des eaux pendant les crues. Les galets sont projetés à grande vitesse selon un mouvement circulaire descendant. Le manque de temps ne nous a pas permis de découvrir la suite du réseau qui doit se situer dans un passage surplombant la grande galerie en aval du Chaudron karstique. L'équipement du trou s'est fait différemment selon l'humeur et les possibilités de la roche : soit avec de beaux spits dans une roche saine, soit avec des pitons délicatement plantés dans des fissures vite impénétrables. (Richard, La Rouille et Jean-Pierre) - ^ -

III. La zone orientale de l'anticlinal de Changleping

Explorée à partir de la ville de Yuyangguan et ses fumées souffrées, cette région présente la fameuse grotte-résurgence de Donghe dont la gueule béante nous avait enthousiasmé en 1989. Nous l'explorons sur près de 5 km et 270 m de dénivellation. Encore un regret : le manque de temps ! - ^ -
A. DONGHE (DONGHE WUFENG)
"La grotte rivière" (Wf92/13)
Dév. 4 828 m   Dén. - 270 m   Alt. 510 m
La résurgence de Donghe jaillit au fond d'une reculée par un porche de 20 m de haut sur 20 m de large qui a été sommairement aménagé par les paysans. Un ancien canal d'irrigation suit la rivière en rive gauche. Il devait permettre d'irriguer quelques rizières situées plus en aval, mais il a été abandonné depuis longtemps, comme certaines terrasses situées au-dessus de la grotte. C'est le seul cas de ce genre que nous ayons vu jusqu'à présent. Selon les explications que nous avons pu avoir, ces aménagements avaient été réalisés sous la houlette d'un cadre politique très motivé, dans la ligne de "Comment Yukong déplaça les montagnes", mais ils ont ensuite été abandonnés par les paysans, car ils étaient vraiment difficiles à exploiter.
- La remontée de la rivière : La salle d'entrée, de 30 m de large sur 30 m de haut, est une cloche d'effondrement. En rive gauche, elle contient quelques anciens fours à nitrates. La galerie s'enfonce petit à petit dans l'obscurité en décrivant des méandres très photogéniques. Le plancher est taraudé de belles marmites ou recouvert de gros blocs roulés. A 200 m de l'entrée, un petit lac nous barre le passage, mais il peut être évité par la droite, en remontant un éboulis qui aboutit à un beau lit sablonneux. Un peu plus loin, un second lac ne peut être évité que par une vire un peu exposée en rive droite : une sangle est installée pour permettre le rétablissement au-dessus de l'eau. Juste après, nous franchissons une série de petites cascades avec de magnifiques formes d'érosion. Encore quelques vires et on bute sur un nouveau lac profond. Le court-circuit existe : c'est une diaclase qui passe en rive gauche et qui est suivie par une vire exposée. Plus loin, la baignade est inévitable. Nous revenons le lendemain avec canot et néoprène pour tenter la jonction avec l'équipe qui passe par l'entrée supérieure. Il y en a pour près d'un km, avec cinq longs lacs, dont le plus long fait 250 m. La progression dans les bassins est facile, simplement entrecoupée de quelques dunes de galets à escalader. La galerie est toujours très large, alignée sur de grosses fractures, dont une faille de direction N35°E que l'on suit rigoureusement pendant 400 m. par endroits, un passage en banquettes en rive NW est possible du côté où plongent les strates, mais il est plus facile de suivre l'eau. (Bernard, et La Rouille)
- L'entrée supérieure : Pendant que la première équipe remonte la rivière par la résurgence, deux équipes passent par l'entrée supérieure, la première pour tenter la jonction, la seconde pour faire la topo de cette partie jusqu'à la rivière. Cette entrée supérieure, sans doute une ancienne perte, se situe à 50 m de la route, près de 2 km à l'ouest de la résurgence. Un sentier a été aménagé par les Chinois pour rejoindre la rivière souterraine et creuser une galerie de dérivation depuis l'intérieur de la grotte afin d'alimenter l'usine hydroélectrique située 200 m plus bas (captage souterrain et conduite forcée extérieure). La galerie qui rejoint la rivière mesure 700 m de long sur 200 m de dénivellation. On progresse dans un conduit qui s'élargit au fur et à mesure, avec d'abondants concrétionnements, pour atteindre une vaste salle de 240 m de long sur 60 m de large et 100 m de haut au moins. En fait, on arrive en balcon plus de 60 m au-dessus de la rivière dont on entend maintenant le grondement. Un sentier a été installé et parfois taillé sur une vire qui contourne la bordure NE de la salle, puis une série d'escaliers et de balustrades permet de rejoindre la galerie active. L'extrémité nord de cette salle n'a pas été visitée : elle semble continuer encore très haut ! (Daniel)
- La jonction avec l'aval : De l'entrée supérieure, on atteint la rivière de Donghe là où elle sort des blocs. Nous attaquons vers l'est, c'est-à-dire vers l'aval afin de rejoindre l'équipe de la résurgence qui, elle, est partie avec le matériel aquatique (néoprène et canots). Nous espérons ne pas rencontrer de difficultés car nous n'avons rien pour franchir des bassins profonds ! Nous avançons gaillardement, le topofil dans la main, dans une galerie large de 30 m et haute de 50 m ou plus, d'abord encombrée par les blocs de la salle supérieure, puis par des amas de galets. La rivière passe en sous écoulement. Nous progressons vite, les visées se suivent sans difficultés dans un conduit mesurant maintenant 20 à 25 m de large sur une hauteur variant entre 10 et 40 m. Au bout de 400 m, nous évitons un amoncellement de blocs géants formant puits par un conduit latéral (bassins). Après, la galerie se poursuit avec les mêmes dimensions, toujours vers l'est, en présentant quelques larges virages. Le topofil fume... et les petites bobines roumaines de 250 m ne font pas long feu ! Au bout de 650 m, un vrai bassin. Heureusement, une escalade en rive droite permet de le passer sans nous tremper, mais c'est pour nous retrouver aussitôt devant un très long bief qui se perd dans les ténèbres. Au moment où nous commençons un pique-nique mérité, des sons confus nous parviennent de l'aval, puis l'on aperçoit un mauvais canot jaune, en partie dégonflé, qui se dirige à pleine vitesse sur nous. Il est occupé par Bernard qui brandit un carnet topo ondulé et gonflé par l'eau. Il est bientôt suivi par un deuxième canot jaune, aussi mauvais que le premier, surmonté par La Rouille, les moustaches au ras de l'eau. Une ambiance de fête : nous venons de réaliser la jonction au bon endroit, pour les uns et pour les autres, dans ce réseau exceptionnel. (Richard et José)
- L'amont de Donghe : Une large galerie sèche, encombrée de blocs géants, remonte vers l'ouest. Au bout de 250 m, on parvient à un carrefour. Au nord, une puissante terrasse de blocs, haute de 15 m, donne dans une galerie large de 20 m qui se termine au bout de 100 m sur une grosse trémie dans laquelle s'enfile le courant d'air. Une escalade un peu délicate est effectuée, mais aucune continuation n'est évidente et nous préférons ne pas nous enfiler entre des blocs en équilibre instable. 50 m avant, un départ existe 12 m au-dessus de la galerie, mais nous n'avons pas le temps de franchir ce surplomb difficile, mais la suite du réseau est peut être là. Revenue à la bifurcation, la galerie principale aboutit rapidement dans une sorte de salle de 150 m x 50 m dont les strates effondrées obstruent complètement l'extrémité ouest. En revenant, une autre galerie se dirige vers le nord : elle est empruntée par le courant d'air. Un puits intermédiaire perce le plancher et mène à un siphon ; un peu au-dessus, nous descendons un puits-faille de 25 m qui donne sur un bassin profond (siphon). En amont, après un pendule, on aboutit dans la rivière qui s'écoule entre des berges de boue avec de nombreux têtards blancs dépigmentés. Hélas, la rivière sort quelques dizaines de mètres plus loin d'un méandre impénétrable et du dessous d'une énorme trémie fortement aspirante, mais dans laquelle nous n'avons pas trouvé la suite. (Jean-Pierre)
- Hydrogéologie : Donghe est creusée dans les bancs de calcaires massifs du Cambrien, au coeur de l'anticlinal de Changleping. Cette rivière souterraine a un débit considérable qui peut atteindre 50 m3/s pendant la mousson d'été. Il atteint 1,1 m3/s en novembre 1992, en pleine saison sèche, et tombe à 0,25 m3/s en fin d'étiage (données fournies par la station hydroélectrique). Le bassin d'alimentation est estimé à une centaine de km2. Les limites sud et nord de l'aquifère correspondent aux limites d'affleurement des calcaires du Cambro-Ordovicien. Les limites orientales et occidentales restent encore mal définies. Il est probable que le poljé de Changleping soit drainé vers cette émergence. Par contre, nous ne savons pas encore si les pertes situées dans la zone de Changbuxi (Dongxitiankeng, Dongwan) sont drainées vers l'est, donc vers Donghe, ou vers l'ouest, c'est-à-dire vers Longdong-Yanzidong. (Bernard) - ^ -

B. GROTTE DU PARKING
(Wf92/19)   Dév. 104 m   Dén. - 24 m
Cette cavité s'ouvre immédiatement à gauche de la piste qui mène à Donghe, 50 m avant le point de stationnement du bus. Le porche d'entrée porte encore les traces d'une ancienne construction. Un courant d'air aspirant est de bonne augure, mais la cavité ne tient pas ses promesses. C'est une galerie sèche, d'une centaine de mètres de long et de 10 m2 de section. Elle est creusée dans les calcaires massifs du Cambrien. Il n'y a actuellement plus aucun écoulement important. Deux petits ressauts entrecoupent la progression, dont l'un demande une corde de 10 m. De très nombreux massifs stalagmitiques encombrent la galerie et finissent par obturer complètement le passage. On perd le courant d'air à mi-chemin. La grotte a été largement colmatée par l'argile et il y a des "box-works" de calcite sur de vieilles concrétions. (Bernard) - ^ -

IV. Les cavités du synclinal de Huanglongdong

Plusieurs grottes ont été explorées au sud de la ville de Yuyangguan, c'est-à-dire dans le synclinal situé immédiatement au sud du grand anticlinal de Changleping. - ^ -

A. HUANGLONGDONG
"Grotte du Dragon Jaune" (Wf92/21)
Dév.  531 m   Dén. - 20 m   Alt. 465 m
La grotte du Dragon Jaune s'ouvre au bout d'une belle reculée située 5 km au sud de Yuyangguan. On peut y accéder soit en empruntant une piste un peu difficile ouverte pour le chantier de la centrale électrique, soit en remontant un petit sentier qui part de la centrale électrique à travers bois, puis à dans les rizières irriguées par la résurgence (1/2 heure de marche). Le porche d'entrée est impressionnant : 60 m de haut pour 15 m de large. Il s'ouvre en plein milieu d'une falaise de 200 m de calcaires permiens. C'est une résurgence qui se déverse par une cascade de 30 m dans une vallée à forte pente. Actuellement, elle ne coule plus que pendant les crues, car un barrage a été édifié à l'entrée de la grotte. La progression commence donc d'une manière assez originale : on descend le long du barrage pour se mettre à l'eau. Attention : il faut absolument laisser en place une corde assez longue, car le niveau du lac peut varier rapidement en fonction de l'exploitation de la centrale.
Le lac d'entrée, long de 300 m, nécessite un canot ou une néoprène. Il s'étire dans une magnifique galerie, aux parois verticales, alignée sur une grosse faille. Au bout du lac, une petite salle constitue le carrefour de tous les réseaux. On peut abandonner les canots pour poursuivre à pied, avec une pontonnière de préférence. Au sud, un affluent permanent se dirige vers le sud en suivant les joints de strates et en décrivant de larges méandres. Le plafond s'abaisse rapidement et le brouillard devient sensible : cela sent le siphon et effectivement on bute rapidement sur le dit siphon ! Au NE, une pente argileuse (et savonneuse) ramène à la rivière principale. Il est possible de "shunter" la grimpette dans la salle et cette descente hasardeuse en empruntant une petite diaclase qui s'ouvre en rive droite du lac, juste à l'orée de la salle. Au-delà, la rivière poursuit son cours en suivant la même faille, mais on ne progresse plus en nageant, mais en marchant sur un joli lit de petits galets. La galerie est tellement rectiligne que nous ne pouvons nous empêcher de faire deux visées de plus de 100 m de long, dont le record absolu de cette expédition : 134 m ! L'atmosphère est un peu brumeuse et les parois sont sombres, dépourvues de concrétions comme souvent dans les rivières souterraines. Au bout de 400 m, un virage à gauche, puis la galerie s'aligne sur les joints de strates et son plafond s'abaisse rapidement comme celui de l'affluent visité auparavant. Même scénario : siphon. Mais celui-ci doit être large et cracher de gros débits, car il y a une dune de galets à son entrée. Quelques affluents ont été repérés, mais ils ne semblent pas avoir un grand potentiel.
- Hydrogéologie : Huanglongdong est creusée dans les calcaires du Permien, qui reposent sur un substratum imperméable de schistes siluriens (et de quelques mètres de grès dévoniens). Elle est située sur le flanc nord d'un grand synclinal perché dont le coeur est constitué de Trias calcaire. Le réseau de Huanglongdong est donc un petit réseau marginal de ce grand synclinal et il ne doit drainer que quelques km2. La rivière, d'un débit de l'ordre de 100 l/s en décembre 92, est utilisée pour alimenter une petite centrale hydroélectrique. En saison sèche, la centrale ne tourne que quelques heures par jour, après avoir stocké un peu d'eau en amont du barrage de 18 m de haut qui barre l'entrée de la grotte. C'est d'ailleurs la construction de ce barrage qui a créé le lac d'entrée. Auparavant, la rivière devait couler jusqu'au jour sur un lit de galets assez semblable à celui que l'on rencontre dans la partie amont. Comme les strates plongent bien vers le sud (pendage de 10 à 15°), il est normal que la grotte siphonne assez rapidement en allant vers le sud. En fait, les grandes galeries qui sont accessibles n'existent que parce qu'elles suivent une grande faille parallèle à l'escarpement, qui suit aussi la direction des strates. L'existence de cette résurgence a permis le développement d'une multitude de rizières étagées au pied de la falaise. Un autre porche, jumeau du premier et situé 400 m plus à l'ouest, doit communiquer avec le même aquifère. Il a été également fermé par un barrage. (Bernard) - ^ -

B. WANGGUANDONG
"Grotte de la Couronne de l'Empereur" (Wf92/20)
Dév. 260 m   Dén. 22 m (- 10, + 12)   Alt. 725 m
Depuis le village de Tianyuan un sentier, réaménagé depuis peu, monte en pleine pente sur la gauche. Celui-ci passe par un couloir étroit et très raide avant d'arriver à l'entrée de la cavité qui se situe environ 150 m au-dessus de la piste. Son orientation face à la pente offre un très beau panorama sur la vallée. Cette cavité se développe dans les calcaires du permien inférieur. Une vaste et unique galerie s'étire en montagne russe sur 250 m vers le SW, son sol est jonché d'énormes morceaux de strates effondrés du plafond. Elle se termine sur une grosse trémie et une petite salle concrétionnée qui laisse peu de possibilité de continuation. Dans l'entrée un autel est aménagé sur deux gros blocs, un tissu de soie rouge vif recouvre précieusement six paires de petits chaussons rouges. De nombreux bâtons d'encens consumés jonchent l'autel et les alentours. Nous ignorons la signification de cet autel et de ses objets. Outre son aspect religieux, cette cavité semble aussi avoir été visitée pour les belles veines de calcite que l'on trouve dans le calcaire. (Jean Pierre) - ^ -

C. GANDONG
"Grotte sèche" (Wf92/22)
Dév. 35 m Dén. 10 m
Cette cavité s'ouvre environ à 400 m à l'ouest de la résurgence de Huanglongdong au pied de la même falaise. Elle se développe sur une fracture et est aménagée en barrage à trente mètres de l'entrée. Les dimensions de la galerie d'entrée semblent promettre de bonnes chances de continuation, d'autant plus qu'il s'agit visiblement de la même retenue d'eau qu'à Huanglongdong. Hélas, hélas trois fois, pas de canot ce jour là ! Car ce lac situé tout de suite après le barrage nous ôte toute chance d'en savoir plus sur cette deuxième émergence de ce très beau cirque. (Sylvain)
Conclusion :
Au cours des expéditions de 1989 et 1992, 43 km de galeries ont été topographiées dans le comté de Wufeng au cours de deux séjours de 12 et 13 jours. C'est dire la grande richesse spéléologique de ce comté et la nécessité d'y revenir pour mieux comprendre l'organisation souterraine divergente de l'anticlinal de Changleping dont la partie centrale demeure en grande partie inconnue. - ^ -


Karstologia Mémoires N° 6 Année 1995 DONGHE 92 - ISBN : 2-7417-0162-8